31. Historique de l’exploitation houillère

Géographie et géologie

Toute la vallée de la Haine regorgeait de charbon de houille, déposé il y a plusieurs centaines de millions d’années lors de l’ère primaire, pendant la période du Carbonifère. Il s’est constitué à partir de matériel vivant, principalement végétal, englouti lors des grands mouvements du sol qui eurent lieu dans ces périodes lointaines et qui sont expliqués dans le premier chapitre général.

On distingue dans nos régions plusieurs types de charbon :

  • Le « flénu » maigre, qui se consume rapidement et qui est utilisé dans les chaudières à vapeur et les industries qui nécessitent de longues flammes pour une production rapide de chaleur
  • Le « flénu » gras, utilisé dans les fours à coke pour fournir le coke
  • Le demi-gras à longue flamme, lent à s’enflammer, employé dans les verreries, les brasseries, les distilleries et les fabriques de gaz
  • Le charbon gras, de la houille pure à flamme courte, produisant de fortes chaleurs pour les forges et la sidérurgie
  • Le demi-gras à flamme courte donnant une chaleur uniforme, utile pour les machines à vapeur, les locomotives et les foyers domestiques.

Ce charbon, qui affleurait par endroits, a été exploité relativement tôt, mais il le fut de façon intensive à partir de la deuxième moitié du XVIIIème siècle, et surtout au XIXème siècle et au début du XXème siècle. Cette industrie a entraîné le développement d’autres industries annexes à proximité (fours à coke, sidérurgie, constructions métalliques, …) et a fortement modifié le paysage.

Cette exploitation a eu lieu à l’intérieur de bassins industriels. Deux sont apparus dans la vallée de la Haine : le Couchant de Mons ou Borinage et le Levant de Mons ou le Centre. Ces deux bassins se continuent de part et d’autre de la frontière, côté français dans le département du Nord, côté belge dans le « Pays Noir » de Charleroi et, plus loin, celui de Liège.

Le Borinage

Il s’agit d’une bande couvrant la vallée de la Haine, de Mons à Quiévrain, sur 18km de long et 12km de large. Les contours en sont imprécis et parfois discutés puisqu’il ne s’agit pas d’une région administrative.

D’un point de vue étymologique, le terme semble être apparu au XVIIème ou au XVIIIème siècle. La signification de ce mot est également discutée. Certains évoquent les boeren ou bauern, ce qui signifie « habitants des campagnes » en germanique (ruraux en opposition aux citadins montois ?). D’autres pensent que les borins étaient les ouvriers charbonniers qui travaillaient dans les « bouveaux » (galeries dans les veines).

Le terrain houiller au Couchant de Mons n’affleure que sur le flanc nord de la vallée de la Haine et sur le plateau du Borinage, entre Pâturages et Dour. Plus on se rapproche de la rivière, plus la houille est recouverte par des épaisseurs considérables de couches sédimentaires plus récentes, celles-ci pouvant parfois atteindre 350m. On distingue trois ensembles distincts :

  • Le massif du Borinage
  • Les massifs intermédiaires
  • Le Massif du Comble Nord

Le massif du Borinage

Les couches affleurent au sud du bassin, entre Pâturages et Dour, dans une direction est-ouest. Elles sont partiellement recouvertes par des terrains plus anciens, charriés du sud vers le nord le long de la Grande Faille du Midi, postérieurement au dépôt de terrains houillers.

La zone sud de ce massif est constituée d’une alternance de couches d’inclinaisons différentes. Au nord, elles butent contre une importante zone failleuse qui suit l’axe de la rivière.

C’est dans ce massif, d’âge westphalien, qui comprend plus d’une centaine de couches exploitables, qu’ont été ouvertes presque toutes les exploitations du Couchant de Mons.

Les massifs intermédiaires

Le massif du Borinage est séparé de ces massifs intermédiaires par une faille plate. 

