8. Les âges du fer

Période: 800-50 avant J.C.

Nous sommes entrés de plain pied dans le dernier millénaire avant J.C. avec des populations qui appartenaient encore à l’âge du bronze et, plus particulièrement, à la culture des champs d’urnes.

Rappelons que notre vallée de Haine est probablement restée à l’écart des “grands” de l’époque. Pas de métal exploitable dans notre sous-sol, donc pas de métallurgie à grande échelle et pas de commerce important qui s’en serait découlé. Tout juste étions-nous éventuellement placés sur des axes de communication entre les deux grands pôles du bronze, l’Atlantique (à cheval sur la Manche, entre Angleterre et nord-ouest de la France) et le complexe rhénan (Allemagne, Suisse, Alsace). La vallée de la Haine a probablement été un de ces axes, pas le plus important, et de loin. En témoignent les quelques vestiges que les archéologues ont tirés du sol, qui n’évoquent pas des habitats d’importance, des résidences ou des sépultures d’aristocrates enrichis.

Mode de vie
Ici, le monde est paysan. Il semble que les villages du néolithique aient disparu au profit de petites exploitations agricoles éparpillées dans la campagne défrichée, au bord des nombreux ruisseaux. Ces paysans sont des descendants des premiers agriculteurs néolithiques (et des mineurs de silex), intégrés à quelques vagues migrantes du sud, et surtout de l’est, pacifiques ou guerrières. L’Histoire, en tant que science, n’existait pas encore pour nous le raconter.

Parmi ces migrants guerriers qui nous sont arrivés de leur berceau d’Europe Centrale, il y avait des populations de langue indo-européenne, principalement les premiers Celtes à être arrivés chez nous, lorsque régnaient la Culture Campaniforme (au Néolithique final) et la Culture rhénane (à l’âge du Bronze). Les âges du fer, qui viennent, vont confirmer ces afflux culturels celtiques.

La sidérurgie
La fusion du minerai de fer nécessite des températures de plus de 1500°. On y serait arrivé, toujours au Proche-Orient (Caucase, Anatolie, Syrie, Iran) vers -2000. De là, cette technologie va se répandre. En Europe, il semble que la sidérurgie va être l’apanage, à partir du XVIIème siècle, de ces peuples indoeuropéens qui sont alors en train de conquérir les Balkans (Illyriens, Thraces), la Grèce (Doriens), et l’Anatolie (Phrygiens, …).

Le fer est plus solide que le bronze, plus abondant aussi que le cuivre et l’étain. Il va donner des outils (socs de charrue, houes, bêches, faux) et des armes plus efficaces et résistantes à l’emploi.

Le premier âge du fer (vers 800-400)

Sur les flancs des Alpes, les réserves en minerai de fer sont abondantes. Les Celtes au nord, les Italiques au sud (leurs cousins indoeuropéens), vont se les approprier pour l’extraire du sol, le travailler, le vendre et contrôler à nouveau le commerce et surtout les voies de commercialisation.
Hallstatt est une ville d’Autriche où les archéologues ont découvert d’anciennes mines de sel qui fonctionnaient au millénaire précédent, mais surtout des mines de fer et des forges en très grand nombre, où l’on fabriquait des armes et des outils très solides. En fait, il en est ainsi dans toute cette région nord-alpine et danubienne. C’est pourquoi le premier âge du fer a été nommé civilisation de Hallstatt, caractérisée par le type d’objets en fer et en céramique qu’elle a produits. Elle va s’étendre de -800 à -400.

Les guerriers celtes, en fait des petits rois et des aristocrates, vont s’approprier cette activité économique très rentable. Ils vont commercer avec les puissances naissantes du sud de l’Europe (les cités grecques et leurs colonies méditerranéennes, les Etrusques, et, plus tard, les Romains). Parmi ces cités grecques, il en est une qui va prendre beaucoup d’importance, c’est Massalia (Marseille), fondée vers -600.
Ces potentats celtes enrichis vont se faire édifier des citadelles à proximité des centres miniers et sidérurgiques, mais aussi aux endroits stratégiques sur les voies commerciales. De là, ils vont dominer militairement, politiquement et économiquement toute une région alentour, d’un rayon estimé à une dizaine de kilomètres. On parle de “chefferies“. Ils ne vendent pas que du fer, mais aussi des esclaves. Leurs richesses vont surtout s’étaler dans leurs sépultures, que les archéologues vont fouiller et décrire minutieusement: parures en métaux précieux, amphores somptueuses et vaisselle de luxe, objets de luxe en bronze, grandes épées d’apparat en fer. Une grande partie de ce mobilier funéraire était importé du monde méditerranéen (achat, échanges, cadeaux).

