De cette période, que nous ferons arbitrairement débuter à la mise en place du royaume franc par Clovis (481-511) et se terminer au début des invasions des Vikings (880), nous retiendrons comme témoignages, dans la vallée de la Haine, de nombreux cimetières francs et des fondations d’abbayes qui vont jouer un rôle important dans son histoire.
Les faits politiques
Clovis mourut en 511.
Cette période est marquée par d’incessantes luttes entre ses descendants (VI et VIIème siècle), puis par des conflits entre les maires du palais qui se sont arrogé le pouvoir à la place des rois dits “fainéants”, et enfin par une reprise en main énergique de la part des premiers rois Carolingiens, Pépin le Bref et Charlemagne.
Il faut savoir que, selon la coutume des Francs Saliens, une propriété était toujours divisée entre les héritiers mâles. Clovis avait quatre fils. Son grand royaume fut partagé en autant de parts. Ensuite, selon les circonstances, ces parts furent parfois remises ensemble (sous Clotaire I et Dagobert I), puis à nouveau séparées. Dans la partie septentrionale, deux royaumes s’opposèrent régulièrement: la Neustrie (à laquelle appartenait l’ancien territoire des Nerviens, dont la vallée de la Haine) et l’Austrasie (est de la Belgique, nord-est de la France et ouest de l’Allemagne).
Le règne du roi Dagobert I (629-639), d’abord roi en Austrasie, puis, par héritage, roi de l’ensemble des royaumes francs, apporta un peu de stabilité politique. Ses descendants, par désintérêt ou par inexpérience, laissèrent le pouvoir à leurs maires du palais. Ces personnages, sorte de premiers ministres, ont dominé toute la fin de la période mérovingienne. Une famille d’Austrasie, très riche, très influente et très puissante, celle des Pippinides, a finalement monopolisé le pouvoir des quatre royaumes francs (Neustrie, Austrasie, Bourgogne et Aquitaine). L’un d’entre eux, Pépin le Bref, avec l’accord du pape, du haut-clergé et des nobles, a déposé le dernier roi mérovingien en 451 et s’est fait “sacrer” roi, fondant ainsi la dynastie carolingienne.
Lui-même, mais surtout son fils Charlemagne et, dans une moindre mesure, son petit-fils Louis le Pieux, restaurèrent le pouvoir. Ils réalisèrent de nombreuses réformes et ramenèrent le calme à l’intérieur du royaume, tout en étendant celui-ci vers l’Italie et le centre de l’Allemagne (jusqu’à l’Elbe).
Le pouvoir royal franc
Le seul détenteur du pouvoir était le roi. Pas de sénat comme chez les Romains. Le roi était aidé et conseillé par un groupe d’aristocrates, appelés “leudes”. Il détenait donc les pouvoirs militaire, politique et judiciaire. Il nommait aux postes dirigeants des officiers et des fonctionnaires qui ne devaient rendre des comptes qu’à lui.
Clovis avait déplacé sa capitale de Tournai à Paris. Avec la division, par héritages, de son royaume, il se forma des capitales secondaires (Orléans, Soissons, Metz). Mais ces centres n’avaient pas une grande importance. Les Francs n’aimaient pas la vie en ville, à la différence des Romains. Ils firent peu de choses pour le développement urbain. Eux-mêmes étaient continuellement en “déplacements”. Avec leur famille, leurs leudes et leur nombreuse domesticité servile, ils déplaçaient “leur palais” d’une résidence royale à une autre. Ce palatium était le centre réel du pouvoir. A l’origine, son fonctionnement dépendait d’un major domus, majordome, qu’on commença à appeler, au VIIème siècle, major palatium, maire du palais. Et, comme dit plus haut, ce personnage prit de plus en plus d’importance sur le plan politique, à côté du roi, et puis, enfin, à la place du roi.
C’est aussi à cette époque qu’apparurent au palais les charges de sénéchal, d’échanson (ou bouteiller), de connétable et de chambellan, titres qui continueront à être utilisés jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
Les écrits étant rares et l’habitat, conçu en matières périssables (bois et torchis), on sait peu de choses sur les résidences palatiales. L’une d’elles était établie à Estinnes où eurent lieu, vers 450, deux conciles. Il n’est pas impossible qu’en vallée de Haine, il en existât aussi une à Valenciennes et, peut-être, une résidence-relai à Wihéries.
