20. De 1433 à 1515

Bourguignons et Autrichiens

Le comté de Hainaut, province jusqu’ici autonome depuis les Régnier, fut absorbé dans un grand espace: les Etats Bourguignons des Pays-Bas. Philippe le Bon, déjà duc de Bourgogne, comte d’Auxerrois, de Charolais, de Mâconnais et de Franche-Comté, comte de Flandre et d’Artois, depuis le décès de son père par assassinat en 1419, s’appropria par la suite, par héritages ou par achats, les comtés de Namur et de Luxembourg, le duché de Brabant, celui de Limbourg et le marquisat d’Anvers, et finalement les comtés de Hainaut, de Hollande et de Zélande. Soit l’actuel Benelux, sans la principauté épiscopale de Liège, mais augmenté des provinces françaises citées plus haut, les unes royales (vassales du roi de France), les autres impériales (vassales de l’empereur).

Les faits politiques

Sous Philippe de bourgogne “le Bon” (1433-1467)

C’était un être intelligent, ambitieux, revanchard, puissant.

Lors de son mariage en 1429 avec Isabelle de Portugal, il fonda l’Ordre de la Toison d’Or, ordre de chevalerie en l’honneur de Dieu, de la Vierge et de Saint-André. De ce fait, il se rapprochait de l’Eglise et se montrait l’égal des autres souverains occidentaux. Cet Ordre récompensera de très nombreux seigneurs hennuyers.

Philippe “le Bon”

Revanchard, après l’assassinat de son père, Jean “sans Peur”, par les partisans du roi de France, il prit le parti des Anglais et ne fut pas innocent lors de la capture de Jeanne d’Arc. En effet, c’est un de ses officiers, Jean de Luxembourg, qui s’en chargea pour la livrer aux Anglais.

Malin, parce que, ne recevant pas d’aide des Anglais, il se rapprocha du roi Charles VIII de France avec qui il signa le Traité d’Arras confirmant la propriété souveraine de tous ses états, y compris des états vassaux royaux, ainsi que celle de villes picardes qu’il s’était appropriées par la guerre. En échange, il réunit des troupes sous la conduite, notamment de Jean de Croÿ et de Jacques de Harchies, qui aidèrent les Français à reconquérir leurs territoires perdus durant la deuxième phase de la Guerre de Cent Ans.

Lorsque le roi de France, Charles VIII, mourut en 1461, son fils Louis XI lui succéda. Un personnage aussi très ambitieux, et surtout un roublard. Du vivant de son père, Il s’était rebellé contre lui, ce qui lui valut de devoir fuir dans son Dauphiné, puis en Brabant, au château de Genappe, où il se fit des amis chez les Bourguignons, notamment chez les de Croÿ.

Collier de la Toison d’Or

Philippe le Bon, vieillissant, commença à partager le pouvoir avec son fils Charles “le Téméraire”, ennemi  juré de la France, mais il se laissa aussi aller à suivre les conseils des de Croÿ (ventes des villes de la Somme à Louis XI), conseils malvenus aux yeux de Charles, qui les fit exiler.

Charles de bourgogne “le Téméraire” (1467-1477)

Lorsqu’il succéda à son père, il avait déjà eu l’occasion d’aller faire la guerre en France, d’y remporter quelques victoires et de forcer le roi Louis XI à rendre les villes rachetées dans la Somme.

Charles le Téméraire

Plus ambitieux, mais aussi plus audacieux (d’où son surnom), il fut avant tout un chef de guerre. Il intervint à plusieurs reprises en principauté liégeoise. Il passa surtout ses dix années de règne à combattre son ennemi français. Il était plus puissant, mais nettement moins rusé. Louis XI ne cessa de stimuler des révoltes en principauté de Liège et dans les villes flamandes. Il chercha à affamer flamands et hennuyers en envoyant ses troupes piller et incendier les châteaux ruraux, les fermes et les champs. Il décréta un embargo des céréales et de la laine vers les Pays-Bas. Ses corsaires attaquaient les pêcheurs en mer. Il taxait fortement les importations.