Dans certaines tombes, on voit apparaître une nouvelle mode: l’inhumation du chef guerrier, allongé sur un char, avec parfois à ses côtés son cheval, richement harnaché.
A la fin de la période de Hallstatt, il semble qu’il y ait eu un phénomène de concentration des petites chefferies. Leur nombre était réduit, mais elles étaient plus grandes et sans doute plus riches et plus puissantes, à en croire les sépultures encore plus fastueuses. Ces tombes deviennent de véritables chambres funéraires surmontées d’un tumulus monumental. Les “tombes à chars” sont encore plus nombreuses.

La civilisation celtique de Hallstatt en Hainaut
Notre vallée de Haine se situe aux marges de cette civilisation qui s’étend surtout en Allemagne, en Autriche, en Suisse et dans le nord-est de la France. Les axes fluviaux y jouent une grande importance: Danube, Elbe, Rhin, Saône-Rhône jusqu’à Marseille. En fait, le reste de ce qui deviendra bientôt la Gaule en est encore culturellement à l’âge du bronze.
Et donc, chez nous, les découvertes de cette époque ne sont pas non plus fabuleuses. Le paysage agricole décrit plus haut reste la norme, encore qu’il ait souffert de conditions climatiques plus rudes aux VIIIème et VIIème siècles. Pas de riche sépulture ni de citadelle.


A Harchies “Maison Cauchies”, on a trouvé, de cette époque, des tombes plates contenant des épées en bronze et des bouterolles en fer de type hallstattien (800-700).
A Havré “Taille de Vignes”, il s’agissait de tombelles contenant des épées et des rasoirs en fer, ainsi que des urnes (VIIème siècle).
A Chièvres “Moulin de la Hunnelle”, ce sont des fosses, creusées pour extraire l’argile, puis utilisées comme dépotoirs, où l’on a retrouvé des céramiques. A côté se trouvaient des trous de poteaux d’un petit grenier. Dans un même contexte de fosses, on a trouvé aussi des céramiques et des objets en métal à Bernissart, à Nouvelles et à Aubechies “Coron Maton”.
On a fouillé assez bien de sites fortifiés du Hallstatt dans la moitié est de la Belgique. Pas chez nous.

Le deuxième âge du fer (400-52 avant JC)
Parce que certaines situations politiques vont changer brutalement dans l’espace hallstattien, mais aussi dans le monde méditerranéen (déclin des Etrusques et des colons Grecs Occidentaux, qui entretenaient un commerce intense avec les princes celtes, montée en puissance des Carthaginois et des Romains), le commerce sud-nord va se modifier au profit d’un commerce est-ouest et “redistribuer les cartes” dans le monde celtique. Plutôt que de se tourner vers le sud, celui-ci va s’étendre en largeur et à nouveau sous forme de chefferies moins étendues, mais aux sépultures toujours aussi riches. Ceci se passe vers -400. Commence alors le second âge du fer ou Civilisation de La Tène, parce que décrite dans cette cité suisse, sise au bord d’un lac. Elle va durer jusqu’à la conquête romaine.

Une grande caractéristique de cette période, c’est qu’elle va s’accompagner de grandes migrations dans le monde celtique qui va se répandre, prendre le pouvoir dans certaines régions des Balkans (ils iront même attaquer Athènes et Delphes au IVème siècle), dans le nord de l’Italie (ils saccageront Rome) et finiront de dominer complètement ce qui devint alors la Gaule, parce que les auteurs romains appelleront “Gaulois” (Galli) leurs habitants (alors que les Grecs les appelaient Keltoï). Ils iront aussi s’installer en Espagne et dans les îles Britanniques.

Cette invasion définitive de la Gaule semble se faire en plusieurs vagues entre -400 et -150 ou -200 (on ne dispose pas de preuve certaine). Les derniers à migrer restèrent au nord de la Seine. Jules César les a appelés les “Belges” (Belgii).