Les villes
Quand l’empire romain s’est éteint, il n’existait plus de véritable ville en vallée de Haine. Bavay avait disparu au profit de Cambrai qui, elle, s’était développée. A l’ouest, Tournai, dernière capitale des Ménapiens, profita aussi, non seulement de sa situation sur l’Escaut, mais aussi d’avoir été un temps capitale franque. La plupart des vicus qui s’étaient développés le long des chaussées (Blicquy, Pommmeroeul, Waudres, Goegnies, …) avaient disparu, victimes des invasions.
Seule Famars, située près de Valenciennes, sur une petite colline surplombant l’Escaut, après avoir été au départ un vicus artisanal et un centre religieux, puis un centre militaire, continua à jouer un rôle politique sous le régime royal franc.
Les pagus mérovingiens
Le roi franc, sans doute depuis Clovis ou sous ses fils, avait abandonné la division romaine en provinces et cités, mais il avait conservé la division en pagus. On sait que le territoire de la cité des Nerviens fut divisé en au moins trois pagus: Cambrai, Famars, Brabant.
Le pagus était une division à la fois militaire, administrative et judiciaire. Il était placé sous l’autorité d’un comte qui dépendait directement du roi. L’administration se trouvait à Famars, mais le comte, comme le roi, était propriétaire de domaines ruraux où il résidait. Il semble qu’on n’ait aucun renseignement sur les noms des comtes mérovingiens. Des chroniqueurs du Moyen-Age citent Madelgaire, futur Saint-Vincent, mais il n’est pas sûr que ce soit véridique.
Le Pagus Fanomartensis (pagus de Famars) s’étendait depuis le nord du Cambrésis, au sud de l’Escaut, puis de la Haine, jusqu’au Piéton, à l’est. A cette époque, la région de Lobbes en faisait partie, ainsi que la haute vallée de la Sambre.
Plus tardivement, à partir de 720, le nom de Pagus Fanomartensis fut progressivement remplacé par celui de de Pagus Hainoensis. On ne sait pas pourquoi. Sans doute, Famars avait-il cédé son importance artisanale et commerciale à Valenciennes. Est-ce que le pouvoir comtal y était encore? Fut-il transféré ailleurs? A Castrilocus Mons (Mons) ? Pourquoi le terme Hainoensis qui fait référence à la Haine le remplaça-t-il? En Germanique, on parlait de Hennegau, terme à l’origine du mot français « Hainaut ». Ceci souligne l’importance qu’avait prise la vallée de la Haine chez les Francs de la région. Ce pagus fut, à coup sûr, le berceau du comté médiéval de Hainaut.
Au nord du Hainaut, entre la Haine et l’Escaut, se trouvait le Pagus Bracbatensis, qui était divisé en cinq « comtés » : Alost, Bruxelles, Hal, Ryen (Anvers) et le Burbant. C’est ce dernier qui nous intéresse, coincé entre Escaut, Haine et Maerke. Il est probable que son chef-lieu se trouvait à Chièvres (pas de preuve écrite réelle). Condé en dépendait, ainsi que les villes qui apparurent plus tard : Leuze, Ath, Lessines, Enghien. Ce Brabant n’a évidemment rien à voir avec le futur duché de Brabant dont le berceau sera le comté de Louvain (Xème siècle).
Les campagnes
La majorité de la population vivait dans les campagnes, loin des conflits intrafamiliaux dynastiques. Francs et Gallo-Romains s’étaient vite mélangés. Ils détenaient des petits domaines agricoles où ils vivaient en quasi-autarcie (« économie de subsistance »), le commerce des surplus et la monnaie ayant presque disparu. On n’était plus, depuis le milieu du IIIème siècle, dans l’opulence de la pax romana. De plus, un refroidissement climatique, des famines et des épidémies réduisirent encore la démographie aux Vème et VIème siècles. On sait que le nombre de ces fermes avait été drastiquement réduit. La forêt avait repris ses droits en maints endroits, notamment sur les versants des vallées. Le fond de celles-ci se répartissait en zones marécageuses souvent inondées par les rivières. Les fermes se trouvaient dans les zones habitables, éparpillées. Il semble que quelques hameaux existaient çà et là, peut-être à proximité de la résidence d’un noble à servir.
