L’Eglise et la papauté
Au début du XIème siècle, l’Eglise était encore sous la “protection” des autorités laïques, comme l’avaient voulu les empereurs Charlemagne et Otton I. Papes et évêques étaient investis dans leurs fonctions par les empereurs. Les premiers étaient choisis par l’aristocratie romaine, les seconds dépendaient du bon vouloir des comtes. Tout cela dans le contexte des conflits féodaux de l’époque.
Les ecclésiastiques, à partir de ce siècle, vont tenter une reprise en main de la chrétienté. En 1030, on décréta la “Trêve de Dieu” qui réduisit le nombre de jours de guerres (111 par an). Rome se distancia, en 1054, de Constantinople (Eglise Orthodoxe) en proclamant le principe de sa primauté. Restait à obtenir la primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. C’est ce que déclara le pape Etienne IX (1057-1058)… avant de se faire assassiner. Il déniait à l’empereur le droit d’intervenir dans les nominations des papes et des évêques.
On entra alors dans une grande période de tourmente. Parfois il y avait deux papes, l’un nommé par les aristocrates romains laïcs, l’autre par la Curie. Le pape Nicolas II fit décider par le Concile de Latran de 1059 que les papes seraient dorénavant élus par un collège de cardinaux. C’est dans ce contexte que fut élu le pape Grégoire VII (1073-1085) qui se donna pour but de relever la moralité dans l’Eglise (lutte pour le célibat, réactions contre le clergé ignorant et décadent) et d’établir l’indépendance de l’Eglise Romaine dans les investitures de ses prélats (papes, évêques, abbés des monastères).
C’est ce qui déclencha la fameuse “Querelle des Investitures” (1075-1122) entre partisans de la papauté romaine, qui accordaient à celle-ci un pouvoir universel, et partisans de l’empereur de Germanie qui refusait le rôle de subordonné. Les acteurs principaux en furent les papes Grégoire VII et Urbain II (1088-1099) et l’empereur Henri IV (1056-1105). Les péripéties furent nombreuses. Ce conflit se termina par le Concordat de Worms. La nomination et le sacre des papes, des évêques et des abbés appartiendraient dorénavant à l’Eglise mais les élus devraient ensuite rendre hommage à l’empereur et aux comtes en ce qui concernait leurs pouvoirs seigneuriaux.
Les évêques de Cambrai
En Lotharingie, les grands abbés (Lobbes, Liège, Gembloux, Stavelot, …) furent de chauds partisans du pape. A Cambrai, les évêques firent de même: Gérard I de Florennes (1012-1051), Gérard II (1076-1092), Manassès (1093-1103) et Odon de Tournai (1105-1116). Cependant ces personnages étaient encore très proches, puisqu’ils en étaient issus, des familles aristocratiques de la région.
Les abbayes
Comme je l’ai écrit dans le chapitre précédent, beaucoup d’abbayes furent détruites ou très endommagées par les raids vikings (880-891 en Hainaut). Il fallut l’intervention des comtes Régnier pour les relever. Ceux-ci en profitèrent pour se le accaparer: nommer les abbés (pouvoir spirituel) et se faire nommer ensuite abbés laïcs (ou avoués) pour participer aux bénéfices (pouvoir temporel). Certaines abbayes leur échappèrent cependant lorsque survinrent leurs démêlés avec les empereurs Otton I et Otton II.
Deux mouvements de réforme au Xème siècle vont influencer fortement les statuts et les modes de fonctionnement des abbayes:
- des réformes lotharingiennes, de la part d’abbés exceptionnels (Gérard de Brogne, notamment à Saint-Ghislain, Richard de Saint-Vanne à Lobbes, et d’autres à Gembloux, Stavelot, Saint-Amand, Florennes, …)
- les réformes clunisiennes (originaire de l’abbaye de Cluny) qui vont mettre l’accent sur la prière, la méditation le travail intellectuel, sur une meilleure administration des domaines, sur la culture et l’art. Ce mouvement participa aussi d’une émancipation par rapport aux pouvoirs royaux et impériaux. Ce qui va réjouir chez nous les comtes qui tentaient de prendre leurs distances par rapport à ceux-là.
