ou la Révolution chez nous (1792-1814)
Le 24 avril 1792, une grande majorité de l’Assemblée française vota l’entrée en guerre contre l’Autriche et obligea son roi Louis XVI à contresigner. On le fit immédiatement savoir au général Beaulieu, commandant des troupes autrichiennes installées … à Mons.
Une première tentative, un échec
L’armée française, alors, n’était pas bien organisée, composée de volontaires mal préparés. Il est vrai qu’en face, c’est-à-dire chez nous, les troupes pour défendre de notre territoire n’étaient pas très nombreuses. Elles étaient commandées, entre autres, par le prince de Ligne et le comte de Clerfayt.
Les Français croyaient que les Belges, ralliés aux « hautes idées révolutionnaires », allaient les accueillir à bras ouverts. Il est vrai que bon nombre de nos” compatriotes” (peut-être peut-on les appeler ainsi maintenant) étaient tentés par cette nouvelle idéologie démocratique (surtout du côté de Liège) et que 1500 Wallons étaient déjà partis rejoindre les rangs français à Lille. A Mons aussi, on dénombrait beaucoup de Jacobins (républicains antiroyalistes) et d’anticléricaux.
Une armée de 10.000 soldats français commandés par le général Biron fut stationnée à Famars, près de Valenciennes. Le 28 avril 1792, elle vint s’établir à Quiévrechain et Crespin. Le lendemain, elle délogeait une petite garnison autrichienne qui tenait la frontière à Quiévrain. Ils exhortèrent les Quiévrenois à l’indépendance et plantèrent un “Arbre de la Liberté”. Ils abattirent le pilori, symbole de la justice seigneuriale, démolirent les halles au passage, pillèrent le bureau du prévôt (l’intendant du duc d’Arenberg, seigneur du lieu) et obligèrent le curé à prêter serment.
Sûrs d’eux-mêmes, ces vaillants soldats prirent la direction de Mons, sur cette belle route pavée, récemment construite. Le 30 avril, le général Beaulieu les attendait autour de Mons avec 500 hommes “austro-wallons”. L’avant-garde se trouvait à Quaregnon et le reste se tenait sur les hauteurs de Jemappes. Les arrivants n’obtinrent pas, sur leur route, les acclamations auxquelles ils s’attendaient. On fit bivouac à Hornu, mais, la nuit, des coups de feu semèrent la panique dans les rangs français qui reculèrent en débandade vers la frontière, poursuivis par des uhlans autrichiens. Une mésaventure identique se déroula à Marquain près de Tournai. Les Autrichiens s’avancèrent même en France. Bavay fut investie le 15 mai et l’armée française connut une défaite près de Maubeuge, avant de repousser les assaillants sur leurs frontières à Goegnies-Chaussée.
Les mois suivants, eurent lieu quelques escarmouches insignifiantes. Le gouverneur des Pays-Bas, le duc de Saxe-Teschen, avait entretemps rassemblé 27.000 hommes, déployés sur la frontière depuis la mer du Nord jusqu’au Hainaut.
Le 6 juillet 1792, la Prusse se rangea du côté de l’Autriche et vint renforcer ses armées dans les Ardennes. Elles s’emparèrent de Longwy et repoussèrent les Français jusqu’à Metz et Verdun. On dut au général Dumouriez de les arrêter dans une bataille où Charles de Ligne, le fils aîné du prince déjà cité, fut tué. Le général Clerfayt avait aussi poussé jusqu’en Champagne.
Puis le sort s’inversa. Le 20 septembre 1792, Dumouriez battait les Prussiens à Valmy, alors qu’à Paris, la Convention, après avoir voté la déchéance de Louis XVI, proclamait la république. La guerre reprit de plus belle dans le nord en octobre.
La deuxième tentative, la bonne
Dumouriez rassembla son armée à Valenciennes. Son premier objectif était Mons. 40.000 hommes furent massés dans les plaines de Quarouble et d’Onnaing, dont une “Légion Belge”. Une autre armée se trouvait à Lille. Saxe-Teschen fit dépaver la chaussée de Mons-Quiévrain.
Le 24 octobre, les premières troupes pénétrèrent en Belgique par Blaton et Basècles. Elles furent repoussées. Mais Quiévrain était mal défendu et, le 28 octobre, Dumouriez poussa ses soldats vers Hensies, Pommeroeul et Montroeul-sur-Haine. La zone étant marécageuse, il les déplaça vers le sud. Les Belgo-Autrichiens du comte Sztaraj les retint à Baisieux. Entre Mons et la frontière, trois lignes de défense attendaient. La première se trouvait sur les hauteurs de Hainin et du Bois de Boussu, la seconde à Quaregnon et la troisième à Jemappes. Quelques échauffourées à Thulin et Hainin firent reculer momentanément les Français.