La civilisation de la Tène en pays de Haine
Sans que l’on puisse parler d’un véritable tournant, politique et économique, dans notre région de Haine, il semble que cette dernière migration a imprégné la population nettement plus que la précédente.
On a trouvé quelques vestiges d’habitat laténiens à l’ouest du Hainaut (Ladeuze, Mévergnies, Brugelette). A Basècles, on a décelé un atelier où l’on fabriquait des bracelets en schiste.
Des traces de fortifications ont été découvertes à Rouveroy “Castelet”.
Mais le plus intéressant, ce sont des découvertes de tombes, relativement riches, dans les vallées mêmes de la Haine et de la Trouille, au point que l’historien Mariën a défini un “groupe laténien de la Haine“, datant du IVème et du IIIème siècle, donc avant l’arrivée des Belges Nerviens. A Leval-Trahegnies “la Courte”, des sépultures à incinération contenaient des armes (épées), des parures, des poteries, mais surtout des pièces de char (clavettes d’essieu décorées) et des pièces de harnais. D’autres tombes et petites nécropoles ont été mises au jour à Carnières, à Ciply “Champ des Agaises”, à Cuesmes “Mont Héribus”, à Frameries “Belle Vue/Crachet”, à La Bouverie, à Harmignies “Mont-de-Presles”, à Spiennes “Camp-à-Cayaux”, à Nouvelles, à Epinois et Péronnes-lez-Binche. A Estinne-au-Mont, on a trouvé une tombe presque identique, mais moins riche, plus tardive (fin IIème).
Ces Celtes Laténiens et peut-être aussi Gaulois avaient des rites particuliers, comme celui de faire des dépôts votifs (torques, monnaies en or, épées, pièces de harnachement) dans les rivières. On en a trouvé un beau à Pommeroeul, un autre à Peissant.
D’autres objets de cette époque ont été trouvés, en sites non étudiés méthodiquement, à Baudour, à Thulin, à Stambruges, à Quevaucamps “Marlières”, à Ellignies-Sainte-Anne, à Aubechies et à Blicquy “Ville d’Anderlecht”.

Les Gaulois
Les Gaulois ne constituaient pas un seul peuple, gouverné par un seul roi ou pouvoir. Ils parlaient une même langue (sans doute des dialectes différents), vivaient de la même façon. Comme chez les Indo-Européens, il y avait une classe de dominants (guerriers, aristocrates, rois, druides) et une classe de dominés (les paysans, les ouvriers et les artisans). Ils avaient aussi une même religion dont le clergé était constitué de druides, des savants qui étaient compétents en matière religieuse, judiciaire et politique. Ils étaient propriétaires de tout le savoir celtique (coutumes, histoire, récits et légendes, …), qu’ils apprenaient par coeur pendant de longues années dès l’enfance. Rien n’était écrit. Seule la tradition orale était tolérée. Les Gaulois ne savaient ni lire ni écrire, hormis quelques négociants qui commerçaient avec les “peuples de l’écriture” (Grecs, Romains) et sans doute quelques intellectuels (sans doute des druides aristocrates) qui allaient étudier dans le monde romain.


Pas de peuple unique, mais des peuples (une centaine en Gaule) qui partageaient une même culture et commerçaient entre eux et avec le monde romain. Pas de monnaie non plus, sauf lorsqu’on commerçait avec ce même monde.

Les Belges Nerviens
Les derniers arrivés en Gaule étaient donc les Belges, peuples plus proches des Germains qui, à la faveur des grandes migrations celtiques des IVème et IIIème siècles, prirent leur place en Europe centrale, au-delà du Danube et du Rhin. Et parmi ces Belges, il y avait les Nerviens, ces Gaulois qui vivaient sur nos terres hennuyères. Leur territoire s’étendait entre l’Escaut à l’ouest et au nord (ce fleuve les séparait des Atrébates, des Ménapiens et des Bataves), la Forêt Charbonnière à l’est (les séparant des Eburons et des Aduatiques) et une limite un peu floue (Oise) au sud de Cambrai et d’Avesnes ( les séparant des Viromandouins et des Rèmes). La vallée de la Haine est au centre de ce territoire et constituait sans doute un axe important de circulation.

Mode de vie des Nerviens

En fait, pour ce que l’on en sait (ils sont plus souvent cités que décrits par les auteurs romains), ce pays de “Nervie” ressemblait à celui des époques antérieures. Des petites fermes, en grand nombre, sont éparpillées sur tout le territoire, plus au sud (plus limoneux et fertile) qu’au nord (plus sablonneux). Elles étaient systématiquement entourées d’un fossé (délimitation de la propriété). L’outillage en fer s’était généralisé. Il améliorait le travail et la production était devenue intensive. Les Gaulois avaient inventé l’araire pour bien remuer le sol à cultiver. Les Nerviens furent les premiers à faire du défrichement à grande échelle. Ce paysage a bien été décrit lors de fouilles préventives sur une grande superficie en certains endroits, notamment à Onnaing avant la construction des usines Toyota, ainsi qu’à Brugelette et Ladeuze.

