7. Age du Bronze

2200-800

Dans le sous-sol de la vallée de la Haine, il n’y a pas, en quantités exploitables, des métaux pouvant entrer dans les cycles métallurgiques. Pas de cuivre, pas d’étain, pas de fer, pas d’or ni d’argent. Que du limon, du silex et divers types de roches.
Le limon fut exploité par les agriculteurs, ce qui constitua l’ activité principale depuis le néolithique jusqu’à l’aube de la révolution industrielle à la fin du XVIIIème siècle. Le silex fut extrait et taillé à grande échelle depuis le néolithique jusqu’à ce que les outils en silex soient remplacés par des outils plus performants en métal. Ce n’était pas encore le cas avec le cuivre, mais ce le sera avec le bronze et le fer.
Les autres roches furent exploitées plus tard, certaines à partir des Gallo-Romains (grès, craies) et d’autres à partir du Moyen-Age (charbon).

Pas de cuivre chez nous.

Les Mésopotamiens, puis les Iraniens, les Anatoliens et les Arméniens, qui en possédaient, ont commencé à le travailler dans son état natif (naturel) dès le IXème millénaire. La fusion du cuivre dans des fours à plus de 1000° a été pratiquée pour la première fois vers 6000 en Anatolie. De là, la technique a été diffusée dans les pays du Proche-Orient. Elle a quasi suivi les premiers néolithiques qui ont émigré en Europe, puisqu’on retrouve cette métallurgie dès le Vème millénaire dans les pays des Balkans (Grèce, Serbie, Bugarie) dont le sous-sol est riche en ce métal. Son exploitation et son commerce, sous forme de blocs ou d’objets manufacturés, va enrichir quelques états-cités (Varna, Vinça). La diffusion de la métallurgie va gagner lentement l’Europe Centrale au nord des Alpes au IVème millénaire, puis l’Italie du nord, la Corse et le sud de la France (Hérault), l’Espagne (Los Millares) et les îles Britanniques, là où le sous-sol est aussi riche en cuivre.

Ce n’est pas le cas chez nous. Les premiers objets façonnés dans ce métal furent importés avec l’arrivée de la Culture Campaniforme vers 2200-2000; il s’agissait plus d’ objets de prestige que d’objets réellement utilitaires.

Pas d’étain non plus chez nous.

Ce métal (10-15%), en alliage avec le cuivre (85-90%), entre dans la production du bronze, dans des fours à plus de 1000°. Cet alliage est nettement plus malléable à chaud,ce qui permet de lui donner plus facilement une forme; il est aussi plus solide et résistant que le cuivre. Il entra d’abord, lui aussi,dans la fabrication d’objets de prestige (parures, bijoux), puis, rapidement, dans celle des armes (épées, pointes de lance, poignards), des casques, des cuirasses, des boucliers, des moyeux de roues de chars, et enfin dans celle des objets domestiques (vaisselle).

On commence à trouver quelques objets en bronze chez nous vers 2000, mais on ne trouve des preuves de métallurgie du bronze en Belgique qu’à partir de 1600.

Comme toujours, et cela va de soi, ceux qui détiennent les ressources (mines de cuivre, d’étain, d’or et d’argent), les ateliers de métallurgie et d’orfèvrerie, le commerce des produits à l’état premier et des produits finis, et qui ont aussi le contrôle des voies de communication, vont s’enrichir. Qui dit richesse, dit puissance, dit pouvoir. De grands états vont naître et se disputer l’hégémonie sur leurs régions et leurs voisins. C’est le cas, au Proche et Moyen-Orient, avec Sumer, Babylone, l’Assyrie, les cités-états syriennes et palestiniennes, l’Egypte, les Hittites en Anatolie, les Mycéniens en Grèce.

Les Indo-Européens

Le phénomène est un peu plus tardif en Europe. Un ensemble de peuples, dont les langues ont une même origine, ont fait leur apparition tout à l’est de l’Europe au Vème millénaire: ce sont les Indo-Européens. Pendant toute la période néolithique, ils ont acquis très tôt les techniques de cette culture. C’étaient d’habiles cavaliers. Ce qui les caractérisait, c’était la division de leurs sociétés en trois castes: celle des guerriers, d’où sortent leurs rois et leurs aristocrates, qui détiennent le pouvoir, la puissance et la fortune, celle du clergé, qui détient la puissance spirituelle et qui est issue de la première, donc leur alliée, enfin vient celle des paysans, des pasteurs, des ouvriers et des artisans qui oeuvrent pour nourrir et entretenir les deux premières classes. Cela ne vous rappelle rien? C’est exactement le modèle de ce que sera la société féodale chez nous pendant près d’un millénaire et demi. On y reviendra plus tard.
Aux sociétés matriarcales, plus ou moins égalitaires et pacifiques des débuts du néolithique ont succédé progressivement des peuples guerriers, virils, patriarcaux et dominants.

