9. Sous l’empire romain (1ère partie)

Le Haut-Empire romain (de -52 jusque vers 250)
Il a fallu six ans (de -58 à -52) pour que Jules César et ses armées viennent à bout de la résistance gauloise. Nos Nerviens semblent y avoir laissé de nombreuses vies, mais peut-être pas autant que les “Commentaires” du célèbre général romain ne semblent l’indiquer.

La pax romana
Ces “Gallo-Romains” vont connaître pendant trois siècles une période de paix et de grande prospérité. En effet, leur territoire occupe une position stratégique sur les voies de circulation, entre la Manche (et au-delà, les îles Britanniques) et le Rhin, où les Romains vont cantonner de grosses troupes défensives qu’il va falloir approvisionner en vivres, chevaux et ressources diverses.

Revenons aux premiers temps de la conquête romaine . Pendant quelques décennies, les conquérants vont laisser quelques garnisons par-ci par- là, et quand ils seront sûrs que toute la zone est pacifiée, ils vont les déplacer vers les frontières (limes). Les paysans-guerriers Nerviens qui ont survécu à la conquête et aux répressions des révoltes vont retourner dans leurs fermes gauloises et reprendre le travail des champs. Ils entrent ainsi dans la nouvelle économie créée par la nouvelle situation politique. Leurs élites, qui ont accepté de se soumettre, vont se fondre dans le “moule culturel” romain et être éduquées “à la romaine” pour remplir les nombreuses tâches administratives que le nouveau pouvoir met en place. Elles vont adopter sa langue (le latin), son mode de vie et le même goût du luxe.

Le paysage

Les fermiers conservent leurs terres. Celles qui ont été abandonnées sont annexées par les Romains et rattachées au domaine impérial (fiscus imperialis). Une partie d’entre elles sont données à quelques légionnaires romains à la retraite, qui s’y installent. Ce sont des colons. Il ne semble pas qu’ils furent très nombreux chez nous. D’autres seront progressivement allouées, en signe de récompense, aux nouvelles élites politiques et administratives. Certaines aussi seront achetées par celles-ci.
Le paysage va se couvrir d’un très grand nombre d’exploitations agricoles, d’importance inégale. Les anciennes fermes gauloises vont continuer de fonctionner. Elles sont encore construites en matières périssables, qu’il s’agisse des bâtiments d’ habitation ou des annexes (greniers, silos, écuries, étables, forge, …). Vont alors apparaître, comme dans les régions méridionales, les villas romaines, construites en pierres et en briques (matériaux qu’on ne va pas toujours retrouver dans les fouilles archéologiques, car ils auront été réutilisés par la suite), avec des toits de tuiles (tegulae, imbrices) que les archéologues vont souvent retrouver sous forme de fragments. Ces villas,destinées aux plus riches (autorités, magistrats, gros négociants), vont s’orner de mosaïques, de peintures, de stucs et contiendront souvent des sculptures et de la vaisselle de valeur, importées des régions méridionales, comme les céramiques sigillées.

La romanité en vallée de la Haine
Peu de ces villas, dans la vallée de la Haine, ont été méthodiquement fouillées. On relève surtout celles de Nouvelles, d’Estinnes et de Blicquy. En dehors de la région, il faut noter aussi les villas de Solre-sur-Sambre, de Ghislenghien et de Meslin-l’Evêque, ainsi que de Bruyelle.

Pour le reste, des archéologues amateurs, des passants, des paysans et des jardiniers ont souvent mis au jour les vestiges d’un habitat gallo-romain ou d’une structure artisanale (tuiles, céramiques, objets en fer ou en bronze, monnaies, fours, meules, …), mais en si petites quantités qu’il est impossible d’en tirer des conclusions quant à l’importance de l’exploitation.
Si l’on s’intéresse à l’histoire des villages, presque chacun d’ eux a fait l’objet de telles découvertes, ce qui laisse à penser qu’il existait un réseau dense de fermes ou de villas dans notre région, éloignées l’une de l’autre de 2 ou 3 km. Il faut éviter d’en conclure que ces villas furent à l’origine de nos villages actuels. C’est peut-être vrai pour certaines (Quiévrain, Elouges, …), encore que l’on n’arrive pas à prouver une continuité absolue dans le temps entre villas gallo-romaines, résidences franques et une communauté villageoise implantée à proximité. En réalité, la plupart ont disparu. Nous en reparlerons au chapitre suivant.
Reprendre ici une liste des villages où des indices d’habitat ont été trouvés serait fastidieux. Tous ces éléments sont décrits dans les chapitres qui sont consacrés à chaque village et ville.