Dans ce monde rural, on trouvait les trois classes de la société franque:
– les aristocrates, des chefs guerriers qui, à l’origine, étaient proches des rois et détenaient des charges militaires et politiques. Favorisés, ils étaient les plus riches et étaient propriétaires de nombreux domaines qu’ils avaient acquis par donations royales, en récompense de leurs loyaux services, ou par achats.
– les petits agriculteurs libres qui faisaient fonctionner vaille que vaille leurs exploitations, qui étaient beaucoup plus à la merci des mauvaises récoltes et qui pouvaient parfois s’endetter, si bien qu’à la fin ils vendaient leur domaine à de plus riches, souvent les aristocrates
– les serfs. Ils existaient déjà à l’époque romaine (servi ou esclaves). C’étaient le plus souvent des prisonniers de guerre ou leurs descendants. Ils étaient liés à la terre sur laquelle ils étaient nés. Ils ne pouvaient se marier comme ils le voulaient. Leurs quelques biens, à leur mort, revenaient à leur maître. Ils appartenaient donc au propriétaire du domaine, que celui-ci fût aristocrate ou agriculteur libre.
Les nécropoles franques
Au début de ce chapitre, j’ai particulièrement insisté sur le fait que de nombreux cimetières francs avaient été découverts et fouillés au XIXème et au XXème siècle en vallée de Haine. Ce sont presque les seuls témoignages de cette époque. En effet, les écrits sont très rares. Comme à l’époque romaine (où l’on pratiquait plutôt l’incinération), les Francs (qui pratiquaient surtout l’inhumation) rassemblaient leurs morts dans des nécropoles en dehors de leurs zones d’habitat. Ces défunts étaient accompagnés dans leurs tombes d’un mobilier funéraire qui pouvait renseigner sur leur statut. On y trouvait des armes (guerriers), des bijoux (femmes aisées), des vases en céramique ou des objets banals (petits agriculteurs).
Ces cimetières sont particulièrement fournis autour de Mons (Ciply et Harmignies sont les deux plus gros, Quaregnon, Cuesmes, Nimy, Obourg, Havré, Ghlin, Spiennes, Mesvin, Harvengt, Asquillies) et de Binche (Trivières, Waudrez, Haine-Saint-Paul), ainsi qu’à Elouges (Elouges, Dour) et à Blaton (Blaton, Basècles). Ce qui permet d’émettre des hypothèses quant à l’importance de ces zones. Près de Binche, se trouvait le grand domaine royal d’Estinnes. Mais certaines des grandes nécropoles situées dans cette région pourraient aussi relever des vastes domaines que possédait la famille des « Pépin », maires d’Austrasie, ancêtres de Charlemagne.
Il est possible qu’à Mons il existât aussi un centre de pouvoir ou une concentration particulière de celui-ci, même si l’absence de découverte archéologique et d’écrit ne permet pas de le prouver. On a aussi émis l’idée qu’une résidence royale était située à Wihéries, près d’Elouges.
La famille de Madelgaire « Saint-Vincent » possédait des domaines du côté de Strépy-Bracquegnies. Il y serait peut-être né. On l’a parfois dit comte du pagus hainoensis. On a aussi découvert des nécropoles franques à Strépy et Maurage.
Ces nécropoles (certaines, de plusieurs centaines de tombes) sous-entendent une communautarisation de la société rurale, même si celle-ci apparaît à première vue éparpillée dans la campagne. On peut donc imaginer une parcellisation du territoire, chaque parcelle étant administrée par un « chef » de clan, le territoire se partageant en propriétés royales et privées. A la fin de la période mérovingienne (milieu du VIIIème siècle), les premières avaient quasi disparu au profit des secondes, d’ampleur très inégale, car les grands officiers des royaumes détenaient d’immenses domaines.