Pris à la gorge, Charles le Téméraire voulut chercher de nouveaux débouchés vers le Rhin et le Rhône, notamment en réunissant ses provinces françaises à celles des Pays-Bas, séparées par l’Alsace et la Lorraine. Il se lança alors dans des aventures qui lui valurent d’affronter les Suisses et les Lorrains soutenus par Louis XI. Il finit par se faire tuer en assiégeant Nancy début 1477. Jacques de Harchies y laissa aussi la vie et Philippe de Croÿ y fut fait prisonnier.

Pendant ces années, de 1475 à 1478, les troupes royales françaises décimèrent toute l’économie hennuyère. De nombreux châteaux furent incendiés ou gravement endommagés (Beaumont, Chimay,  Maubeuge, Bavay, Le Quesnoy, Bouchain, Condé, Harchies, Bernissart, Blaton, Boussu). Les campagnes furent mises à feu et à sang (Leuze, Péruwelz, Stambruges, Ville, Basècles, Marchipont, Cuesmes sont mentionnés dans des documents, mais il est fort probable que tous les villages entre Valenciennes et Mons furent touchés). Louis XI échoua devant Saint-Ghislain et Beloeil.

Sous Marie de Bourgogne (1477-1482) et Maximilien d’Autriche (1477-1494)
Marie de Bourgogne

La fille du Téméraire lui succéda. Face à elle, Louis XI continua son travail de sape, désireux d’accaparer les Pays-Bas. Il excitait les villes flamandes et les Etats à la révolte. Marie dut leur concéder de nombreux privilèges.

Quelques mois après sa prise de pouvoir, elle épousa l’archiduc d’Autriche, Maximilien de Habsbourg, ancêtre d’une très longue lignée de souverains de nos Etats (jusqu’à la Révolution). Celui-ci réorganisa l’armée et, depuis son quartier général de Mons, avec l’aide, notamment, des seigneurs de Boussu et de Beloeil-Ligne, il repoussa les armées françaises hors du Hainaut. Il ne put cependant pas empêcher Louis XI de s’emparer de la Bourgogne.

Maximilien d’Autriche

Marie mourut accidentellement à la chasse en 1482. Ses enfants, Philippe et Marguerite, étaient très jeunes. Maximilien assura la régence. Il fit la paix à Arras avec Louis XI et lui céda la Bourgogne. On fiança le dauphin français et Marguerite. Avec la promesse d’une dot énorme: les provinces françaises (Franche-Comté, Mâconnais, Auxerrois, Artois). C’en était fini des Etats Bourguignons.

Louis XI mourut l’année suivante. Ses successeurs vont heureusement se désintéresser des Pays-Bas et s’engager dans des campagnes militaires en Italie. Ce qui donnera l’occasion aux Hennuyers, complètement ruinés à la fin de cette période, de panser leurs plaies et de lentement retrouver la prospérité.

Entretemps, Charles VIII de France répudia la jeune Marguerite d’Autriche, lui préférant la duchesse de Bretagne, uniquement pour des raisons politiques. Il signa à Senlis un nouveau traité avec Maximilien, lui restituant la dot promise.

En 1493, l’empereur Frédéric III mourut. Les électeurs allemands élurent son fils, l’archiduc Maximilien. Celui-ci céda le pouvoir des Pays-Bas à son fils, Philippe.

Philippe d’Autriche “le Beau” (1494-1506)
Philippe le Beau

Plus modéré et bien conseillé, il sut se faire aimer de ses villes et de son peuple, notamment en confirmant les concessions qu’avait consenties sa mère.

Sa soeur, Marguerite, épousa l’héritier du trône d’Espagne qui mourut très rapidement. Lui-même épousa la sœur, Jeanne de Castille, restée devenue héritière d’Espagne. Mais, isolée dans les terres froides et grises du Nord, celle-ci déprima et céda à la folie.

Philippe “le Beau” mourut inopinément en 1506.