Le paysage rural qui vient d’être décrit est donc celui qui concernait la très grande majorité des “Gallo-nervo-romains”. Et, mis à part le phénomène “villa” et la grande prospérité des fermes, dus à une forte intensification des échanges commerciaux, ce cadre de vie reste encore proche de celui des Nerviens et même des populations des âges de métaux.

La grande nouveauté, c’est le nouvel encadrement romain. Revenons-y.
Sur le plan politique, l’époque de la conquête (-58 à -52) eut lieu lors des derniers soubresauts des guerres civiles à Rome. Jules César lui-même n’en profita pas puisqu’il fut assassiné peu de temps après. Les luttes continuèrent jusqu’en -29, lorsque son fils adoptif, Octave, prit le pouvoir à Rome et modifia la forme du gouvernement en instituant une espèce de dictature éclairée qu’on appelle Empire Romain. Eclairée, car lui et une partie de ses successeurs vont assurer, avec le Sénat, dans un très vaste empire qui entoure la Méditerranée, la paix, la prospérité et une manière de vivre commune , le tout basé sur des échanges commerciaux, religieux et culturels. C’est à partir d’Octave “Auguste” que les Gaulois commencèrent à ressentir la romanisation, avec la gouvernance d’un général de l’empereur, en fait, son ami et gendre, Vipsanius Agrippa.

La province de Belgique
Rome a toujours fait de ses conquêtes des provinces qui sont administrées comme elle l’était elle-même, en y instaurant le même type de pouvoir politique, judiciaire, religieux et commercial. La Gaule ne va pas y échapper. Elle fut divisée en plusieurs provinces. Notre vallée de Haine se situa dans celle des Belges (provincia belgica) qui s’étendait du Rhin et de la Mer du Nord jusqu’à la Seine et dont la capitale était Durocorturum (Reims) où séjournait un gouverneur qui organisait la justice, les finances, les travaux publics, … L’impôt était perçu par un procurateur général qui résidait à Trevevorum (Trèves). Il était établi en fonction de la propriété foncière déterminée par des censitores (censeurs). D’autres taxes étaient prélevées aux frontières, sur les héritages et sur les affranchissements d’esclaves.

La Cité des Nerviens
Chaque province fut divisée en cités (civitas). Le génie romain, c’est d’avoir respecté les différents peuples gaulois et, plus ou moins, les limites de leurs territoires. Nos “ancêtres” ont donc vécu dans la Cité des Nerviens (Civitas Nerviorum). Elle était dirigée par un conseil de décurions, aidés de magistrats choisis dans l’élite gauloise.
Pour rappel, la cité des Nerviens s’étendait du Cambrésis, au sud, à la région d’Anvers, au nord, de l’Escaut à l’Ouest à une ligne qui traversait la forêt charbonnière, à l’est.

Carte du nord de la Gaule

Bavay
Il fallait une capitale à cette cité, pour y concentrer tous les pouvoirs régionaux (magistratures diverses, justice, fiscalité, centre religieux, centre artisanal et commercial). A la différence de bon nombre d’autres peuples gaulois, nous avons vu que les Nerviens ne semblaient pas avoir une réelle capitale. Qu’à cela ne tienne, les Romains en ont fondé une: Bagacum Nerviorum (Bavay). Il semble que rien d’important n’existait à cet endroit auparavant, malgré toutes les légendes qui ont couru par la suite. On y a aménagé une ville “à la romaine”, avec son forum, son quadrillage de rues, sa basilique (pour la justice et le commerce), son temple officiel, ses bureaux, ses boutiques, ses ateliers, etc… Tout cela de novo. Bavay fut ainsi la première ville que le futur Hainaut a connue. Tout cela est décrit et développé dans le chapitre consacré à cette ville.