La bataille fut réellement engagée le 2 novembre entre Elouges et Thulin. Les assaillants dominèrent d’abord la situation, mais les uhlans autrichiens massacrèrent une grande partie de la “légion belge” incorporée dans les rangs français. On recula vers Quiévrain et Crespin. Le 4 novembre, l’avant-garde française et la “légion belge” reprenaient pied à Hensies, Montroeul, Thulin. Elles s’avançaient vers Hainin et Boussu. Les Autrichiens, abandonnant Saint-Ghislain, durent reculer sur Warquignies et Pâturages alors que des renforts français arrivaient de Bavay par Dour. Les assaillants avaient atteint Hornu. C’était la nuit. On bivouaqua. Dumouriez et son état-major dînèrent à l’Hôtel du Cerf à Boussu et installèrent leur QG à la ferme de la Court à Wasmes. Les habitants des villages occupés durent fournir les vivres aux soldats et aux chevaux. Les chariots furent réquisitionnés pour transporter les blessés à l’arrière. On enterra les morts dans les champs de Montroeul, Thulin et Hainin. Le château d’Hainin (propriété du comte de Clerfayt) avait été détruit.
Le 6 novembre, on commença à se battre à Quaregnon, puis à Jemappes où les troupes autrichiennes furent contournées grâce à l’aide de Jemappiens convertis à la révolution. Victoire française de Dumouriez sur l’armée autrichienne commandée par Saxe-Teschen et Clerfayt.
Le lendemain, 7 novembre, Dumouriez entrait à Mons, reçu par le clan républicain qui lui remit les clés de la ville. Il y résida cinq jours. Il n’avait plus ni argent, ni vivres, ni ravitaillement pour ses troupes et laissa celles-ci “se servir” chez la population locale.
Les Autrichiens, découragés, quittèrent le sol belge, abandonnant l’ensemble de leurs Pays-Bas au nouvel envahisseur et aux républicains locaux. Mais si Dumouriez tenta bien de se concilier les Belges, il n’en fut pas de même de la Convention de Paris qui imposa un régime de vainqueur.
Première occupation
La France s’empressa de proclamer la déchéance impériale, l’annexion des Pays-Bas autrichiens, la suppression des Etats Provinciaux, des institutions et des privilèges, et l’abolition des Ordres. Elle commença à installer une administration. Des églises furent profanées (notamment le fameux Jubé de Dubreucq à Sainte-Waudru) et les biens des ecclésiastiques furent pillés. L’église Saint-Germain de Mons fut rasée et l’église Sainte-Elisabeth devint un” Temple de la Raison”. Les châteaux furent délestés de leurs oeuvres d’art au profit des palais et des musées français. Les arrestations furent multiples et arbitraires, les exactions nombreuses. De lourdes contributions furent imposées aux habitants.
On eut beau envoyer des émissaires à Paris pour présenter des doléances. Ils ne furent pas reçus. Par contre, Danton vint à Mons féliciter les Jacobins locaux en 1793. Il faut dire qu’à Paris, la guillotine commençait à fonctionner à l’envi. Le roi et sa famille y passèrent en janvier 1793. La Terreur s’installait avec le Tribunal Révolutionnaire (mars 1793) et le Comité de Salut Public (avril 1793). Les soldats français, mal payés et démoralisés désertaient. Dumouriez avait même changé de camp.
Une tentative de restauration autrichienne
Autrichiens et Prussiens rassemblèrent une forte armée à laquelle se joignirent des troupes belges. Dès mars 1793, celles-ci affrontèrent victorieusement les troupes françaises rencontrées à l’est, notamment à Neerwinden. Elles atteignirent Mons le 27 avril, où on vit même l’empereur qui les suivait. Une armée française stationnée à Boussu fut mise en déroute le 28 avril. Les Français se retirèrent à Condé et à Valenciennes. Le prince de Saxe, commandant en chef des armées alliées, s’installa au château de Boussu. Tous ces mouvements de troupes s’accompagnèrent naturellement de pillages auprès des populations.
On s’empressa de remettre en place les anciennes institutions, alors que le prince de Saxe s’emparait de Condé, Valenciennes, Le Quesnoy, Bavay et Maubeuge. L’ancien comté de Hainaut était reconstitué!
Cependant, malgré le retrait des réformes de Joseph II, les Belges étaient mûrs pour l’indépendance, qu’ils réclamèrent, tout en refusant de voter les nouveaux impôts de guerre. L’empereur François II, pour les amadouer, vint même se faire introniser à Bruxelles en avril 1794 “souverain des Pays-Bas indépendants”.