Sous la régence de Marguerite d’Autriche (1506-1515)

Philippe laissait après lui un enfant de 6 ans, Charles. Sa tante Marguerite assura la régence depuis Malines.

L’organisation du pouvoir

Avec la réunion de tant de duchés et de comtés dans ce grand ensemble qu’étaient devenus les Etats Bourguignons, Philippe le Bon eut à réformer les rouages du pouvoir, cherchant avant tout à le centraliser.

Il légiféra beaucoup, conseillé par une chancellerie (ministère) très compétente où figuraient Nicolas Rolin, un bourguignon, devenu aussi seigneur de Houdeng-Aimeries, les frères Antoine (seigneur du Roeulx, de Condé et de Beaumont) et Jean de Croÿ (seigneur de Chimay, de Quiévrain et d’Ecaussinnes).

Philippe le Bon créa le Grand Conseil Ducal (gouvernement) et les Etats Généraux des Etats Bourguignons (parlement) qui regroupaient tous les Etats Provinciaux. Il rassembla les Cours de Justice et créa trois chambres des Comptes. Charles le Téméraire créera le Parlement de Malines (cour suprême de justice et juridiction d’appel). Conseil et Parlement furent supprimés par Marie de Bourgogne sous la pression des villes révoltées, mais Philippe le Beau les restaurera et rassemblera les trois chambres des comptes en une seule à Malines. Cette ville était devenue la capitale politique et administrative des Pays-Bas.

Le Hainaut conserva beaucoup d’autonomie, relativement à d’autres provinces. L’absence d’un comte à demeure à Mons donna plus de pouvoir et de prestige aux grands baillis dont les compétences administratives, judiciaires, fiscales et militaires étaient très étendues. Pour ceux qui détinrent cette charge, c’était le couronnement d’une carrière. Ce personnage était aidé dans ses tâches par les Etats de Hainaut où étaient représentés les trois ordres (noblesse, clergé, bourgeoisie), et par deux institutions judiciaires, la Cour Souveraine et le Conseil Ordinaire, déjà évoqués dans le chapitre précédent.

Les Bourguignons menaient une vie de fastes en leurs cours et furent de grands mécènes. Ils résidaient peu à Dijon, capitale un peu austère de leur duché initial. Ils préféraient l’opulence des villes flamandes (Gand, Bruges) et brabançonnes (Bruxelles, Malines). Par contre, hormis lors de leurs entrées solennelles, ces souverains ne vinrent jamais en Hainaut.

C’est pendant cette période bourguignonne que quelques grandes familles de seigneurs hennuyers sont apparues dans les hautes sphères du pouvoir hennuyer et central (grand bailli, gouverneurs de villes fortifiées, ambassadeurs, conseillers, chambellans, …): Croÿ, Lalaing, Hennin-Liétard, Haynin, Harchies, Ligne, …

L’économie urbaine

Malgré la Guerre de Cent Ans et celles menées par Louis XI, les villes hennuyères souffrirent relativement peu dans leurs activités économiques et commerciales. Elles parvenaient toujours à s’approvisionner en matières premières (essentiellement la laine) et à trouver des débouchés (surtout vers le nord et l’est), quitte à modifier le type de productions (sayetteries, toiles de lin). Les ducs de Bourgogne, Philippe et Charles, favorisèrent ce mouvement, réduisant les droits de douanes entre leurs provinces, créant ici et là des foires et des marchés. Quelques petites cités rurales en profitèrent, comme Quiévrain qui obtint le droit de tenir marché et de construire des halles.

Le nombre d’agglomérations urbaines augmenta au XIVème et au XVème siècle. Elles reçurent le statut de “bonnes villes du Hainaut” et le droit pour leurs bourgeois de se faire représenter dans les Etats du comté à côté des nobles et des ecclésiastiques. A la fin du XVème siècle, Mons et Valenciennes restaient les villes les plus importantes, mais on pouvait compter, à côté:

  • Leuze, Ath, Chièvres, Lessines, Enghien, Soignies, Braine-le-Comte, Hal
  • Chimay, Beaumont,
  • Le Roeulx, Binche
  • Avesnes, Landrecies, Bavay, Maubeuge, Le Quesnoy
  • Bouchain, Condé, Saint-Ghislain

A Mons, dans la seconde moitié du XVème siècle, on construisit la collégiale gothique Ste-Waudru et l’Hôtel de Ville. Quelques nouveaux métiers y prospéraient (chaudronnerie, cordonnerie, bois).