Toute l’économie franque reposait sur l’agriculture et l’élevage dans les campagnes. Le paysage général restait en fait le même qu’à la fin de l’empire, soit un éparpillement d’exploitations agricoles, petites, moyennes ou grandes. Les villages structurés étaient encore inexistants. Il semble qu’il existait alors quelques hameaux, peut-être à proximité des centres de pouvoir ou des nouvelles fondations religieuses du VIIème siècle (infra). L’habitat était fait de matières périssables comme jadis au néolithique ou du temps des Gaulois. L’outillage était resté celui de l’époque gallo-romaine.
On possède très peu de témoignages de l’habitat franc. Des fouilles intéressantes ont cependant eu lieu à Quaregnon et Quévy.
Evolution aux VIIème et VIIIème siècles
La campagne
Au VIIème siècle, profitant de la petite embellie due à la stabilité du pouvoir royal (période du roi Dagobert, 622-639), l’économie commença à reprendre vigueur. Dans les campagnes, la production augmenta et la démographie progressa. Mais la condition sociale des paysans était fort inégale. Beaucoup de “petits” durent vendre leurs propriétés à des “plus grands”. Ces derniers, souvent l’élite aristocratique proche du pouvoir, mais aussi les abbayes et les évêchés, agrandirent leurs domaines et les accumulèrent. Une classe de paysans anciennement libres et devenus dépendants (et non pas serviles, car ce statut juridique est différent) se développa à l’intérieur même des grands domaines aristocratiques. Ce phénomène va s’accentuer au VIIIème siècle et atteindra son plus grand développement au IXème siècle. Ces grands domaines deviendront alors la norme. On les appela « villas », bien que ne provenant pas directement des opulentes résidences gallo-romaines et ne leur étant pas comparables. Mais ce mot de villa sera à l’origine du mot « village » comme on le verra plus tard.
Une villa franque était habitée par son propriétaire alors qu’à l’époque romaine, celui-ci habitait la ville. Elle comportait un grand bâtiment d’habitation pour sa famille. Autour, se trouvaient les cabanes des serfs, les dépendances (étables, granges, celliers, …), les jardins et vergers, les ateliers de fabrication d’outillage, de vêtements et de poteries, les champs et les prairies, souvent des bois et des étangs.
Le propriétaire gardait pour lui-même une grande parcelle, appelée « réserve », qu’il faisait cultiver par ses serfs. Il lotissait le reste en « tenures » ou « manses » sur lesquelles il plaçait des paysans libres, les « tenanciers ». Ceux-ci devaient lui payer une location (« cens ») et s’acquitter de quelques corvées sur l’ensemble du domaine. Ces tenanciers exploitaient leurs manses pour leur propre subsistance.
Dans les deux derniers siècles de la période franque (VIII-IXème siècles, période carolingienne), le maître (dominus) ou seigneur (senior) parcellisa sa propre réserve (« chasement ») qu’il distribuait à ses serfs, ces non-libres qui lui devaient tout, y compris leur vie. Ce système s’avéra plus rentable. Mis à part le statut juridique, la différence se révéla de plus en plus ténue entre serfs et tenancers libres.
La société était devenue duale. Mais la paix ambiante, de meilleures conditions climatiques, une amélioration des techniques agricoles (la charrue, le collier d’épaule, le fer à cheval et l’étrier, la rotation triennale, le moulin à eau) amenèrent une embellie économique avec une reprise des échanges commerciaux et ses corollaires : augmentation de la démographie, du nombre de familles, du nombre d’exploitations agricoles et transformation progressive du paysage. Tout ceci annonçait la période féodale.
Les villes
Quelques agglomérations commencèrent à se développer grâce à l’artisanat local et au commerce des denrées acheminées sur des marchés.
C’est sans doute à ce moment que Famars commença à perdre son importance au profit de Valenciennes, domaine impérial du temps des Romains (mais sans site d’une réelle importance), domaine royal au temps des Francs, bien situé au bord de l’Escaut pour écouler les marchandises. Une nécropole, occupée aux VIème et VIIème siècles, y a été découverte. L’agglomération qui s’est développée à la fin de la période franque y prospéra grâce à son commerce et son artisanat. La première mention écrite de Valenciennes date de 693. On y frappait monnaie à la période carolingienne.
