Les Baudouin pour consolider (de 1070 à 1280)
Sous la dynastie des Régnier, le territoire du comté de Hainaut s’est agrandi. Il s’est imposé par rapport aux provinces voisines (Flandre et Brabant) et par rapport au pouvoir impérial. Peu de villes se sont développées. Valenciennes est la seule exception. Mons, alors, n’était encore qu’une simple bourgade. Dans les campagnes sont apparus la majorité des villages actuels, chacun étant né dans un grand domaine seigneurial. Certains ont disparu, d’autres sont restés des hameaux. A chaque communauté rurale correspondait une paroisse (parfois plusieurs).
Tous ces éléments mis en place vont subir de profondes réformes durant les deux siècles suivants. J’ai décidé de décrire tout cela en plusieurs chapitres, vu l’importance des phénomènes pour la suite de l’Histoire.
Les comtes et les faits politiques
Sous Richilde (1050-1083) et Baudouin I (1050-1070)
Lorsque le comte Herman est décédé en 1050, le Hainaut était constitué de l’ancien pagus de Hainaut, auquel étaient venus s’ajouter la partie occidentale de l’ancien Brabant (comté de Chièvres ou marche d’Ename) et le comté/marche de Valenciennes.
Richilde avait beau avoir un caractère bien trempé, la jeune veuve dut immédiatement subir la loi de son voisin flamand, le comte Baudouin V qui vint mettre le siège devant Mons. Il enleva Roger, fils de son premier mariage avec Herman. En échange, il demanda sa main pour son fils Baudouin. Elle accepta (forcée ou consentante, on ne sait pas très bien), malgré l’opposition de l’empereur et du pape. Le mariage eut lieu. Baudouin, fils du comte de Flandre, devint donc comte de Hainaut sous le nom de Baudouin I. Plutôt nonchalant et débonnaire, il laissa les rênes du pouvoir à son énergique épouse. Ils eurent deux enfants, Arnould et Baudouin. Richilde les préféra à Roger, issu de son premier mariage avec le comte Herman, qu’elle fit entrer dans une abbaye comme moine.
En 1067, le comte Baudouin V de Flandre mourut. Son fils Baudouin, déjà comte de Hainaut sous le nom de Baudouin Ier devint donc également Baudouin VI, comte de Flandre. Il partagea ces titres (et ces pouvoirs) avec sa mère Richilde.
Feu Baudouin V de Flandre avait un frère, Robert, dit “le Frison”. Celui-ci et la majorité des Flamands supportaient plutôt mal la rudesse de la nouvelle comtesse qui n’hésitait pas à mettre au pas (décapitation!) tout notable qui s’opposait à sa politique. En général d’ailleurs, les hautes charges, politiques et militaires étaient de préférence attribuées à des Hennuyers, ce qui mécontenta d’autant plus les Flamands.
Sentant sa mort prochaine, Baudouin, comte de Hainaut (I) et de Flandre (VI) ,régla sa succession entre ses deux fils, encore mineurs: la Flandre à Arnould (sous la tutelle de son oncle Robert “le Frison”) et le Hainaut à Baudouin II (sous la tutelle de sa mère). Il mourut peu après en 1070.
Soutenue par le roi Philippe I de France (suzerain de la Flandre), Richilde assura un pouvoir intransigeant sur les deux comtés. Cela mécontenta les villes flamandes en pleine expansion commerciale, à la tête desquelles se plaça Robert “le Frison”. Celui-ci se considéra de facto comme comte de Flandre, rendit hommage au roi de France, monta une armée et déclara la guerre à Richilde.
Un premier choc eut lieu à Cassel en 1071. Le jeune comte Arnould fut tué. Mal soutenue par son suzerain, l’empereur Henri IV de Germanie, occupé par sa “Querelle des Investitures” (infra), Richilde fut de plus en plus acculée. Robert “le Frison” pénétra en Hainaut et alla battre les Hennuyers en 1072 lors de la “bataille des Mortes-Haies” dans la campagne entre Saint-Denis-en-Broqueroie, Obourg, Havré et Gottignies. Il ravagea ces villages naissants et aussi ceux des alentours (Ville-sur-Haine, Thieu, Maurage). Il fit de même au retour en dévastant les environs de Mons, puis de Valenciennes.Il détruisit en outre le château comtal de Blaton et laissa une troupe à Wavrechin, près de Denain.
Douze ans d’escarmouches suivirent sans que Richilde et son fils Baudouin II ne puissent reprendre la Flandre. De guerre lasse, elle abdiqua et mourut en 1085.