Cette parenthèse est importante, pour faire comprendre comment ces peuples Indo-Européens, dominateurs et puissants, grâce à la maîtrise des technologies métallurgiques et leur esprit guerrier, vont conquérir dans les deux derniers millénaires avant Jésus-Christ quasi toute l’Europe. Venant des steppes au nord des mers Caspienne et Noire, où ils sont installés depuis le Vème millénaire, ils vont envahir en quelques millénaires, en créant de nouvelles civilisations, les Balkans ( les Thraces et les Illyriens), l’ Anatolie (les Hittites), l’ Iran (Mèdes, Perses), la Grèce (les Mycéniens, puis les Doriens et les Grecs classiques et actuels), l’ Europe Centrale puis occidentale (les Celtes), l’ Europe du Nord (les Germains et les Scandinaves), l’ Europe de l’Est (les Slaves et les Baltes), et l’ Italie (les Italiques d’où descendront les Latins et les Romains).

Il est vraisemblable qu’à partir de leur berceau en Europe centrale, les Indo-Européens ont commencé à s’étendre, probablement par la force (ce qui n’aurait rien d’étonnant de la part de guerriers), pour coloniser la plus grande partie de l’Europe Occidentale. Ils y ont mis près de deux mille ans, par vagues successives, apportant chaque fois de nouveaux modes culturels.

Certains historiens pensent que des Celtes ou des Proto-Celtes ont profité de la large diffusion de la Culture Campaniforme pour se répandre vers l’ouest. Mais ils sont d’abord bien présents dans ces sociétés d’Europe Centrale qui s’enrichissent de la valeur du bronze (culture d’Unetice en Bohême). C’est probablement eux qui vont diffuser un nouveau mode d’inhumation, sous tumulus (de terre ou de pierres), qui va concurrencer l’inhumation sous dolmens.

Il est à noter que les îles Britanniques, comme la péninsule ibérique, sont riches en cuivre et en étain. Quelques civilisations importantes vont s’y développer, dont celle de Wessex, particulièrement connue pour ses cromlechs (Stonehenge). Il est important de le souligner, car, à la suite du Campaniforme qui marque la fin du néolithique, d’autres cultures vont s’implanter dans nos régions, en rapport avec celles de Grande-Bretagne, et influencées par elles (Culture Atlantique d’Eramicourt dans le nord de la France et l’ouest de la Belgique) et celles qu’on trouve en Allemagne et dans l’est de la France (Complexe Rhin-Suisse-France Orientale).
Notre vallée de Haine se trouve au milieu des deux. Y passent probablement des routes qui rejoignent les deux. On sait qu’il existait un trafic très important sur la Manche.

L’âge du bronze en Hainaut
On a peu de détail sur ce qu’a été l’âge du bronze chez nous. Mais puisque nous n’avions pas les matières premières, et vraisemblablement pas d’industrie métallurgique concurrentielle, nos habitants continuèrent à pratiquer l’agriculture et de l’élevage, se laissant progressivement dominer militairement et politiquement par de nouveaux arrivants, toujours plus forts grâce aux technologies « dernier cri ».

Maison de l’âge du Bronze (Archéosite d’Aubechies)

A un certain moment, il semble que les villages et hameaux, tels qu’ils existaient au néolithique, ont cessé de fonctionner, laissant la place à des fermes plus ou moins isolées, dont l’existence était brève et ne dépassait pas le siècle. Individualisme? Autarcie? Ce n’est pas certain, car des formes de pouvoir devaient exister et coordonner, plutôt qu’administrer, toute cette population de paysans.

On n’ a pas, à ce sujet, d’informations détaillées sur ce qui se passait chez nous. Existait-il des centres de pouvoir comme dans d’autres pays aux ressources abondantes? Aucune fouille archéologique ne semble l’affirmer. Pas de site fortifié découvert, ni d’habitat, mais quelques sites à caractère religieux, rituel ou funéraire.