Il s’agissait donc d’un territoire essentiellement rural. Alors que dans d’autres peuples gaulois, on commençait à voir apparaître des structures préurbaines, notamment sur ces fameux oppidums où étaient concentrés les pouvoirs ,politique, religieux et économique (artisanat, réserves de grains, ateliers monétaires). C’était surtout le cas chez les peuples déjà assez liés au monde romain (Eduens, Arvernes, …). Chez les Nerviens, pas d’oppidum connu, pas de centre ayant un minimum d’importance , du moins dans l’état actuel de nos connaissances. Pourtant ils devaient avoir un pouvoir qui se concentrait quelque part car, quand il a fallu se défendre contre les armées de Jules César, ils ont rapidement pu mettre sur pied une armée suffisante et efficace, aux ordres de leur chef Boduognat. Seules quelques hypothèses sont émises pour un tel centre politique ou militaire, mais sans preuves réelles.
Le site d’Avesnelles (Flaumont-Waudrechies, près d’Avesnes) paraît le plus indiqué, mais n’a, semble-t-il, jamais été fouillé méthodiquement, car il fut très abîmé par une carrière. Un oppidum d’une superficie de 14ha, entouré d’une double enceinte, semble y avoir été aménagé à l’époque nervienne. En attente d’autres découvertes, Avesnelles pourrait avoir été la capitale des Nerviens, située à peu de distance de la Selle, rivière où s’est très probablement déroulée la grande “bataille de la Sabis”, décrite par Jules César qui, avec de très grandes difficultés, y a vaincu les Nerviens, alliés aux Atrébates et aux Aduatiques.
On aurait bien envisagé la colline de Mons pour remplir ce rôle de capitale, mais aucune preuve archéologique ne va dans ce sens. Quelques structures fortifiées laténiennes ont été trouvées à Estrun-sur-Escaut (Cambrésis), à Rouveroy, à Thuin, à Châtelet, à Lompret, mais rien qui puisse rappeler les oppidums bien connus d’autres peuples gaulois. Quant à Bavay, beaucoup l’ont évoqué et imagé de légendes, mais, comme ailleurs, rien ne laisse supposer un site organisé avant l’arrivée des Romains.
En réalité, les Nerviens étaient du type farouche, peu enclins aux échanges commerciaux et culturels. Ils vivaient presqu’en autarcie sur leur territoire qu’ils défendaient habilement, protégés par un réseau dense de bois et de haies épineuses difficiles à franchir.
Ils connurent très tard la monnaie. Les plus anciennes étaient des monnaies macédoniennes du IIIème siècle, sans doute ramenées par quelques mercenaires partis se battre avec Alexandre le Grand ou un de ses successeurs généraux. Au IIème siècle, les Nerviens commencèrent à battre des monnaies, encore fort semblables aux pièces grecques (statères). Les premières véritables monnaies nerviennes, les potins en alliage métallique, datent du Ier siècle. On en a trouvé de gros dépôts à Thuin. Elles servaient au commerce “transfrontalier” car, entre eux, ils pratiquaient toujours le troc.
On pense qu’à Pommeroeul existait une ferme nervienne; on y a trouvé des épées en fer, des pointes de lance, des haches, des outils variés, des monnaies gauloises (statères et potins). Des haches et des poteries gauloises, ainsi qu’un casque macédonien (d’un ancien mercenaire?), ont été trouvées sur le Mont d’Elouges.
A Cuesmes existait un cimetière nervien. Certains pensent que le “Tombois” à Quiévrain pourrait être de cette époque.
On suppose à Baudour un sanctuaire druidique.
Des monnaies gauloises (potins à rameau A ou C) ont encore été trouvées à Basècles, Stambruges, Quevaucamps,  Sirault, à Thulin et à Angreau.

La conquête romaine (58 à 52 avt J.C.)
Tout change en -58 avec la conquête du nord de la Gaule par Jules César. Ce dernier avait l’ambition de s’emparer du pouvoir dans une Rome abandonnée aux guerres civiles de la fin de la République et avait besoin de moyens financiers et humains pour y arriver. Nommé gouverneur de la Gaule Cisalpine (nord de l’Italie, repris aux Gaulois au IIIème siècle) et de la Gaule Narbonnaise (sud de la France, conquis par Marius en -125), il prit prétexte de l’appel à l’aide de certains peuples gaulois “alliés” (les Eduens et les Arvernes) face à la menace germanique des Suèves en Suisse et en Alsace, pour “pacifier” l’ensemble du territoire gaulois, ce qu’il réalisa entre -58 et -52. Ce ne fut pas une sinécure, comme il nous le raconte dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules. Et « sunt Belgii bravissimi ! ».
Les Nerviens furent battus sur la “Sabis”, probablement la Selle, rivière affluent de l’Escaut dans le Cambrésis actuel. Malgré quelques rébellions et notamment une participation à la grande révolte de Vercingétorix en -52, ils furent sèchement battus. Peut-être pas aussi massacrés que ne le décrit Jules César car, par la suite, leurs élites aideront beaucoup à reconstituer une “nouvelle Nervie”.

Mais ici commence un nouvel épisode de notre histoire …

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