Baudouin II (1071-1098)
Après avoir été sous la tutelle de sa mère Richilde, dès qu’il exerça seul le pouvoir, il s’empressa de faire la paix avec son oncle Robert “le Frison”, qu’il reconnut comte de Flandre. Il eut à faire, comme déjà du temps de sa mère, avec les turbulents Avesnes, toujours en quête de territoires et d’autonomie (voir un chapitre suivant).
C’est sous son règne que fut organisée la première croisade. Baudouin II s’y engagea aux côtés de Godefroid de Bouillon, duc de Basse-Lotharingie. Pour financer son expédition, il vendit sa seigneurie de Couvin à l’évêque de Liège. Il fut tué près de Nicée, pris dans une embuscade.
Baudouin III (1099-1120)
Agé de seulement 11 ans au décès de son père, il fut placé sous la tutelle de sa mère, Ide de Louvain. Son règne fut émaillé de multiples hostilités, dont ses tentatives de reprendre la Flandre, ce qui ne donna aucun résultat. Cette époque est aussi marquée par la Querelle des Investitures (voir le chapitre sur le christianisme) qui opposa papes et empereurs de Germanie. Les comtes, selon leurs visées politiques, prirent le parti de l’un ou de l’autre, ce qui créa des coalitions. Ces luttes ne semblent pas avoir eu d’impact sur les villes et, encore moins, sur les campagnes hennuyères.
Baudouin IV dit “le Bâtisseur” (1120-1171)
Dès qu’il fut majeur, lui aussi se retrouva en conflit avec le comte de Flandre. Les Hennuyers n’avaient jamais accepté de devoir “rendre” la Flandre aux Flamands. Il tenta à plusieurs reprises de la reconquérir. Sans succès.
Lui et le comte de Flandre, Philippe d’Alsace, conclurent finalement la paix. Pour la sceller, ils fiancèrent leurs enfants.
Baudouin IV se consacra surtout à “moderniser” son comté. Il profita d’une période de paix et de prospérité pour améliorer le sort des paysans et des citadins. Son surnom de “bâtisseur” lui vient de ce qu’il chercha à fortifier plusieurs sites et à fonder des villes (chapitre sur les villes).
Le comté de Hainaut était devenu tout à fait autonome par rapport aux pouvoirs du duc de Lotharingie et de l’empereur de Germanie. La France, depuis l’avènement des Capétiens, tentait de se remettre de la débâcle des derniers carolingiens.
Le dernier comte d’Ostrevent mourut sans enfant en 1163. Il était le demi-frère de Baudouin IV à qui il légua son petit comté, situé sur la rive gauche de l’Escaut, avec les villes de Bouchain et Denain. De son côté, Baudouin IV avait épousé la soeur du comte de Namur qui, n’ayant pas lui-même d’enfant, décida qu’à sa mort, son comté reviendrait au comte de Hainaut.
En 1169, Baudouin IV, inspectant l’avancement des travaux de son nouveau palais de Valenciennes, chuta d’un échafaudage.Gravement blessé, impotent, il s’éteignit deux ans plus tard.
Baudouin V “le Courageux” (1171-1195)
Selon l’arrangement de son père avec Philippe d’Alsace (1168-1191), il épousa la fille de ce dernier. Ils eurent une fille que l’on offrit comme épouse au jeune roi de France, Philippe-Auguste (1180-1223), avec l’Artois en dot.
Prince juste, il eut surtout à faire avec des vassaux turbulents en Hainaut (les habituels Avesnes), et avec quelques voisins (Brabant, Limbourg, Liège, Namur, Cologne, Flandre).
C’est ainsi qu’en 1185, une armée coalisée regroupant des soldats de l’archevêque de Cologne, des Brabançons et des Flamands envahit le Hainaut par l’est. Ils endommagèrent Binche et, en route vers Maubeuge, mirent à sac tous les villages qu’ils rencontraient sur leur passage (Carnières, Maurage, Boussoit, Thieu, Harvengt, Givry). Les trois armées se réunirent dans le bois de Gars à Bettignies. Une bataille eut lieu à Harmignies.
A la mort du comte de Flandre, en 1191, les deux comtés furent enfin réunis. Les villes flamandes reconnurent Baudouin V comme héritier légitime.