Il est possible aussi que Chièvres ait commencé à se développer à ce moment. Ce fut certainement le cas des cités épiscopales et scaldiennes de Cambrai et de Tournai, comme ce le fut aussi dans les régions mosane (Namur, Dinant, Huy, Liège) et scaldienne (Gand).
Quant à Mons, on n’en sait rien. Certaines généalogies rapportent qu’une famille aristocratique franque en portait le nom. Etait-elle installée sur la colline ou à proximité? C’est de cette famille que serait issue l’épouse de Régnier “au long col”, le premier comte héréditaire, au IXème siècle. Peu avant, on sait qu’à Mons fonctionnait un atelier monétaire sous Charles le Chauve. Il en était ainsi également au palais d’Estinnes, qui n’était pourtant pas une ville.
Dès la fin du VIIème siècle, les rois “fainéants” cédèrent le pouvoir aux maires du palais. Ces charges étaient exercées par des membres de grandes familles riches, surtout en Neustrie et Austrasie. On se battait pour en devenir titulaire. En 687, par leur victoire à Tertry, les maires du palais d’Austrasie prirent le dessus sur ceux de Neustrie. Ils étaient de la famille des Pépin (Pippinides), les futurs carolingiens.
La période carolingienne
Pépin le Bref (751-771) et surtout Charlemagne (771-814) restaurèrent le pouvoir absolu du roi. Ils étendirent leur royaume aux dépens des derniers peuples germaniques indépendants (Lombards, Bavarois, Saxons, Frisons). Le deuxième se fit sacrer empereur, reprenant le rôle des anciens dynastes romains. Il abandonna l’itinérance palatiale pour établir son palais et sa cour à Aix-la-Chapelle. Sous son autorité, il nommait des comtes à la tête de comtés (les anciens pagus). Ils y détenaient un pouvoir judiciaire, militaire, administratif et fiscal. Il nomma aussi des comtes itinérants, les missi dominici, qui répandaient ses lois et ses décisions dans tout l’empire et contrôlaient les comtes locaux. Le nouvel empereur favorisa le commerce par des règlementations, par une réforme de la monnaie, des poids et des mesures, par un contrôle des prix. On vendait du blé, des draps, du cuir, de la pierre, des produits issus de la sidérurgie.
Le commerce et l’artisanat favorisèrent surtout les villes existantes (les portus de Cambrai, Valenciennes, Tournai et ceux de la Meuse), mais ne semblent pas en avoir créé de nouvelles dans la région.
Une grande aristocratie impériale se développa ainsi, issue des grandes familles franques fidèles au roi, pour contrôler la société. C’est elle qui, progressivement, va s’emparer de larges parts du pouvoir car les successeurs de Charlemagne seront de moins en moins à la hauteur.
Expansion du christianisme
Jusqu’ici, la “nouvelle religion” n’avait réellement touché que les rares villes du royaume franc. On a vu, dès le début du VIème siècle, des évêques apparaître à Arras, Cambrai et Tournai. Ceux-ci jouèrent aussi des rôles importants dans la gestion administrative de leurs villes. Ces évêques étendaient leur pouvoir temporel sur des territoires qui correspondaient aux anciennes cités gallo-romaines. Celui de Cambrai eut à administrer l’ancienne cité des Nerviens qui s’étendait depuis le Cambrésis jusqu’à la région anversoise, à l’est de l’Escaut. Les évêchés étaient groupés en archevêchés qui reprenaient les limites des anciennes provinces romaines. Celui de Cambrai s’inscrivait dans l’archevêché de Reims. Tout le Hainaut et le Brabant restèrent dans le diocèse de Cambrai jusqu’en 1803.
La papauté, alors, était peu influente. Elle consentit dès la fin du VIème siècle à ce que les évêques soient choisis et nommés par les rois mérovingiens. Ces évêques devenaient une source de légitimité du pouvoir, une caution morale, mais aussi un instrument du pouvoir. Ils étaient issus de l’aristocratie franque et étaient les détenteurs de la culture.