Dans ce contexte, il faut distinguer l’évolution des anciennes abbayes fondées au VIIème siècle et les nouvelles fondations. Les premières étaient devenues de grands propriétaires fonciers. Leurs bénéfices étaient immenses. Elles avaient obtenu d’exercer les droits féodaux (administration, police, justice, fiscalité et corvées) sur leurs domaines. Malgré les réformes, la plupart d’entre elles vont rester très liées à l’aristocratie laïque dont les abbés étaient en général issus. Progressivement elles vont même participer, en tant que seigneurs temporels, au pouvoir comtal. A ce propos, l’évêque Gérard de Florennes, avec celui de Laon, furent des promoteurs de la division de la société en trois ordres: le clergé, les nobles (guerriers) et le peuple travailleur au service des deux autres (division ternaire déjà existante chez les Indo-Européens!).
Les abbayes du “siècle des Saints”
Il est difficile de savoir à quel moment précis les moniales décidèrent de se constituer en “Chapitre noble des chanoinesses“. Probablement au Xème siècle, même si la première mention écrite n’apparaît que dans une charte de 1123. Comme son nom l’indique, elle était constituée de membres de la noblesse et vivait comme elle. A cette époque, l’ancienne collégiale fut reconstruite en style roman.
Cette abbaye, après avoir appartenu à Charlemagne, puis aux premiers Régnier, passa sous l’autorité d’Otton I et de ses successeurs, et sous la protection de l’évêque de Cambrai qui nommait les abbés. Elle conserva la Règle bénédictine et fut influencée par le mouvement clunisien. Ses relations furent tendues avec les comtes qui la revendiquèrent, mais aussi avec les seigneurs voisins (Boussu, Dour, Baudour) pour des raisons de limitation de domaines.
En 1054 les comtes Baudouin I et Richilde contestèrent les droits de l’abbaye sur de nombreux domaines seigneuriaux, invoquant l’absence de documents écrits en attestant la propriété. Documents disparus lors des raids vikings, se défendaient les abbés. On vit même circuler de faux documents, dont une « charte d’Otton » qui faisait la liste des possessions de l’abbaye. Le comte Baudouin I se permit même de ravager les terres de cette abbaye de Saint-Ghislain et quelques fermes qui lui appartenaient à Dour et Blaugies. Mais il dut réparer, y perdant une partie de son bois de Baudour.
L’abbaye avait déjà obtenu, lors de sa fondation, de nombreux domaines confirmés par les papes Urbain II et Gélase. Un nouveau mouvement de donations en sa faveur eut lieu à la fin de la Querelle des Investitures. Elle s’enrichit alors de:
- Wasmes (Gontier et Gilles de Chin)
- Dour (Guillaume, v1150)
- Blaugies (un quart du village)
- Des fiefs dans les villages suivants: Erquennes, Athis, Roisin, Eth, Bry, Sebourg, Angre, Angreau, Audregnies, Wihéries (le village entier), Elouges, Quiévrain, Warquignies, Wasmuel, Mainvault, Ville-Pommeroeul, Baudour, Basècles, Villers-Saint-Ghislain, Vellereille, Harmignies, Boussoit et des lieux encore plus éloignés.…
Les moines en avaient été chassés par les Vikings en 880. Ils n’y revinrent que vers 1080, à l’époque où Richilde faisait bâtir une forteresse à Amblise (aujourd’hui une partie du territoire de Crespin). Ayant acquis le mode canonial à un certain moment, ils revinrent à la Règle Bénédictine en suivant les réformes de Cluny.
Elle fut naturellement détruite par les Vikings qui s’étaient installés à côté. Elle aurait été relevée vers 960 par Brunon, archevêque de Cologne et duc de Lotharingie, frère de l’empereur Otton I. Elle fut transformée en chapitre canonial et les comtes parvinrent à s’y faire nommer abbés laïcs. Elle suivit la même évolution que Mons.
Saint-Saulve, près de Valenciennes
Cette abbaye était aussi passée à la Règle Canoniale (chapitre). Le comte Baudouin III (1099-1120) la concéda à Cluny qui en fit un prieuré. Moines et chanoines cohabitaient.
En dehors de la vallée de la Haine, mais à proximité, il faut citer: Saint-Pierre-et-Paul à Leuze (bénédictine, puis canoniale), Saint Vincent à Soignies (canoniale), Saint-Pierre à Hautmont (canoniale, puis bénédictine), Sainte-Aldegonde à Maubeuge (canoniale), Abbayes de Maroilles, de Denain et d’Hasnon (canoniales).