Au sud du bassin, un de ces petits massifs, le massif de Grisoeul, a été exploité par la concession Agrappe-Escouffiaux. Au centre, d’autres massifs de peu d’importance ont été déhouillés par les concessions du Rieu-du-Cœur, celles des Produits et Levant du Flénu.

Le massif du Comble Nord (au nord de la rivière)

Il n’a connu une véritable mise en exploitation qu’à la fin du XIXème et au XXème, dans l’axe du bassin. La partie productive est recouverte par de très importantes épaisseurs de terrains aquifères et n’affleurent pas à la surface, ce qui a rendu difficile l’exploitation.

Les terrains datent du namurien, recouvrant des séries calcaires du dinantien, jadis exploitées au nord de la vallée (chaux, marbres de Basècles). Le namurien ne comprend que des schistes et des grès stériles, à l’exception de quelques couches locales de houille maigre. On en a exploité quelques-unes. Les veines du Namurien affleurent au sol, ou sous un faible recouvrement, à Bonsecours, Blaton, Hautrage, Sirault, Baudour, Ghlin, Casteau, Masnuy-St-Jean, Gottignies, Le Roeulx. Elles y ont parfois été exploitées malgré leur faible quantité et leur qualité médiocre.

Les premières sont anciennes :

  • Hautrage, XIIIème
  • Bonsecours-Blaton, fin du XVIIème, début XVIIIème.

Partout, elles furent abandonnées avant le milieu du XVIIIème, sauf à Blaton et à Sirault, où l’on travailla encore jusque, respectivement, 1850 et 1870.

Le Centre

(plus de sources documentaires seraient utiles sur le plan géologique et historique).

Antiquité

Le charbon, comme combustible, a été découvert dans l’Antiquité, mais il ne fut pas exploité car le bois était abondant et plus facile à utiliser. En Sicile et en Grèce, ce charbon de terre fut cependant utilisé dans les forges.

Moyen Age

Il semblerait qu’on ait découvert le charbon borain au début du XIème siècle dans la région de Mons. De grands défrichements de forêts ont eu lieu à partir du XIème siècle, réduisant la quantité de bois de chauffage et rendant nécessaire un autre type de combustible, soit pour le chauffage, soit pour les forges. En réalité, seuls quelques auteurs anciens l’affirment mais nous n’en avons pas de preuve aujourd’hui.

Il est probable qu’on ait commencé à utiliser du charbon pour se chauffer au XIIème siècle, se servant de celui qui affleurait dans certaines zones.

Les premières mentions écrites d’exploitation datent du XIIIème siècle. On en trouve pour les villages suivants : Wasmes (1228), Hautrage (1229), Quaregnon (1229), Frameries (1248), Dour (1248), Boussu (1250), Elouges (1274) et Hornu (1274).

L’extraction de la houille se faisait à ciel ouvert là où elle affleurait. C’était le cas au XIIIème siècle. Mais on commença vite à creuser des puits pour l’extraire en profondeur. Ces puits étaient appelés des « carbenières » (du latin carbonaria).  On creusait jusqu’à maximum 20-30m de profondeur, là où l’on commençait à être gêné par l’eau qui s’infiltrait et s’écoulait, inondant le fonds. L’exploitation était dès lors éphémère, quelques semaines tout au plus. On déplaçait alors le site d’extraction et on rebouchait la mine précédente.

Au début, la demande était faible et son commerce réduit. Ce combustible fait cependant déjà l’objet d’une documentation à cette époque. Il servait notamment à alimenter les braseros des guetteurs de la ville de Mons.

C’est de ce XIIIème siècle que date le plus ancien document important connu à ce jour, qui réglementait l’exploitation du sous-sol. En 1248, les seigneurs hauts-justiciers du Couchant de Mons, soit les comtes de Hainaut, les chanoinesses de Sainte-Waudru, les abbés de Saint-Ghislain et quelques barons (Boussu, Quiévrain, Dour, Havré, …), mirent par écrit un règlement qui stipulait les conditions d’extraction et de commerce de la houille prélevée à l’intérieur de leurs domaines. En réalité, ces propriétaires louaient des concessions à des exploitants, concessions restreintes en étendue et contenant une ou deux couches. Ils  se réservaient le septième de la production.