Les voies de communication romaines
La situation leur a paru intéressante sur ce plateau qui domine les vallées du Moyen-Escaut, de la Haine et de la Haute-Sambre. D’autant plus qu’ils en ont fait un noeud routier. De Bavay partaient sept chaussées romaines. Des voies de circulation existaient naturellement avant leur arrivée. Comment d’ailleurs les légions auraient-elles pu se déplacer aussi facilement ? Et puis les Gaulois n’étaient pas aussi retardés qu’on a bien voulu le décrire dans le passé. Ils étaient depuis un ou deux siècles en contact avec leurs futurs conquérants.

Mais il fallait faciliter le trafic routier (et fluvial) pour permettre aux troupes de se déplacer plus vite avec leurs charrois, pour améliorer le transport des marchandises, des productions, locales et importées du sud, pour accélérer les courriers (Cursus publicus) et les déplacements des autorités. Bavay se situait sur une grande voie de communication qui allait de Boulogne, port militaire et commercial sur la Manche, fondé par les Romains pour aller en Grande Bretagne, jusqu’à Cologne, colonie fondée sur le Rhin, où se trouvait le commandement militaire de toutes les garnisons qui gardaient la frontière face à la Germanie.

Des relais routiers (vicus)
Ces chaussées romaines, qui ont sans doute été en partie construites sur des voies plus anciennes, ont joué un rôle capital dans le développement des régions traversées et notamment celle qui nous concerne. Il faut savoir qu’avec l’aménagement des routes, les Romains (ce sont souvent les militaires qui construisaient les chaussées) édifiaient, tous les 25-30km, des points-relais (mansio, mutatio) où les voyageurs pouvaient trouver de quoi se restaurer, se loger, acheter, changer ou entretenir leurs montures. Ces centres se développèrent en petites agglomérations (vicus), où ateliers d’artisans (forges, potiers, boucheries, boulangeries) et boutiques de commerçants s’installèrent. On y organisait un marché où les paysans des environs venaient écouler leurs produits de culture et d’élevage. Ces vicus attiraient les populations des alentours. Des cérémonies religieuses, des fêtes et des manifestations culturelles pouvaient y être organisées.

Certains vicus étaient admirablement bien situés au croisement d’une chaussée et d’un cours d’eau navigable (ne fut-ce que pour des petites embarcations à fond plat). C’est ainsi que naquirent deux agglomérations qui devinrent plus tard des villes. Elles ne sont situées ni en vallée de Haine, ni même dans le futur Hainaut, mais il est important de les citer pour les rôles qu’elles joueront plus tard: Cambrai et Tournai.
Les chaussées ont commencé à être aménagées dans les trois dernières décennies avant J.C. Il en reste encore aujourd’hui de nombreux tronçons, car elles furent encore empruntées pendant des siècles. La légende veut qu’une reine franque, Brunehaut, les ait fait rénover au VIème siècle, ce qui est aujourd’hui mis en doute par les historiens. Il n’empêche, elle a laissé son nom à beaucoup de rues et de chemins. Une statue a même été érigée à Bavay au XIXème siècle au croisement des sept chaussées.

Quels sont ces vicus qui eurent une certaine importance dans cette période gallo-romaine ? Ils se sont tous développés dans les deux premiers siècles de notre ère.

Sur la chaussée, allant vers Turnacum (Tournai, et plus loin vers Cassel et Boulogne), on peut citer Ponte Scaldis (Escaupont) au croisement de l’Escaut.
Sur la chaussée allant vers la Mer du Nord, importante pour l’approvisionnement en sel et poisson séché (comme la précédente), on note HensiesPommeroeulMontroeul-sur-Haine, au croisement de la Haine, où les vestiges d’un embarcadère, d’ateliers artisanaux et de villas ont été découverts. Plus loin, se trouve Blicquy, relai sur la chaussée, mais aussi sanctuaire religieux très important.
Sur la chaussée vers le nord (Asse, Utrecht), il est plus difficile de déterminer quels furent les points-relais. Probablement Maisières « Espiniau ». Il reste toujours de grosses interrogations quant à ce que fut la colline de Castrilocus Mons (Mons). Dans les villages alentours, on a trouvé plusieurs nécropoles gallo-romaines (Ghlin, Nimy, Spiennes) qui pourraient attribuer à ce site un rôle non documenté par des écrits. Ne fut-ce que tardivement dans l’empire.

