A partir de la création d’un royaume indépendant de Belgique, se posent plusieurs problématiques, simultanées ou consécutives, qu’il y a lieu de décrire séparément. Du moins aborderais-je celles qui auront des répercussions sur l’histoire de la vallée de la Haine.
Les premiers pas du nouvel Etat Belge vont se faire dans un contexte européen difficile où nationalisme, protectionnisme, révolution industrielle, montée du capitalisme, du socialisme et du communisme vont se manifester, non sans heurts. Alterneront alors des périodes de prospérité et de crises économiques, les périodes de paix et celles qui verront naître révolutions, guerres, tensions extrêmes et affrontements violents nés de l’enrichissement des uns au mépris de la misère des autres. Toute cette histoire se trouve représentée dans notre vallée, où Borinage et Centre se retrouveront au cœur et à la tête de ces mouvements pendant un siècle et demi, avant de connaître un lourd déclin.
J’essaierai, dans le présent chapitre, de résumer les phénomènes politiques qui auront un impact sur notre région: les crises de l’enseignement et les mouvements sociaux majeurs. Dans les chapitres suivants, je reviendrai sur les activités économiques elles-mêmes, et principalement sur ce qui a fait la richesse du Borinage et du Centre, à savoir l’exploitation de la houille, sans oublier pour autant les autres créneaux économiques. Je m’arrêterai aussi sur les infrastructures de transport qui ont permis le développement et la réussite de ces régions. J’essaierai enfin de résumer les faits traumatisants dont les deux guerres mondiales ont laissé des traces dans la mémoire de la région.
Une monarchie constitutionnelle parlementaire
Tel est le régime politique décrété par les Belges qui ont mené la révolution de septembre 1830, au terme de laquelle ils se séparaient du royaume des Pays-Bas. Ils ont proclamé l’indépendance le 4 octobre, procédé aux premières élections législatives le 3 novembre, réuni un premier Congrès national le 10 novembre et nommé un gouvernement d’union nationale. La première constitution naquit le 7 février 1831. Le premier roi, Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha, prêta serment le 21 juillet 1831.
Réactions hollandaises
Les grandes nations acceptèrent l’existence de la Belgique, encore que le français Talleyrand préférait séparer le nord flamand (pour le rattacher aux Pays-Bas) et le sud francophone pour le rattacher à son pays. La volonté des Belges, avec le soutien des Anglais, des Prusses et des Autrichiens, permit la naissance de notre royaume et sa destinée politique.
Le roi Guillaume de Hollande ne l’entendait pas de cette oreille. A deux reprises, il tenta de réinvestir militairement la Belgique. Dès le 2 août 1831 il envoya, à cette fin, une armée de 80.000 hommes. Il n’existait pas encore d’armée belge bien organisée et préparée. Léopold Ier appela les Anglais et les Français à l’aide. Ces derniers, dirigés par un nouveau roi plus libéral, Louis-Philippe d’Orléans, envoyèrent 40.000 hommes dont la plus grosse partie entra sur notre territoire par Quiévrain le 7 août, sous le commandement du maréchal Gérard. Les troupes se rassemblèrent sur la plaine militaire de Nimy-Maisières-Casteau, puis s’avancèrent vers Bruxelles qu’elles atteignirent le 11 août. Les Néerlandais n’osèrent pas engager le combat, négocièrent, s’inclinèrent et se retirèrent le 20 août. Les Français firent de même. On fixa, par le traité des XXIV Articles du 14 octobre 1831, les frontières entre les Pays-Bas et la Belgique. Celle-ci cédait définitivement aux Pays-Bas la Flandre zélandaise, le nord du Brabant, l’est du Limbourg. Ce qui deviendrait un peu plus tard le Grand-Duché de Luxembourg passa directement sous l’autorité du roi Guillaume Ier.
En désaccord avec le traité, les Hollandais laissèrent une garnison dans la citadelle d’Anvers. Pour les chasser, on vit à nouveau une armée française pénétrer par Quiévrain le 15 novembre 1832. Le 30 novembre, le maréchal Gérard enjoignait à la garnison de quitter le pays. Il essuya un refus et ordonna donc le bombardement de la citadelle. Le 23 décembre, les Hollandais quittaient définitivement la Belgique. Les Français, acclamés par les foules, rentrèrent chez eux. L’Europe admettait le “fait belge”. Il fallut attendre 1839 pour voir le roi des Pays-Bas acquiescer à cette décision.
Entretemps, Léopold Ier avait obtenu la main de la fille du roi de France. On le vit passer par Quiévrain le 5 août 1832, en route vers Compiègne pour épouser Louise-Marie-Charlotte d’Orléans, première reine des Belges.
Une Belgique neutre
Deux conflits européens vont marquer le XIXème siècle: les révolutions de 1848 et la guerre franco-prussienne de 1870. Chaque fois, l’Etat Belge se montra neutre et ne fut jamais impliqué.