On sait qu’en 1274, la comtesse Marguerite afferma aux banquiers Lombards de Mons les revenus de ses domaines, notamment Frameries, Quaregnon et Elouges. Il fut décrété qu’on ne pouvait travailler dans ces mines qu’une certaine partie de l’année. Le but étant de favoriser la principale activité économique de l’époque, l’agriculture, puisqu’on employait dans les mines des paysans locaux.

L’exploitation, et surtout le commerce de la houille, semblent prendre de l’ampleur au XIVème et au XVème siècle. Le nombre de localités où l’on y travaille se multiplient. On cite Jemappes (1363), Flénu (1417), Cuesmes (1409), le bois de Baudour.

L’excédent de production est alors acheminé vers d’autres régions par la Haine, et de là, vers l’Escaut (vers l’Artois), mais surtout vers les villes de Flandre et de Hollande. Le charbon est amené par des chariots jusqu’à des embarcadères aménagés en bord de rivière. En 1363, on mentionne celui de Jemappes, et surtout celui du Rivage à Mons. Celui-ci était en réalité le port de la ville, situé sur le cours de la Trouille à la sortie ouest de la ville, d’où les marchandises, y compris le charbon, étaient amenées par de petites barques plates à l’intérieur de la ville.

Le transport par la route sur de longues distances était quasi impossible. Les routes étaient en effet  très mauvaises et souvent impraticables, en cas de pluie, pour les charrois. Pour rappel, à cette époque, seules les anciennes chaussées romaines étaient pavées par endroits (et on ne sait pas dans quel état elles se trouvaient encore au Moyen-Age). Les autres chemins reliant les villes entre elles et les villages entre eux étaient toujours en terre.

Les débouchés devinrent plus nombreux : on utilisait la houille pour les fours à chaux, les briqueteries, les verreries, …

Période moderne

On l’a vu plus haut, le gros problème de l’extraction est resté longtemps la limite de profondeur, à cause des inondations. Aux XVème et XVIème siècles, grâce à quelques mécanismes encore frustes d’exhaure, on put passer de la trentaine de mètres des débuts à la cinquantaine vers 1500. Le charbon était remonté par des treuils actionnés par des manèges à chevaux. Pour réduire les infiltrations d’eau, on étanchait les parois des puits par des cuvelages en bois (plus tard en fonte).

Les grands propriétaires terriens de l’époque tiraient de gros profits du commerce du charbon, laissant aux exploitants et aux marchands l’organisation matérielle du travail.

Les comtes de Hainaut (relayés par les souverains des Pays-Bas) et les nobles chanoinesses de Sainte-Waudru détenaient toujours de grands domaines autour de Mons (notamment Jemappes, Flénu, Cuesmes, Frameries, La Bouverie, Quaregnon). C’était aussi le cas pour l’abbaye de Saint-Ghislain (Hornu, Wasmes, Warquignies, Pâturages, Dour, Blaugies, Elouges, Wihéries, Boussu, Wasmuel, …). Quelques grandes familles seigneuriales se partageaient le reste, notamment les Hennin-Liétard (qui échangèrent en 1551 le Bois de Boussu, se trouvant alors sur Dour, avec Wasmuel et Blaugies), les Croÿ, les Ligne et les Arenberg.

Durant les XVIIème et XVIIIème siècles, l’exploitation et le commerce de cette ressource naturelle vont connaître des hauts et des bas en fonction du contexte politique. Les nombreuses guerres entamées par les rois de France dans les Pays-Bas, le blocus de l’Escaut, la nouvelle frontière de 1678 et l’imposition de nouveaux droits de douane à Condé vont faire énormément de tort à l’industrie houillère, comme elles le firent aux autres activités économiques (agriculture, textile, métallurgie).