Les abbayes du XIème siècle
Elles adoptèrent la Règle Bénédictine et suivirent les réformes clunisiennes. Elles furent aussi fondées grâce à l’aide des comtes ou d’aristocrates mais n’obtinrent pas autant de donations ni de droits seigneuriaux. Elles furent moins riches et comptèrent beaucoup moins sur le plan politique.
- Abbaye Notre-Dame-la-Grande, à Valenciennes, 1076, fondée par Baudouin II
- Abbaye de la Trinité et de Saint-Géry, à Aubechies, 1077, fondée par l’évêque Gérard II, et rattachée à celle de Saint-Ghislain en 1119, par l’évêque Burchard
- Abbaye d’Anchin (Ostrevent), 1079 (sous Anselme de Ribaumont), dans le contexte de la lutte entre Flandre et Hainaut pour l’Ostrevent.
- Sant-Denis-en-Broqueroie, 1081, fondation par Richilde
- Abbaye de Liessies, v1095, fondée par les Avesnes
Les seigneuries d’Avesnes et de Chimay se sont implantées dans les marges boisées d’anciens domaines ecclésiastiques (Maroille, Liessies) vers 1050. Elles encouragèrent des essarts (terres défrichées) et l’implantation de nouvelles communautés rurales.
- Abbaye bénédictine de Ghislenghien fondée en 1127 par Ide de Chièvres
Les abbayes du XIIème siècle
Elles furent marquées par l’apparition de deux nouveaux ordres:
- l’ordre de Cîteaux (cistercien), fondé en 1098, basé sur un suivi rigoureux et littéral de la Règle Bénédictine et préconisant la pauvreté, l’humilité, de rudes conditions de vie, n’acceptant ni dons, ni dîmes (paroisses) ni pouvoirs seigneuriaux.
- Abbaye de Cambron, fondée en 1148 par Anselme de Trazegnies
- Abbaye d’Epinlieu à Mons/Ghlin fondée pour des moniales, à l’initiative de la comtesse Jeanne
- Abbaye de Fontenelles à Valenciennes, entre 1216 et 1228
- Abbaye de l’Olive à Morlanwelz, fondée en 1220 par un ermite,” Guillaume”, grâce aussi à la comtesse Jeanne
- Refuge de l’abbaye Notre-Dame à Ath (Abbiette), fondée en 1234 par la comtesse Jeanne
- l’ordre des Prémontrés, constitué de chapitres séculiers suivant la Règle de Saint-Augustin
- Abbaye Saint-Feuillien au Roeulx, fondée en 1125 par Anselme de Trazegnies à l’endroit où Feuillien, moine irlandais, avait été assassiné au VIIème siècle.
- Abbaye de Bonne-Espérance, à Vellereille-le-Sec, fondée en 1130 par Saint-Norbert
- Abbaye augustine de Bélian à Mesvin, fondée en 1244 pour des moniales
Les mouvements monastiques du XIIIème siècle
Le mouvement d’émancipation de l’Eglise par rapport au monde laïc s’intensifia dans les siècles suivants. Il fut marqué par une emprise plus rigide du clergé sur le peuple et par une tendance à son aristocratisation.
Mais au XIIIème siècle, une autre réaction va se produire. Des laïcs et des clercs vont être partisans d’une vie chrétienne simple, sincère, accessible à tous, basée sur l’apostolat, la pauvreté, la mendicité et une lecture littérale des textes bibliques traduits récemment en langue vulgaire.
Certains de ces mouvements furent considérés par l’Eglise comme hérétiques, tel le mouvement cathare, dans le sud de la France, contre lequel des rois de France (Philippe Auguste, Louis VIII et “Saint” Louis IX) vont lancer une croisade (“des Albigeois”). Cela ne nous concernerait pas si l’un de nos plus valeureux chevaliers n’y avait participé en la personne d’Allard de Strépy, seigneur d’Harchies, de Ville et Pommeroeul, d’Audregnies et de Quévy.
Pour lutter contre ces hérésies et diffuser des messages plus en accord avec ceux de l’Eglise Romaine, deux nouveaux ordres furent fondés au début du XIIIème siècle, par Saint François d’Assise (Franciscains, frères mineurs ou cordeliers), et par Saint Dominique (Dominicains). Tous deux sont des prêcheurs qui vont installer leurs institutions dans les villes.
Valenciennes vit la fondation de cinq de ces institutions: deux franciscaines et deux dominicaines, dont la “Maison de Beaumont”, ainsi qu’une carme. A l’initiative de la comtesse Jeanne.