Les sites, fouillés et étudiés avec méthodologie dans la région sont:
– celui du “Champ de Bruyère” à Havay: un enclos circulaire de 43m de diamètre, ayant pu cerner un tumulus funéraire, daté de 1700-1600 (identique à ceux de la Culture Atlantique d’Eramecourt)
– celui de la “Bosse del’ Tombe” de Givry: identique (27m) et contemporain
– un enclos funéraire à Chièvres (60m)
– à Blicquy “Ville d’Anderlecht”, sous le site gallo-romain, une nécropole utilisée entre 1512 et 1127 a été fouillée et a livré des éléments proches de la culture rhénane.
– à Harchies, des lingots de bronze enfouis, des outils en bronze (tranchets, rasoirs). On pense qu’il y existait une nécropole au Bronze Ancien ou Moyen.

– à Hautrage, une hache en bronze a été déterrée. 
– à Spiennes, au “Champ-à-Cayaux”, ont été trouvés des dépôts de bronzes usagés (bracelets, anneaux, pendeloques) destinés à la refonte et liés au groupe d’Eramecourt. C’était, pour ce petit centre minier, la fin de la prospérité d’antan. D’autres objets du bronze final ont également été trouvés.
– à Harmignies, au “Champ des Montagnes”, on a fouillé un sol d’habitation de la fin de l’âge du bronze, qui comportait des fosses, des tessons de céramique, des petits éléments en bronze (toujours rattachés à la Culture d’Eramecourt)
– à Saint-Symphorien, une pointe de flèche en bronze
– à Jemappes, on a trouvé des haches en cuivre et en jadéite, datant du bronze ancien
– à Ghlin, des tombelles ont été fouillées et on en a ramené un javelot et une hachette en bronze
– dans les villages français frontaliers (Onnaing, Rombies-Marchipont, Quiévrechain et Hordain), des chantiers d’archéologie préventive ont mis à jour des structures d’habitat : petites fermes, dont les bâtiments destinés au logement et les annexes sont constitués de poteaux de bois, de murs de torchis et de toits en chaume. L’argile est extraite dans des fosses qui servent ensuite de silos ou de poubelles.
– d’autres objets, ramassés ici et là, au XIXème et au XXème siècle, sont à rattacher à l’âge du bronze. Ce sont des fragments de poterie, quelques armes, des haches, des pointes de flèche, des tranchets, en général non datés mais typiques de cette époque. On en a trouvé à Baudour, Thumaide, Aubechies, Hensies, Bernissart, Blaton, Basècles, Ville-Pommeroeul.

Si l’on s’en tient aux connaissances d’aujourd’hui, qui peuvent toujours être remises en question dans le futur, cette carte tend à montrer des concentrations de communautés du Bronze

  • aux sources de la Dendre
  • le long de la Haine, surtout au nord de celle-ci (de Bernissart à Ghlin)
  • le long de l’Aunelle
  • le long de la Trouille

A la fin de la période du Bronze (entre 1200 et 800/700), de nouveaux modes de sépultures sont apparus. On incinérait les morts et on plaçait leurs cendres dans des urnes qui étaient déposées sous terre dans de vastes nécropoles. On parle alors de la Civilisation des Champs d’Urnes. L’âge du bronze va céder le pas à celui du fer entre 800 et 700.
– à Cuesmes, au “Tir-aux-Pigeons”, un vase-urne de ce type a été découvert
– à Stambruges, des sépultures à urnes
– ainsi qu’à Blicquy

On l’aura compris, à moins que de nouvelles découvertes nous fassent changer d’avis, la vallée de Haine (et le Hainaut en général) n’a pas fait la révolution industrielle du métal dans le deuxième millénaire avant notre ère. Ses habitants ont continué à vivre de leurs cultures et leurs élevages, dans des fermes isolées et le plus souvent en autarcie. Les sites cités plus haut démontrent que la région était malgré tout bien occupée pendant cette période. Quelques-uns ont continué à extraire le silex et à le tailler tant qu’il avait de la valeur marchande, mais il est bien vite devenu obsolète, après 1500.

Des vagues de guerriers et de colons d’origine celtique ont commencé à submerger ces paysans, à leur imposer leur mode de vie, leur langue, bref à les acculturer à leur tour. Des formes de pouvoir, assises sur la richesse et la force, ont existé, mais nous ne connaissons pas celles qui ont dominé la région. On n’a trouvé ni forteresse, ni résidence princière, ni même de belles sépultures au riche mobilier funéraire.

Selon Jean Dufrasne, un archéologue hennuyer, la basse vallée de la Haine a constitué au néolithique et aux âges des métaux une voie de communication importante, au bord de laquelle étaient réparties de petites fermes. La région était donc loin d’être déserte, mais n’était pas fréquentée apparemment par des formes opulentes de pouvoir.
On peut parler de zone d’ombre pour cette période. La lumière commencera à venir au cours du dernier millénaire avant Jésus-Christ…

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