Cependant, l’exploitation houillère se maintint. Les besoins persistaient et avaient même tendance à augmenter. Les techniques d’extraction n’avaient pas beaucoup varié. La difficulté de l’extraction, et donc sa limitation, restait l’inondation des puits à partir d’une certaine profondeur. On continuait toujours à étancher les parois, à remonter l’eau par des tonneaux mus par des tourniquets.

A la fin du XVIIème, on utilisa des « machines à pomper » manœuvrées à la main ou par des chevaux. Les eaux étaient déversées dans des conduits de déversement reliés à des ruisseaux voisins. Beaucoup de puits furent d’ailleurs creusés dans les environs immédiats des ruisseaux pour cette raison. On arrivait à atteindre des profondeurs de 100, 150 et même 180m au début du XVIIIème.

La nature des contrats entre propriétaires et exploitants changea aussi quelque peu. Les sites d’extraction se multipliaient. Avec le temps, ils devinrent très nombreux, mais ils ne laissèrent pas souvent des traces, car ils étaient systématiquement rebouchés « après emploi », et celui-ci restait toujours relativement limité dans le temps. Les redevances dues aux propriétaires eurent tendance à diminuer quelque peu (du septième au vingtième), sans toutefois que leurs bénéfices s’en trouvent réduits, les volumes vendus étant de plus en plus importants.

A la fin du XVIIème siècle, on compta 120 concessions houillères entre Quiévrain et Morlanwelz.

Depuis le Traité de Nimègue (1678), Condé se trouvait en France. Non seulement on y entrait (par la Haine) en payant des droits de douane, mais, en plus, les bateliers de la ville se disputaient le trafic houiller avec ceux de Mons. Ces derniers avaient obtenu, en 1676, le monopole de ce transport avec la création de la « Compagnie montoise des marchands de charbon ».

C’est au XVIIIème siècle que commença la « révolution industrielle ». C’est sans doute à l’Angleterre que l’on doit ce grand mouvement économique qui va bouleverser les sociétés et les paysages des siècles suivants.

De nouvelles industries apparaissaient et se développaient très fort. C’était le cas de la sidérurgie (avec ses hauts-fourneaux, grands consommateurs de combustibles) et de la métallurgie. On se chauffait de plus en plus au charbon dans les chaumières et les hôtels urbains. Dans les villes et les villages, les petites entreprises artisanales, comme les forges et les brasseries, se multipliaient.

Ce siècle, malgré la guerre de succession d’Autriche, somme toute moins dommageable que les précédents conflits, fut un siècle de paix, de progrès et de prospérité. La demande de charbon devenait très importante. Il fallait en extraire de plus en plus. Et pour cela, il fallait moderniser l’outil d’extraction et le mode de transport.

Mais les droits de douane et les droits de tonlieu à l’entrée des villes alourdissaient le coût de ce produit. On vit ainsi les marchés flamands et brabançons s’approvisionner en charbon anglais, dont les coûts de production étaient moindres. 

Pompe à feu

En ce qui concerne le problème d’inondation des mines, il fut grandement résolu grâce à l’invention de la « pompe (ou machine) à feu » par l’Anglais Newcomen en 1705. C’était une pompe actionnée par la vapeur. Il s’agissait d’un investissement coûteux, c’est pourquoi il ne s’implanta que très progressivement dans nos régions. La première, dans le Borinage, fut installée en 1735 sur le site minier d’Auvergies à Pâturages. On en monta une en 1746 à Boussu-Bois, qui servit de modèle décrit dans l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Puis elles se multiplièrent dans la seconde moitié du siècle. Ce qui permit de creuser de plus en plus profond : 220m (en 1790), 297m (en1820), 600m (en 1866). C’est au Rieu-du-Cœur à Quaregnon qu’on atteignit la plus grande profondeur : 1358m lors de la fermeture en 1960 !