Ce sont les rois qui organisaient des conciles.
Seules les familles royales et les élites aristocratiques étaient chrétiennes catholiques. Mais dans les campagnes, les paysans restaient attachés à leurs divinités païennes et à leurs superstitions. Des basiliques furent construites dans les villes, souvent dédiées à des martyrs locaux ou aux premiers évêques. Le culte des saints (et ses bénéfices) prirent de l’essor dès le VIème siècle. Quelques chapelles apparurent dans les domaines des nobles convertis.
Au VIIème siècle, le pape, les évêques, mais aussi les rois et les aristocrates voulurent implanter plus profondément le christianisme dans l’ensemble de la population. Ils envoyèrent ou firent venir de l’étranger (surtout d’Irlande) des évangélisateurs. Le roi Dagobert, l’évêque Aubert de Cambrai et Pépin de Landen, maire du palais d’Austrasie, furent à l’initiative de nombreuses fondations d’abbayes.
Wasnon, d’origine irlandaise, s’installa vers 633 à Condatum (Condé), endroit jusque-là inhabité et marécageux, au confluent de la Haine et de l’Escaut. Il fonda un petit oratoire dédié à Notre-Dame. Cette abbaye fut richement dotée par les rois Dagobert et Sigebert III. Elle aurait été agrandie au IXème siècle par Gérard de Roussillon, comte du pagus de Brabant dans lequel ce site, au nord de la Haine, se situait.
Landelin, un moine d’Artois au service de l’évêque Aubert de Cambrai, fondateur des abbayes de Lobbes, d’Aulne et de Wallers, se fit octroyer une terre à Crispinum (Crespin), vers 640, dans un endroit boisé et humide. Ses disciples fondèrent aussi des couvents, comme celui de Monasteriolum (Montroeul-sur-Haine), fondé vers 650 et qui fonctionna jusqu’au XIIIème siècle.
Si, selon la tradition, Ghislain, d’origine athénienne, a fondé vers 648 un monastère dans les marais bordant la Haine, à Ursindongus (plus tard appelé Saint-Ghislain), celui-ci ne s’est pas développé avant le Xème siècle, laissant planer de grandes interrogations sur la véracité de la légende. En effet, celle-ci ne fut écrite qu’au Xème siècle et aucun document antérieur n’atteste les faits qui y sont relatés. Une institution a probablement existé auparavant en ce lieu, dont on n’a aucune précision et qui fera problème plus tard. Il n’empêche que, par la suite, cette abbaye deviendra une des plus riches de la région.
Une famille noble joua un rôle important dans ces fondations. Madelgaire (de Strépy?) aida à fonder un monastère à Hautmont, avant d’aller faire de même, vers 670 à Soignies. Son épouse, Waudru, en fonda un vers 650/660 sur la colline de Castrilocus (Mons). Et enfin Aldegonde, la soeur cadette de celle-ci, fonda celui de Maubeuge. Ces deux soeurs étaient les filles de Waldebert, un intendant de grands domaines royaux de Neustrie résidant à Cousolre (près de Beaumont). Il s’agissait de monastères pour religieuses. A proximité, vinrent s’installer des institutions pour hommes.
Dans la région, apparurent d’autres institutions monastiques : à Hasnon et Elnone (Saint Amand) sur la Scarpe, à Denain, à Maroilles, à Leuze et Antoing. A Nivelles, dans le grand domaine familial, Gertrude, fille de Pépin de Landen, maire du palais d’Austrasie, fonda aussi une abbaye.
La région de Valenciennes fut évangélisée au VIIIème siècle par Saint-Saulve, qui mourut assassiné et à qui on dédia un culte. Saint-Géry, évêque de Cambrai, se livra aussi à des missions d’évangélisation, ce qui pourrait expliquer le nombre de paroisses qui lui sont dédiées. Il aurait lui-même fait construire une chapelle à Boussu. Si c’est réel, cela signifierait qu’il y existait déjà une communauté et, peut-être, une résidence noble.
Au Roeulx, un moine irlandais du nom de Feuillien vint aussi construire un oratoire dans un domaine boisé vers 655. Il fut lui aussi assassiné et devint l’objet d’un culte.