A Saint-Ghislain, les moines bénédictins adoptaient les moeurs et le luxe aristocratique. Menacés par Louis XI, ils firent construire un refuge à Mons.

Ath reçut en 1458 le monopole des toiles (“étape”), ce qui lui permit d’écouler ses productions dans toute l’Europe.

Le monde rural

Ce sont les campagnes qui souffrirent le plus de ce XVème siècle. Jusqu’au milieu du XIVème, elles avaient bénéficié de la paix et de la prospérité, en dehors des épisodes de pestes et de catastrophes naturelles (hivers rudes, sécheresse).

La Guerre de Cent Ans, si elle se déroula ailleurs, n’en eut pas moins de conséquences ici, surtout dans le sud du comté. Des bandes armées livrées à elles-mêmes écumaient les campagnes, volant, violant, tuant et incendiant les fermes et les chaumières. On mentionne de tels actes à Bougnies (1433), Bavay (1434, 1439) et Marchipont (1453). Sans doute aussi y en eut-il dans d’autres communes.

Une nouvelle grande famine affecta le comté en 1437 et 1438, de même en 1480-1481.

A la Guerre de Cent Ans, succéda celle déclenchée entre Charles le Téméraire et Louis XI. Celle- ci fut beaucoup plus désastreuse chez nous, surtout à l’ouest de Mons. Sitôt les armées françaises repoussées par Maximilien, des bandes de mercenaires allemands libérés de leur contrat se mirent à se livrer à des exactions du côté de Boussu et de Saint-Ghislain vers 1482. On dut au seigneur de Boussu, Pierre de Hennin-Liétard, de mettre fin à ces actes.

Les institutions ecclésiastiques

On l’a vu dans le chapitre précédent, l’Eglise connaissait à cette époque une crise profonde. On comptait deux, ou trois papes, à Rome, à Avignon, et ailleurs. Jusqu’à ce que le Concile de Constance (1414-1418) mette fin au Grand Schisme.

Nos évêques de Cambrai au XVème siècle ne valaient pas mieux. Certains menaient une vie dissolue, d’autres couraient après les charges. Ils étaient rarement présents dans leurs diocèses et se faisaient remplacer par des auxiliaires.

Les abbayes n’étaient pas mieux loties, avec des abbés nommés par Rome, ou par les ducs, souvent étrangers à leur communauté et aussi peu présents. Les guerres ont souvent chassé les moines de leurs abbayes rurales (comme à St-Ghislain, Crespin, Hautmont et Saint-Denis). C’est dans les villes (Mons, Valenciennes, Ath, Binche) qu’ils cherchaient refuge.

Les curés des paroisses, qui dépendaient des abbayes et des chapitres, résidaient rarement dans celles-ci et se faisaient remplacer par des vicaires mal instruits et mal rétribués.

L’enseignement

Il était réservé aux populations aisées. Celles des villes, d’abord. Pour accéder aux magistratures et aux fonctions publiques, il était devenu nécessaire d’avoir une formation en comptabilité et en droit. On trouva à Mons et à Valenciennes des écoles qui dispensaient cette formation.

Dans les campagnes, des écoles apparurent dès le XIIIème siècle et commencèrent à se multiplier. Elles enseignaient les matières fondamentales. Le plus souvent payantes, elles étaient réservées aux plus riches (seigneurs et paysans aisés). D’ailleurs, le petit peuple avait besoin de ses enfants aux champs et à l’étable où il n’était nul besoin de savoir lire et écrire. Quelques abbayes dispensaient aussi un certain enseignement.

Telle resta la situation durant encore quelques siècles.

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