Enfin, pour remédier partiellement au problème du transport fluvial par la Haine qui, non seulement se révélait insuffisant pour les besoins, mais se heurtait aux problèmes douaniers et de monopole évoqués plus haut, le pouvoir autrichien, en la personne de l’impératrice Marie-Thérèse, poussa les Etats Provinciaux de ses Pays-Bas à moderniser les routes. C’est ainsi qu’on commença à paver les grands axes : Bruxelles-Mons, Mons-Boussu (1724 déjà), Boussu-Quiévrain, Saint-Ghislain-Tournai (1766). Dans la seconde moitié du siècle, des chaussées pavées relièrent les sites miniers du versant sud de la vallée aux embarcadères situés sur la Haine : la chaussée de Belle-Vue (entre Dour-Elouges et Pommeroeul par Thulin), la chaussée de Dour (entre Boussu-Bois et la Haine), le pavé de Warquignies (entre Warquignies, Petit-Wasmes et Hornu vers Saint-Ghislain), les chaussées de Quaregnon, de Flénu et de Frameries vers la rivière. Toutes ces chaussées croisaient la « grand-route thérésienne » en chemin.

Cependant, le transport par la Haine se maintint. On en modernisa le cours par la construction d’écluses. Des chantiers de construction navale virent le jour à Mons et à Jemappes.

Jusqu’ici, les concessions de terrains houillers étaient nombreuses, accordées par les seigneurs-propriétaires à un grand nombre d’exploitants isolés. Un phénomène commença à s’imposer, celui de sociétés minières regroupant un nombre important de concessions qui pouvaient se situer dans plusieurs localités, souvent voisines. En 1765, François de Grouff d’Erkelens, seigneur de Warquignies, créa « la Compagnie de la Machine à feu », société qui, à cette époque, extrayait 8 à 9% du charbon borain. En 1783, apparaissait la « Compagnie d’Hornu ».

A côté des sociétés d’exploitants, se développaient des sociétés de transport, transport par route et  transport fluvial. C’est à cette époque qu’on commença à projeter la construction de canaux. Cela mit du temps. 

Un autre problème se posait : le manque de main d’œuvre. Les exploitants utilisaient des ouvriers locaux, agriculteurs de profession, qui travaillaient donc à temps partiel, occupés l’été pour les moissons et les récoltes. C’est ainsi que, lentement et progressivement, on commença à trouver dans les campagnes deux sortes d’ouvriers : les agricoles et les industriels. Parmi ces derniers, on trouvait les mineurs. Comme le transport était encore peu développé, ces mineurs vinrent construire leur habitat à proximité des sites miniers. C’est à ce moment que commencèrent à se développer des hameaux industriels en dehors des villages connus alors. On peut citer ainsi Boussu-Bois, Pâturages, Flénu, La Bouverie, La Louvière, qui deviendront des communes à part entière dans le courant du XIXème siècle.

Quels sont les facteurs qui ont fait que le Borinage, au tournant du XVIIIème-XIXème siècle, est devenu le bassin houiller le plus productif d’Europe ? On en cite trois :

  • La richesse des gisements, peu profonds et faciles à exploiter
  • La qualité de la houille : le charbon dit « flénu » était particulièrement gras et inflammable, dès lors très prisé pour le chauffage domestique

Pour les chaudières, les fours à coke et les hauts-fourneaux des aciéries, on lui préféra le charbon à coke, présent aussi, mais à de plus grandes profondeurs. C’est ce qui en retarda l’exploitation dans le Borinage, par rapport à celle qui eut lieu dans les régions du Centre et de Charleroi. C’est ce qui explique aussi que ces régions purent développer une industrie sidérurgique, ce qui ne fut pas le cas en Borinage. Cette explication n’est pas partagée par tous.