Toutes ces fondations se firent en quelques décennies. On parla de “siècle des saints”. Elles furent encouragées par les autorités politiques et furent dotées de nombreuses terres dès cette époque, mais aussi dans les siècles suivants. Certaines devinrent très riches par la mise en valeur de ces domaines fonciers.
L’abbaye Sainte-Waudru de Mons, en quelques décennies, posséda des domaines-villas à Nimy, Maisières, Obourg, Quévy, Quaregnon, Jemappes, Cuesmes, Frameries, Bray, Estinnes, Ville-sur-Haine, Epinois et Waudrez. Plus tard, elle se trouva encore à la tête de Braine-le-Comte, de Braine-le-Château, de Hal, d’Herentals, de Bouvignes… Une partie de ces domaines venait de la famille de Waudru, une autre de celle de sa cousine Aye qui lui succéda, puis, enfin, de dons royaux.
Dès l’origine, le roi Dagobert, ou son successeur, avait donné à Saint-Ghislain des domaines à Hornu, Wasmuel, Wasmes, Warquignies, peut-être aussi à Dour, Frameries, Roisin. Vers 800, un aristocrate proche de la famille de Charlemagne, un certain Elephas, qui devint abbé à Saint-Ghislain, fit don de ses domaines de Wihéries et d’Elouges. Au Moyen-Age, on trouve des domaines fermiers de l’abbaye dans presque tous les villages de la région.
Ces abbayes devinrent aussi des acteurs politiques dans la région pendant toute la période féodale. Cependant, les rois, les maires et les comtes s’arrogèrent les pouvoirs temporels (et non spirituels) et les bénéfices qui les accompagnaient (une partie des revenus de la terre). Ils en devenaient les “avoués”. C’est eux qui nommaient les abbés, souvent issus de leurs familles. On organisa des cultes et des pèlerinages auprès des reliques ou des tombes des saints fondateurs, ce qui constituait aussi une source d’enrichissement des abbayes.
C’est ainsi que, dès 690, les maires d’Austrasie « contrôlaient » tous les monastères de leur royaume. Charlemagne fit de toutes les abbayes de son empire des « abbayes royales », sous sa seule autorité. L’abbé devint un fonctionnaire à son service. C’est pourquoi il fut parfois laïc.
Les premiers monastères choisissaient leur mode de vie. Dans d’autres parties d’Europe, on vit des « règles monastiques » apparaître, notamment celle de Saint-Benoit de Nursie dont les suiveurs étaient appelés « bénédictins ». Jusqu’à la période carolingienne, on a peu de renseignements sur les règles suivies dans les abbayes hennuyères. Par contre, un concile organisé en 816 à Aix-la-Chapelle par l’empereur Louis le Pieux (814-840) et son conseiller, Saint Benoit d’Aniane, définirent une Règle de vie unique, inspirée de celle des bénédictins. Les institutions qui la trouvaient trop exigeante pouvaient la refuser et optaient alors pour une Règle canoniale, à l’origine de la fondation d’un chapitre de chanoines. Ce fut le cas pour les cathédrales et aussi, par la suite, pour une grande partie des abbayes (Mons, Maubeuge, Crespin, Soignies, Saint-Saulve…).
A l’époque carolingienne, les monastères devinrent aussi des lieux de passage, propices aux échanges et à la redistribution de marchandises. Certains développèrent des centres d’études avec des scriptoriums et des bibliothèques (Lobbes, Saint-Amand, mais peu en Hainaut). A ce titre, la cour d’Aix-la-Chapelle avait également atteint un haut niveau culturel. On parla de « renaissance carolingienne ».
Ces monastères attirèrent des hommes et des femmes qui s’installèrent à proximité, fondant ainsi des hameaux ou des petits villages. Le phénomène fut cependant très lent. Quelques villes apparurent plus tard (Mons, Maubeuge, Saint-Ghislain, Soignies, Le Roeulx), alors que d’autres communautés restèrent rurales (Crespin, Condé, Lobbes). Les défrichements des bois et des forêts reprirent au VIIIème siècle, particulièrement sur les domaines abbatiaux.