Mais l’ambitieux beau-fils, Philippe-Auguste, très soucieux d’agrandir son domaine royal d’une riche province (la Flandre), ne l’entendit pas ainsi. Rentré dare-dare de la troisième croisade, prétextant une maladie, il s’empressa de venir menacer les villes flamandes. Au bout de négociations, il accepta la vassalité et l’hommage de Baudouin V contre une belle somme d’argent, l’Artois et Tournai.
Baudouin, comte de Flandre (VIII) et de Hainaut (V), s’éteignit en 1195.
Baudouin VI “de Constantinople” (1195-1205)
Comte de Flandre (IX, en 1194), de Hainaut (VI, en 1195), mais aussi marquis de Namur-Luxembourg (en 1196), selon la promesse faite par Henri “l’Aveugle” du temps où il n’avait pas d’héritier. Promesse hâtive, parce qu’avant sa mort, il eut une fille. Ce qui déclencha une nouvelle guerre, dont l’hennuyer sortit vainqueur..
Baudouin VI était à la tête d’une grand état qui allait de la mer du Nord à la Moselle. Il nomma son frère, Philippe “le Noble”, à la tête du marquisat de Namur.
Mais Baudouin avait en face de lui un beau-frère très ambitieux, Philippe-Auguste, le roi de France, qui n’avait qu’une seule idée: agrandir son domaine royal en récupérant tous les territoires obtenus jadis par Charles le Chauve au Traité de Verdun en 843. Pour rappel, son ancêtre Hugues Capet ne possédait plus que son comté de Paris (Île-de-France) en 981. Entre-temps, Henri II “Plantagenêt”, roi d’Angleterre, descendant de Guillaume “le Conquérant”, le duc de Normandie qui s’était emparé de la Grande Bretagne, s’était arrogé, par des mariages familiaux et personnels, un grand royaume à l’ouest de la France. Philippe-Auguste se mit en tête de récupérer “tout ça”, y compris la riche Flandre qui faisait de si beaux draps…avec la laine anglaise. Le décor est planté. De guerres en guerres, le roi de France va presque réussir dans son projet.
Entre-temps, Baudouin VI/IX partit pour la quatrième croisade (infra). Celle-ci fut détournée par les Vénitiens vers Constantinople qui fut prise en 1204. Le comte fut élu empereur d’Orient par ses pairs. Il fut tué un an plus tard à la bataille d’Andrinople.
A son départ en croisade, il avait confié ses comtés à son frère Philippe “le Noble”, assisté d’un conseil d’aristocrates. A sa mort, Philippe devint aussi tuteur de ses deux filles encore mineures, Jeanne et Marguerite.
Jeanne “de Constantinople” (1205-1244)
Aînée des filles de Baudouin VI/IX, mineure sous la tutelle de Philippe “le noble”, elle se retrouva bien vite sous la houlette du roi Philippe-Auguste de France. Ce dernier était en pleine reconquête de la Normandie et des autres provinces de l’ouest. Seule la Flandre lui échappait et voici que se présentait à lui une chance de s’en rendre maître. Une fillette à sa tête…
Jeanne et Marguerite furent emmenées à Paris, avec l’assentiment du faible tuteur, mais la réprobation de ses conseillers. En 1212, on décida de la marier à Ferrand de Portugal. Les deux jeunes époux, conseillés par les villes flamandes avides de laine anglaise, décidèrent de prendre le parti de l’Angleterre toujours en guerre contre la France. Colère de Philippe-Auguste qui s’empara coup sur coup de Lille, de Douai, puis de Gand et de Bruges qu’il assiégea.
Les coalisés (Anglais, Flamands, Hennuyers) furent rejoints par des troupes impériales germaniques. Une bataille décisive eut lieu à Bouvines en 1214, remportée par les Français. Ferrand fut fait prisonnier et emmené à Paris où il restera douze ans en captivité. De nombreux chevaliers moururent ou furent faits prisonniers : Baudouin de Mons, Thierry de Ligne, Gauthier de Quiévrain, Arnould de Landas, Guillaume de Beaumont, Eustache du Roeulx, Robert d’Etroeungt, …
Jeanne continua à gouverner seule les deux comtés, soumise à Philippe-Auguste.
Un faux Baudouin?
En 1225, une rumeur, soudain, circula: le comte Baudouin VI/IX n’était pas mort. Il était même de retour. On l’avait reconnu à Valenciennes. Il y fut acclamé. Il revendiqua la restitution de ses droits de souveraineté sur ses comtés. Il fut rejoint par le prévôt de Valenciennes et divers seigneurs hennuyers, dont Gauthier et Nicolas de Quiévrain. Des villes de Flandre et de Hainaut le soutinrent. Même le roi d’Angleterre lui envoya un messager pour renouer des alliances.