  • La modernisation précoce de l’outil et des infrastructures de transport
La Période Française

Et avec elle la Révolution (1794-1814) modifièrent les rapports économiques.

La plupart des grands seigneurs féodaux (les souverains des Pays-Bas, les chanoinesses de Mons, les abbés de Saint-Ghislain) perdirent leurs droits féodaux et leurs propriétés. En ce qui concerne ces dernières, ce ne fut pas toujours le cas pour certains seigneurs laïcs. Les Ligne et les Arenberg conservèrent, au nord de la Haine, de grandes propriétés qu’ils exploitèrent au XIXème siècle.

Ailleurs, les exploitants des concessions se trouvèrent face au pouvoir des occupants français. Les ouvriers, profitant des nouvelles conceptions de la société, voulurent s’approprier les fosses. Ce qui créa des conflits et se solda par l’échec des revendications ouvrières. Finalement ces concessions furent vendues à de riches notables et bourgeois qui se constituèrent le plus souvent en sociétés civiles ou anonymes.

Ce phénomène réduisit très fort le nombre d’exploitants et provoqua la concentration des sites d’exportation.

Cette période française, surtout lorsque Napoléon s’appropria le pouvoir, s’accompagna d’une forte demande venant de la France qui profitait de la disparition des droits de douane (puisque nous étions dans le même pays ).

L’outil continua à se développer.

Napoléon décida d’améliorer le transport en construisant un canal entre Mons et Condé, la Haine étant devenue tout à fait insuffisante. Les travaux débutèrent en 1808 pour se terminer en 1816 pendant la période hollandaise. On vit Napoléon venir se rendre compte de l’avancement de l’œuvre à quelques reprises, à Hensies/Malmaison et Saint-Ghislain.

L’embarcadère du Rivage à Mons fut remplacé par deux bassins.

On doit également à Napoléon d’avoir fait rédiger en 1810 une loi sur les mines, d’avoir mis en place une Institution de l’Administration des Mines et d’avoir favorisé la formation d’un corps d’ingénieurs des mines.

Période hollandaise

Lors de cette période (1814-1830), le commerce connut d’abord un déclin avec la restauration des droits de douanes avec la France. Ces droits étaient assez élevés, notamment à Condé. On résolut partiellement le problème en court-circuitant le confluent français par la construction d’un canal reliant Pommeroeul à Antoing (1825-1827) afin de poursuivre l’écoulement du charbon vers la Flandre, Anvers et la Hollande.

Le roi Guillaume réduisit l’importation du charbon anglais en le taxant. On exporta moins vers la France, mais comme sa production propre était moindre, ses besoins maintinrent malgré tout un certain niveau d’exportation.

Pendant cette période, le Borinage fournit 57% du charbon belge ! Sa production avait doublé entre 1815 et 1830 grâce à la modernisation des infrastructures. Cette région était sortie de son isolement géographique grâce à son réseau dense de transport.

Le roi Guillaume avait la fibre économique. Malgré les rapports politiques difficiles entre Belges et Néerlandais, il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour favoriser notre industrie. Et notamment en tentant d’amener les capitaux nécessaires à son fonctionnement. 

C’est ainsi que naquirent de grosses sociétés anonymes qui pouvaient lever des capitaux très élevés pour l’investissement. Des banques importantes devinrent actionnaires. La Société Générale de Belgique fut créée en 1822. En quelques années, elle s’appropriera 25% des concessions boraines et 40% de sa production. La Banque Nationale Belge et la Banque Rotschild de Paris apportèrent aussi de gros capitaux, tant dans les exploitations elles-mêmes que dans les moyens de transport (rail).

Des notables et des commerçants enrichis, de la région, de Bruxelles et même de France, s’impliquèrent aussi dans l’aventure industrielle boraine. C’est ainsi qu’Henri Degorge, un français, va développer le site minier du Grand-Hornu à partir de 1810 (lire dans le chapitre consacré à Hornu). Il fut aussi le promoteur du premier chemin de fer industriel de Belgique en 1830.