Les premières paroisses apparurent sous Pépin le Bref et Charlemagne dans des petites communautés rurales, le phénomène prenant plus d’ampleur par la suite.
Tout comme fut très progressive la christianisation complète de tout le royaume. Il semble qu’elle ne fut achevée qu’après Charlemagne (771-814). Ce dernier se fit sacrer empereur par le pape qu’il venait de délivrer de la menace des Lombards. Il en profita pour s’imposer comme le défenseur de la chrétienté et légitimer ses conquêtes. Le pape et les évêques étaient les chefs spirituels dans l’empire. Le roi en était le chef temporel. Ses nobles devaient participer à la défense de la paix et à la protection des populations. Le haut-clergé (chapitres des cathédrales, monastères) émergeait en même temps comme une classe sociale à part entière.
Les voies de communication
Elles étaient empruntées par les autorités qui se déplaçaient, par leurs armées et par les quelques marchands qui circulaient. Les Francs ont conservé les chaussées romaines et leurs diverticulums. On dit même qu’une de leurs reines, Brunehaut, à la fin du VIème siècle, prit l’initiative d’en restaurer quelques-unes. D’où le nom qu’ont conservé certains tronçons de ces antiques chaussées. Mais tout ceci ne serait que légende apparue quelques siècles plus tard.
Les résidences palatiales étaient probablement situées à proximité des chaussées romaines, comme ce fut le cas à Estinnes et Valenciennes.
Avec la fondation des monastères, de nouveaux pôles de développement apparurent, même si ce fut très progressif. Et de nouveaux chemins furent améliorés ou aménagés pour joindre Cambrai à Valenciennes, à Condé et à Crespin, à Maubeuge et Hautmont, à Saint-Ghislain et Mons, puis à la région de Binche et de Lobbes.
La fin de la période carolingienne
Louis « le Pieux », dit aussi « le Débonnaire » (814-840), succéda à son père Charlemagne à la tête de l’empire. Hormis par quelques réformes dans la continuation de celles de son père, son règne fut marqué par les conflits entre ses fils, issus de deux épouses successives, pour l’héritage. Les péripéties y furent nombreuses.
Après sa mort, les trois fils restants, après de vaines batailles, se résolurent à signer un Traité à Verdun en 843, traité qui partagea le vaste empire. A Louis « le Germanique » alla la partie orientale (Francia orientalis qui évoluera vers l’empire germanique). A Charles « le Chauve » revint la partie occidentale (Francia occidentalis qui devint le royaume de France), située à l’ouest de l’Escaut dans sa partie nord. La partie centrale fut dévolue à l’aîné, Lothaire I, qui reçut le titre d’empereur et un territoire situé entre Escaut et Rhin, se continuant, au sud, à l’est de la Saône et du Rhône, comprenant aussi toute la moitié septentrionale de l’Italie. Notre vallée de Haine se situait dans cette Francia Media.
Lothaire I mourut. Son royaume fut partagé entre ses trois fils, dont Lothaire II qui reçut la partie nord, appelée « Lotharingie ». Lothaire II mourut sans héritier. Ses deux oncles, Louis et Charles, étant encore vivants, se disputèrent son royaume. Ils finirent par se le partager au Traité de Meersen en 870. Notre vallée de Haine, qui se partageait entre les Pagus Hainoensis et Pagus Brabanctensis, passa du côté français. Pour peu de temps, car les successeurs des deux rois se disputèrent à nouveau. Les Français étant affaiblis par les invasions vikings, les Germaniques récupérèrent l’entièreté de la Lotharingie et donc « nos » deux petits comtés, au Traité de Ribemont en 880. Situation qui perdura jusqu’à la mort de Charles Quint.
La faiblesse du pouvoir politique des rois encouragea le pape, à Rome, à restaurer son autorité sur l’Eglise d’Occident, donc sur les évêques. Et ceux-ci furent poussés à gagner de l’autonomie par rapport aux laïcs qui, rappelons-le, détenaient le pouvoir temporel sur les lieux de culte et les abbayes. Cette lutte d’influence va prendre beaucoup d’ampleur dans les siècles suivants. On la suivra en Hainaut.