Mons vit celle, franciscaine, du Couvent du Pré du Joncquois, en 1238.
Dans ce contexte, des femmes désiraient également prendre leur part dans les oeuvres charitables, sans nécessairement entrer dans un Ordre. C’est ainsi que naquirent les béguinages. Intégrées dans la ville, elles s’occupaient des pauvres et des malades, malgré une certaine réprobation de l’Eglise officielle. Plusieurs de ces établissements ne parvinrent d’ailleurs pas à perdurer à cause de cette position de l’Eglise.
On vit dans ce même XIIIème siècle s’installer des béguinages à:
- Valenciennes, en 1239
- Mons, celui du Cantimpret (sortie vers Cuesmes) en 1245 et celui de Saint-Germain sur la colline, tous deux sous la protection du chapitre noble des chanoinesses de Sainte-Waudru.
- On en vit aussi à Maubeuge, Soignies, Beaumont, Braine-le-Comte, Binche, Ath et Enghien.
Pour être complet, il faut y ajouter:
- le prieuré du Val-des-Ecoliers à Mons, 1252, chapitre régulier de moines augustins, à l’initiative de la comtesse Marguerite. Il sera abandonné à la fin du XVIIIème siècle, transformé en hôpital. Puis sera détruit au XIXème pour être remplacé par une distillerie et une poste.
- le couvent des Trinitaires d’Audregnies, à l’initiative d’Allard de Strépy, cité plus haut. Les Trinitaires avaient pour mission de libérer les chrétiens tombés aux mains des Sarrasins en Méditerranée
La comtesse Jeanne favorisa aussi l’implantation d’hôpitaux, lieux de séjour pour les voyageurs et les malades : St Lazare à Mons, St-Nicolas à Havré.
Déjà au siècle précédent, Eve “Damison” de Chièvres (v1120-1180) avait fondé un hôpital Saint-Nicolas dans sa ville.
Jean d’Avesnes fondera l’hôpital des Soeurs Grises à Mons (1296). Au XIVème siècle, le seigneur de Quiévrain fit aussi construire un Hôpital Saint-Nicolas.
Les paroisses
Lorsque les premiers villageois organisèrent leurs communautés rurales en se regroupant, ils le firent en même temps sous forme de communauté paroissiale dédiée à un saint ou à la Vierge. Ce faisant, ils jouissaient d’un sanctuaire et d’un officiant contre une rémunération, appelée dîme. Dans ces premiers siècles, les seigneurs locaux, laïcs ou ecclésiastiques, étaient propriétaires des lieux (souvent une chapelle aménagée dans le château), nommaient les curés et s’appropriaient les revenus.
Avec les réformes évoquées plus haut, les seigneurs durent céder ces avantages. On alla même jusqu’à interdire aux laîcs de posséder un bien ecclésiastique. Ils durent proposer à l’évêque un candidat assurant les offices et les sacrements.
Au XIème et surtout au XIIème siècle, à l’initiative de l’évêque de Cambrai, confirmée par le pape, toutes les paroisses furent remises dans les mains d’institutions ecclésiastiques (abbaye, chapitre régulier et épiscopal). C’est de ces institutions que dépendaient l’église, bâtie dans le village, l’entretien des locaux, la nomination de prêtres, les dîmes et parfois des terres à revenus – comme le fief de Ponengre à Thulin qui appartenait au curé, lui-même dépendant de l’abbaye de Saint-Ghislain). D’une certaine façon, les maisons religieuses assumaient la charge de “curés” de paroisses et jouissaient de tous les revenus y afférant.
Durant ces siècles (XIème, XIIème et XIIIème) qui connurent un bel essor économique, une augmentation de la population et du nombre de communautés rurales et urbaines, ces paroisses furent donc, pour certaines institutions religieuses, un apport financier extraordinaire. Celles de Mons et Saint-Ghislain en bénéficièrent particulièrement.
Les doyennés (ou décanats)
Il s’agissait d’un ensemble de paroisses réunies sous l’autorité d’un doyen, lui-même sous les ordres de l’évêque de Cambrai.
Ils apparurent entre 1150 et 1177 à l’initiative des évêques.
On relève, en ce qui concerne les villages de la vallée de la Haine, les doyennés de Mons, de Chièvres, de Binche, de Maubeuge, d’Hornu (entre 1073 et 1159, transféré ensuite à Bavay (1159-1801), et de Valenciennes.
Le Concordat de 1801 remodifia cette géographie des doyennés.