La période belge contemporaine

Avec l’avènement du Royaume de Belgique (1830), le mouvement continua et prit encore plus d’extension.

On creusait plus profond. On améliorait les moyens de descendre dans les puits, de creuser les galeries, de remonter le charbon et les hommes et de réduire les dangers liés à cette industrie (chapitre suivant). 

Il y eut des périodes difficiles, le plus souvent dues à la conjoncture politique et économique des pays européens voisins : les révolutions européennes de 1848, la guerre franco-prussienne de 1870, les deux guerres mondiales du XXème siècle.  Outre ces événements, des mesures protectionnistes auxquelles fut confronté le commerce européen et mondial engendrèrent de grosses difficultés économiques. Des périodes de stagnation, des périodes de déclin suivies de reprises, modérées ou vigoureuses.

Mais l’apogée du Borinage et du Centre persistait.

Le chemin de fer révolutionna le transport du charbon et des ouvriers. On construisit un grand nombre de lignes industrielles privées et des lignes de voyageurs (voir chapitre). On construisit le Canal du Centre, reliant celui de Mons-Condé à celui de Charleroi-Bruxelles et à la Sambre, mettant ainsi en continuité les bassins de l’Escaut et de la Meuse.

D’autres cités industrielles modernes furent construites, comme celle du Bois-du-Luc. Le phénomène de concentration des sociétés se poursuivit.

La population continua de croître et avec elle la taille des villages et des hameaux ouvriers. C’est ainsi qu’au milieu du XIXème siècle, de nouvelles communes sont apparues : Flénu (aux dépens de Jemappes), La Bouverie (aux dépens de Frameries), Pâturages (autrefois un grand domaine partagé entre les paysans de Jemappes, Quaregnon et Frameries), Tertre (aux dépens de Baudour) et surtout La Louvière (aux dépens de Saint-Vaast).

Il fallait nourrir toute cette population. Ce qui permit à l’agriculture et à l’élevage de se maintenir dans de grosses fermes et aussi dans des exploitations plus petites. Les anciennes fermes d’abbaye s’étaient presque toutes maintenues car rachetées par des propriétaires privés. Côte à côte, voisinaient deux types d’habitat : ouvrier et rural, d’importance quasi égale.

Ces années d’enrichissement pour certains furent des années de misère pour d’autres (ce qui fait le sujet d’un chapitre ultérieur ) .

Le véritable déclin, on le connut au XXème siècle. Les facteurs furent multiples :

  • La concurrence étrangère qui écoulait un charbon de moindre coût à la production, notamment celui extrait en Campine
  • Les deux grandes guerres, encore que les Allemands maintinrent l’outil parce qu’ils avaient besoin de charbon. Ils prirent soin de ne pas déporter les mineurs dans les camps de travail en Allemagne. Ils firent même venir des prisonniers russes en 1943 pour les mettre au travail chez nous !
  • La grande crise économique mondiale de 1929, qui fut suivie par de nombreuses fermetures dans les années ‘1930
  • La difficulté d’exploiter en profondeur rendit plus coûteuse l’extraction, portant notre charbon à un prix non concurrentiel.
  • Un manque d’investissement, au XXème siècle, par des directions plus frileuses qu’au siècle précédent. C’est ainsi que beaucoup d’entreprises furent dépassées par le manque de modernisation de l’outil, alors que la demande reprenait après la guerre 1914-1918.
  • Une ouverture plus grande au marché extérieur depuis le début des années ‘1950, cautionnée par la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier créée en 1951) qui facilita la fermeture de nombreux sites par la distribution d’indemnités.
  • D’autres combustibles remplaçaient progressivement le charbon : le pétrole et le gaz.

On connut pourtant une reprise en 1947-1949 avec les reconstructions d’après-guerre. On parla alors de la « bataille du charbon ».