La comtesse Jeanne et son entourage se méfièrent. Le soi-disant Baudouin évita ses envoyés. Elle fit appel au nouveau roi de France Louis VIII (1223-1226). Finalement la surpercherie fut découverte. Le “faux Baudouin”, en fuite, fut capturé et pendu à Lille. Les villes qui avaient pris son parti furent mises à l’amende. Cette somme servit à payer la rançon pour libérer le comte Ferrand. Ce qui fut fait en 1227.
Ferrand décéda en 1236. Jeanne se remaria avec Thomas II de Savoie. Elle décéda elle-même en 1244. Et Thomas rentra chez lui, laissant la place à…
Marguerite “de Constantinople” (1244-1278)
On peut dire que sa jeunesse fut tumultueuse, ce qui aura une grande importance pour le Hainaut.
A Paris, elle fut confiée aux mains d’un tuteur, Bouchard d’Avesnes, bien plus âgé qu’elle, mais qui l’épousa, apparemment avec son assentiment. Ce faisant, il réclama pour elle sa part d’héritage. On se souvint alors qu’il avait reçu un jour les ordres comme sous-diacre et qu’il n’avait plus le droit de se marier. Le roi de France contesta. Le pape condamna et excommunia les deux époux. Ils s’enfuirent dans le Luxembourg où deux enfants leur vinrent, Jean et Baudouin d’Avesnes… qui furent jugés bâtards.
Bouchard d’Avesnes finit par se faire capturer. Il sortit de prison à condition de renoncer à son mariage. Marguerite s’éprit alors de Guillaume de Dampierre qu’elle épousa. Un conflit s’installa entre Bouchard et Guillaume. Les péripéties furent nombreuses. On fit appel au roi de France (“Saint” Louis IX), à l’empereur et au pape.
Bouchard, dont on dit qu’il aurait manigancé l’affaire du “faux Baudouin” fut à nouveau fait prisonnier. Il mourut en 1244, la même année que Jeanne et donc l’année où Marguerite devint comtesse de Flandre et de Hainaut.
Les Dampierre (le comte Guillaume et son fils Guy) et les Avesnes (Jean, le “bâtard”) continuèrent la lutte. Marguerite préférait Dampierre. Jean et son frère Baudouin parvinrent pourtant à faire reconnaître la légitimité de leur naissance par l’empereur Frédéric II, le roi Louis IX et le pape innocent IV.
Finalement, en 1246, le roi “saint” Louis IX (1226-1270) arbitra le conflit et décida que les Dampierre hériteraient de la Flandre à la mort de leur mère et les Avesnes du Hainaut. Immédiatement, Jean d’Avesnes exigea le gouvernement réel du Hainaut, appuyé par son beau-frère, le comte de Hollande. Refus de Marguerite, sa mère. Qu’à cela ne tienne, fort de ses appuis, il s’installa en Hainaut et commença à y passer de nombreux actes. Il en vint même à réclamer la Flandre.
En 1251, Guillaume de Dampierre mourut dans un tournoi à Trazegnies. On suspecta les adversaires et la lutte entre les deux factions adverses reprit. Le comportement de Marguerite (“Zwarte Margriet”) attisait toutes les colères, en Flandre, et encore plus en Hainaut. On était au bord de la guerre civile.
Avec l’assentiment des bourgeois de ces villes, Jean d’Avesnes s’empara de Mons, de Valenciennes, d’Ath, de Soignies et de Binche. Marguerite tenta même de donner son Hainaut au duc Charles d’Anjou, frère du roi de France. Celui-ci vint investir les villes hennuyères mais échoua devant Enghien et dut ensuite reculer devant l’arrivée des troupes de Guillaume de Hollande.
Au “Dit de Péronne”, en 1256, Saint Louis intervint de nouveau et parvint à convaincre les Dampierre de renoncer au Hainaut. Ils acceptèrent. Jean I d’Avesnes mourut l’année suivante. Il avait épousé la fille du comte de Hollande. Leur fils, Jean II d’Avesnes, lui succéda.
Lasse, Marguerite abdiqua en 1279 et mourut l’année suivante. Les deux comtés étaient à nouveau séparés.
Les chapitres suivants vont décrire l’organisation du pouvoir comtal, la situation dans les villes et les campagnes, ainsi que la place de l’Eglise. J’essaie, autant que possible, de le faire à travers l’histoire des villes et villages de la vallée de la Haine.