A Paris, la Terreur régnait. En juillet, Robespierre et la Commune prenaient l’ascendant sur Danton et les “modérés”. On réorganisait l’armée: 750.000 hommes! Toute l’économie du pays était tournée vers la guerre. Malgré les protestations, les émeutes et les guerres de Vendée. Les “jusqu’au-boutistes” révolutionnaires avaient le pouvoir. L’armée commençait de nouveau à remporter des succès à l’est contre les Austro-Prussiens.
Deuxième occupation sous le Directoire
Juin 1794. Le général Jourdan, à la tête d’une forte armée française, pénétrait par la Sambre, prenait Lobbes, Mariemont, puis Charleroi avant de l’emporter définitivement sur les Autrichiens à Fleurus le 25 juin. Mons était reprise le 1 juillet. Le reste du pays suivit en quelques jours, ainsi que les villes françaises du Nord conquises l’année précédente. La moitié du village d’Harvengt avait été incendiée. Peissant et d’autres villages avaient été saccagés. Mariemont avait été bombardée, puis pillée.
Recommencèrent le pillage organisé, les réquisitions de vivres, de chevaux, de charriots, de fourrages, les confiscations, les vexations, les tortures et les massacres. Les religieux, étaient des victimes particulièrement ciblées. Les impôts furent rétablis, six fois plus lourds que ceux des Autrichiens. Le pays était ruiné.
C’est ce pays que la Convention de Paris annexa le 1 août 1795. Etaient regroupés en un seul état les Pays-Bas autrichiens, la principauté de Liège, Stavelot et Malmédy, ainsi que le duché de Bouillon. A Paris les “ultra” (Robespierre, Saint-Just, les Communards) étaient éliminés.
Un arrêté du Comité de Salut Public du 14 Fructidor, an III (31 août 1795) supprima à nouveau les anciennes institutions, les ordres, les corporations, les droits féodaux et l’autonomie des provinces. Le territoire nouvellement annexé était divisé en neuf départements dirigés par un préfet. Le Hainaut, auquel on avait ajouté le Tournaisis, Charleroi, Fleurus, Thuin, Châtelet et Gosselies, devenait le département de “Jemmappes”. Il était divisé en trois arrondissements ou districts (Mons, Tournai, Charleroi). Les communes devenaient des municipalités, gérées par un maire et des adjoints.
Un décret du 14 Brumaire de l’an IV (8 novembre 1795) abolit le régime seigneurial des justices et des dîmes. Les grands domaines seigneuriaux furent démantelés. Leurs propriétaires en conservèrent certaines parties sans, toutefois, les droits féodaux qui leur étaient associés. Le prince de Ligne, grand propriétaire au nord de la Haine, se réfugia à Vienne où il mourut. Il s’y était consacré à l’écriture. On doit à son fils d’avoir récupéré plus tard le château et ses propriétés forestières.
A Paris, la Convention et le Comité de Salut Public furent remplacés le 26 septembre 1795 par le Directoire et un Conseil des Cinq-Cents.
Les Français réformèrent, chez eux et chez nous, la justice et le système fiscal, pour que l’impôt soit équitablement réparti. Par le décret du 2 Frimaire an IV (23 novembre 1795), furent instaurés les cantons judiciaires avec les tribunaux de justice de paix (correctionnelle). Thulin devint le chef-lieu d’un canton de 28 communes comprenant Boussu et Dour, avec son tribunal et sa gendarmerie. Quiévrain en était un autre, ainsi que Mons et Binche.
Les ordres religieux furent supprimés le 1 septembre 1796 et , avec eux, les chapitres épiscopaux et abbatiaux. Disparurent Sainte-Waudru, Saint-Ghislain, Crespin, Saint-Denis-en-Broqueroie, Bélian à Mesvin, Leuze, Maubeuge, … Les églises des couvents furent transformées en casernes ou en dépôts. La plupart des biens de ces institutions furent vendus en quelques années comme biens publics, en général à de riches bourgeois, des entrepreneurs et des commerçants. Des églises étaient transformées en “temples de la raison” où des délégués de la République venaient tenir des discours enflammés, pro-républicains et antireligieux. Le citoyen Guérin de Boussu excellait dans cette activité, … et s’enrichissait de la vente des biens religieux. Les curés et les moines avaient fui ou avaient été expulsés. D’autres plus courageux continuaient à pratiquer leur culte en cachette.
Ce furent des années de misère (1794-1798). Les récoltes étaient maigres. La famine régnait. Le commerce était réduit. L’exploitation houillère était en plein marasme. Mons était délabrée. Les campagnes et les villes vivaient dans l’insécurité. C’est durant ces années que le bandit Moneuse et sa bande de “chauffeurs du Nord” écumèrent la région. Des soulèvements, çà et là, étaient durement réprimés.