Peu de Belges désiraient encore descendre dans les mines. On manqua alors de main- d’œuvre. De 1944 à 1946, on fit travailler dans les mines les prisonniers allemands, puis on les renvoya chez eux.

C’est alors que furent mises en place des politiques d’immigration. Achille Van Acker passa un accord le 23 juin 1946 avec le gouvernement italien pour échanger du charbon (dont leur pays avait besoin) contre de la main d’œuvre (200kg/jour de charbon par travailleur !). Ces premiers immigrés furent mal reçus, mal logés, mal formés, mal payés, avec des contrats de 12 mois. En 1947, ils furent 84.000 Italiens à venir en Belgique, puis environ 30.000/an jusqu’en 1955. Seul un quart rentra au pays. Les autres s’adaptèrent à notre climat et à nos habitudes et se fondèrent progressivement dans la population.

D’autres nations connurent également une émigration vers nos cieux charbonneux : des Polonais et des Espagnols (avant la deuxième guerre mondiale), des Maghrébins, et enfin des Turcs. Le Borinage est aujourd’hui un pays très cosmopolite où chacun a trouvé son équilibre, sans qu’il y ait eu naissance de ghettos communautaristes comme ailleurs. Sans oublier les Flamands qui vinrent aussi en nombre. Une navette Gand-Mons, par Saint-Ghislain et la ligne du Borinage, fonctionna deux fois par jour jusque dans les années ‘1960. Beaucoup choisirent de rester chez nous.

On continua encore à investir dans la modernisation de l’outil et du transport. On vit sur certains sites apparaître de l’outillage moderne pour le tri, le lavage, le transport local (Crachet à Frameries, Vedette à Boussu-Bois, Sartis à Hensies). On découvrait encore de nouvelles veines très riches, comme celle de l’Abbaye à Boussu-Bois.

Le canal Mons-Condé se révélant de tonnage insuffisant, on construisit, au milieu des années 1950, un autre canal entre Nimy et Péronnes via Blaton.

Mais la production devint trop importante par rapport à la demande. Des stocks s’accumulaient. La perte de rentabilité était sévère.

1958 fut l’année d’une grande crise du charbon. 

En quelques vagues, les charbonnages du Couchant de Mons et du Centre fermèrent tous. En Borinage, le dernier à fermer fut celui du site du Sartis à Hensies, en 1976. Presque un millier d’années après les débuts de son exploitation. En Wallonie, la dernière mine, celle du Roton à Farciennes, ferma en 1984.

Le charbon, pendant deux siècles, avait apporté du travail à la population (dont la condition sociale est examinée plus loin). Mais il ne fut pas seul à le faire, car d’autres activités s’étaient développées, dépendant de lui : câbleries, chimie, industrie textile, constructions métalliques. Malheureusement, quasi toutes disparaîtront avec l’industrie houillère.

Et par manque de capitaux et d’idées novatrices, le Centre et le Borinage ne purent jamais retrouver l’apogée industrielle qui fut la leur au XIXème siècle.

Il reste peu de vestiges de ce dense passé minier.    

On peut voir dans le paysage ces fausses collines que sont les terrils, que la nature a, pour la plupart recolonisés. Faune, flore et randonneurs y ont trouvé un nouveau bonheur. Certains ont été rasés pour fournir du remblai aux autoroutes, des cendrées dans les parcs, les jardins et les courts de tennis. D’autres ont été ré-exploités pour leur schiste et ce qu’ils contenaient encore de combustibles.

La plupart des installations ont disparu. Le site du Crachet à Frameries a été reconverti en parc d’animation scientifique (PASS). La tour Malakoff de Dour a été transformée, ainsi que le parc, en lieu de loisirs. Le reste n’est plus que souvenirs et photos…

On a bien essayé de gazéifier du charbon, notamment à Thulin à la fin du XXème siècle. Une entreprise allemande s’y était attelée, mais l’expérimentation fut abandonnée.

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