En allant vers le nord-est (Tongres, Cologne), on passe par Goegnies-Chaussée, puis par Givry (qui eut au moins un rôle militaire plus tardivement) et surtout Vogdoriacum (Waudrez-lez-Binche), où toutes les caractéristiques d’un vicus ont été décrites, comme à Liberchies un peu plus loin, mais hors du territoire nervien. A Péronnes-lez-Binche, on retrouva une borne miliaire (panneau de signalisation de l’époque).

Vers l’est (Arlon, Trèves), on quitte immédiatement la région et je suis moins documenté (Maubeuge sur la Sambre ?, Montignies-Saint-Christophe ?).

Vers le sud (Reims), il en est de même, mais il existait un vicus à Etroeungt et un sanctuaire à Sains-du-Nord.

Vers Amiens, on trouve, hors vallée de Haine, Camaricum (Cambrai), appelé à un grand rôle par la suite.

A “deux pas” de l’Escaut, s’est développé un vicus à caractère artisanal, commercial et religieux: Famars. Ce site prendra beaucoup d’importance à partir de la fin du IIIème siècle. Nous en reparlerons.

Ayant fait le “tour” de Bavay par ses sept chaussées, il faut encore souligner que celles-ci étaient reliées entre elles, dans certaines régions, par des voies secondaires, appelées diverticulums. Il est fort probable, mais non prouvé, qu’une telle liaison existait le long de la Haine sur sa rive sud (de Condé ou Crespin jusqu’à Waudrez-Binche, en passant près de la colline de Mons).

Et entre chaussées et diverticulums, on comptait encore des chemins “privés” qui reliaient ces routes aux nombreuses fermes et villas qui étaient éparpillées dans le paysage.

Economie
On a donc compris que les habitants vivaient essentiellement du secteur agro-pastoral. Les terres étaient fertiles, surtout dans le sud de la Nervie où l’on trouvait l’essentiel des vicus et des exploitations agricoles. Les défrichements de forêts furent très importants. On cultivait les céréales, les légumineuses, les légumes et les fruits. On élevait principalement le bœuf et le porc, mais aussi les volailles et les moutons. Les paysans vivaient de leurs productions et vendaient leurs surplus sur les marchés de Bavay et des vicus, et surtout aux garnisons militaires rhénanes.

Les artisans travaillaient la peau, la laine. Ils fabriquaient des outils, des tissus, des bijoux et des céramiques d’usage courant. On a découvert des vestiges d’un atelier d’amphores à Sirault et d’autres ateliers à Bavay, Famars, Blicquy et Waudrez. Les Nerviens étaient spécialisés en mortiers et cruches, ainsi qu’en draps et manteaux.

On a aussi dès cette époque extrait de la pierre (grès, marbre) du sous-sol. Les Hauts-Pays, à proximité de Bavay (AngreRoisin, Bellignies et Bettrechies), ont livré des éléments de construction pour leur capitale.

Pour le reste, on importait d’Italie et du sud de la Gaule : du vin, de l’huile, de la soie, des produits de luxe (vaisselle fine, verrerie, étoffes, bijoux en bronze).
Nombre de Gaulois s’engagèrent dans les bataillons auxiliaires des armées romaines.

Voici une description de ce que fut la vallée de la Haine dans les trois premiers siècles de “domination” romaine, qui ne furent pas un joug, mais un grand élan de paix et de prospérité pour des populations en grande majorité rurale. Certains de ces éléments nous sont racontés par les historiens de l’époque. Mais ces sources écrites sont pauvres. On ne connait rien des personnalités qui jouèrent des rôles politiques ou autres dans la région. La plus grosse partie de la documentation nous vient donc de l’archéologie. Mais par rapport aux périodes précédentes, nous avons l’impression de mieux appréhender le paysage et la vie de ceux et celles qui y habitèrent.

Tout cela nous inspire de la sérénité et du bonheur de vivre. Je ne suis pas sûr qu’il en fût toujours ainsi, “les hommes étant ce qu’ils sont”. Mais ce dont on est sûr, c’est que cela ne durera pas…

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