La situation n’était pas meilleure de l’autre côté de la frontière. Les royalistes résistaient. Et il fallait intensifier les guerres extérieures, à la fois contre la menace autrichienne et anglaise, mais aussi pour exporter la révolution. Le 5 septembre 1797, le Directoire instaura la conscription, soit l’obligation du service militaire. Cette mesure arriva chez nous dès 1798. Si la vie de soldat intéressait une partie de la jeunesse (nous eûmes nos héros dans les armées napoléoniennes!), ce ne fut pas le cas de tous. Soit ils avaient horreur de la guerre, soit ils se voyaient obligés de travailler aux champs pour nourrir leur famille. Il y eut donc beaucoup de désertions, d’où des poursuites, des battues, des mises sous séquestre des biens familiaux. Des révoltes eurent lieu à Hasselt, Tournai, Leuze, Ath et Enghien.
Entretemps, le traité de Leoben (18 avril 1797) officialisa le passage des Pays-Bas de l’Autriche à la France, passage confirmé par le Traité de Campoformio le 17 octobre de la même année. Un certain Napoléon Bonaparte, devenu général et très intéressé par le pouvoir, devenait fort influent auprès du Directoire. Il se lançait dans des guerres de conquête (Nord de l’Italie en 1796 et 1797, Egypte en 1798, Sud de l’Italie en 1799).
Occupation sous le Consulat et l’Empire
Le 18 Brumaire de l’an VII (9 novembre 1799), un coup d’Etat à Paris remplaça le Directoire par un consulat composé de trois hommes, dont un premier consul, Bonaparte lui-même. Il détenait l’exécutif.
Au contraire des jusqu’au-boutistes révolutionnaires, Napoléon s’avéra un despote éclairé. Il chercha d’abord la réconciliation en rendant sa liberté au culte religieux, en décrétant des amnisties, en réformant la monnaie, la fiscalité, l’administration, la police, la justice et le droit (différents codes, civil, criminel, commercial et pénal virent le jour entre 1804 et 1810). En réalité ces réformes faisaient la part belle aux notables et aux bourgeois.
La situation se calma partout en France et dans les territoires conquis. Les autorités favorisèrent une reprise de l’économie, de l’agriculture, de l’industrie, de l’exploitation houillère, du commerce (vers la France) et du transport. Napoléon décida, en 1807, la construction du canal Mons-Condé, pour remplacer la navigation insuffisante de la Haine. On le vit, passant par Quiévrain, venir inspecter l’avancement des travaux à Hensies, Saint-Ghislain et Mons, en 1810 et 1813. Ce canal sera terminé sous le régime hollandais.
Si les trois ordres avaient disparu (et avec eux les privilèges de l’aristocratie et du clergé), deux sociétés se mettaient en place, celles des riches (aristocrates et bourgeois) et celle des pauvres (peuple ouvrier), qui allaient s’opposer au siècle suivant.
En juillet 1801, Napoléon s’accorda avec le pape Pie VII pour signer un “Concordat” qui réorganisait l’Eglise, les diocèses et le clergé. L’Eglise devenait soumise à l’Etat, mais le culte catholique était restauré partout et les prêtres proscrits réinsérés. C’est alors que les paroisses du Hainaut (département de Jemappes) quittèrent le diocèse de Cambrai et passèrent dans celui de Tournai. Les doyennés de Boussu et Dour remplacèrent celui de Bavay.
Une nouvelle réforme judiciaire répartit autrement les cantons en 1801. Le siège de Thulin fut transféré à Boussu et Dour devint, lui aussi, chef-lieu d’un canton. En fait, cette réorganisation aboutit à la situation qui est toujours d’actualité.
La poursuite des guerres et le maintien de la conscription continuaient à mécontenter le peuple. Cela coûtait très cher à la population. Napoléon avançait à l’est aux dépens de l’Autriche (en Italie, 1800 et 1805). Entretemps, il proclama “l‘Empire” le 18 mai 1804. Il alla battre les Prusses (1806-1807), envahit l’Espagne et le Portugal (1808), puis se lança à la conquête de l’Autriche elle-même (1809-1810), et enfin de la Russie (1812).
Le déclin napoléonien
Le projet était trop ambitieux. Napoléon dut reculer, dès 1813, poursuivi par les Cosaques et les Prussiens. Il rentra en France. Ses armées quittèrent le sol belge au début de 1814. Les Cosaques étaient à Mons le 6 février 1814. L’Etat-Major allié, commandé par le duc de Saxe-Weimar, s’installa à Mons. Les armées alliées, comme de coutume, se servirent chez l’habitant pour trouver vivres, fourrages, chevaux et chariots. Elles continuèrent, prirent Maubeuge, les villes du Nord, et se lancèrent vers Paris qu’elles atteignirent le 31 mars 1814. Une semaine plus tard, Napoléon abdiquait. On l’envoya en exil (non gardé) dans l’île d’Elbe. Les Français restaurèrent la royauté et mirent Louis XVIII (1814-1824) sur le trône.