Cependant, en mars 1848, lorsque la monarchie française de Louis-Philippe fut renversée pour laisser place à la Deuxième République, des insurgés républicains français et belges vont tenter d’envahir la Belgique. Ils vont le faire près de Mouscron, et à Quiévrain le 25 mars. Dans cette dernière localité, ils étaient une troupe de 700 ouvriers espérant un accueil favorable de la population. En réalité, il existait toujours en France, comme jadis, une mouvance qui comptait toujours faire reculer les frontières de la France plus au nord. La gendarmerie, avertie, refoula les Français et arrêta les Belges.
Les premiers problèmes sociétaux autour de l’enseignement
Jusqu’à la fin du XIXème siècle, deux partis vont dominer la politique belge, profitant du mode de vote censitaire (avaient le droit de voter ceux qui payaient un certain niveau d’impôt, donc les plus riches, une minorité): les Libéraux et les Catholiques, unis dans un premier temps, puis prenant le pouvoir alternativement à la faveur des élections.
Avec le roi, ils mirent d’abord en place les institutions belges: lois communales, lois provinciales, création d’une garde civique et d’un service militaire.
Ils favorisèrent l’économie (commerce et industrie), en permettant la création de sociétés qui apportaient des capitaux aux entreprises et finançaient les moyens de transport (voir chapitres économiques).
Ces deux partis représentaient deux visions différentes de la société. Ils s’opposèrent principalement au sujet de l’enseignement qui, jusqu’il y a peu, était organisé par le clergé, en accord avec les autorités communales. Dans les villages, un clerc ou un vicaire assurait un enseignement de base, non obligatoire et payant.
La mise en place d’un enseignement primaire avait été imposée à chaque commune en 1814 par le roi Guillaume de Hollande. Lui, le roi protestant, entrait ainsi en conflit avec l’Eglise Catholique qui détenait jusque-là le monopole d’un enseignement toujours payant et non obligatoire. Des écoles laïques et neutres apparurent dans les années qui suivirent, couvrant trois niveaux: primaire, secondaire et supérieur.
En 1834, Théodore Verhaegen fonda “l’Université Libre de Bruxelles” (ULB), basée sur les principes du Libre Examen, encouragée par les Libéraux.
En 1841, pour la première fois, un gouvernement d’union nationale tomba sur la “question scolaire“. A cette époque encore, de nombreux enfants abandonnaient leur scolarité lors des périodes de moissons, et la quittaient définitivement vers l’âge de 10 ans, quand on les jugeait capables de travailler, à la ferme, à la mine ou à l’usine.
En 1843, on rendit obligatoire une instruction gratuite pour chaque enfant. Il y avait, dans chaque village, une école communale pour les garçons, une autre pour les filles. C’étaient souvent des religieuses qui assuraient les cours pour les filles. Mais l’absentéisme persistait aux périodes de travaux dans les champs.
En 1850, le gouvernement libéral de Charles Rogier permit la création d’écoles moyennes supérieures de l’Etat (les athénées), ainsi que les écoles moyennes inférieures. On augmenta l’impôt pour les financer. On discuta sur l’obligation d’enseigner la religion dans les écoles de l’Etat. Finalement, cet enseignement fut permis et dispensé par un ministre du culte.
En 1879, un autre gouvernement libéral obligea les communes à organiser une école neutre et laïque, avec des instituteurs laïcs. On interdit le financement d’écoles libres et l’instauration d’ un cours de religion. Une nouvelle guerre scolaire fut déclenchée. Les Catholiques, soutenus par les évêques et le pape Léon XIII, créèrent des écoles libres avec leurs propres deniers. Par exemple, à Thulin, les religieuses, qui avaient été chassées dans un premier temps, revinrent enseigner dans les locaux d’une sucrerie. Ces écoles libres avaient du succès, puisqu’elles furent fréquentées par 60%, et parfois plus, de la population scolaire. Frère-Orban, le premier ministre libéral, rompit les relations diplomatiques avec le Vatican. Il envoya l’armée évacuer les écoles libres qui s’étaient installées dans des immeubles communaux.
1884 vit élire le gouvernement catholique de Jules Malou qui s’empressa de renouer avec Rome et de redonner aux communes le choix entre une école libre et une école officielle laïque. La guerre scolaire continua, provoquant beaucoup de remous dans nos villages où l’intérêt de la population pour la politique grandissait, et créant les premiers clivages entre “calotins” et anti-calotins”.
En 1894, le gouvernement catholique fit adopter le financement par subsides des écoles libres. L’enseignement de la religion redevint obligatoire.
Les conflits reprirent beaucoup plus tard en 1954, lorsque le gouvernement du montois Léo Collard décida de réduire les subventions aux écoles libres. Ayant perdu les élections, les socialistes laissèrent au nouveau gouvernement de Gaston Eyskens le soin de signer un pacte scolaire qui assurait la liberté de choix du père de famille par la gratuité garantie dans les deux réseaux d’enseignement. L’Etat prenait en charge les traitements de tous les professeurs, quel que soit le réseau.
Les luttes sociales
Ce sont elles, surtout, qui vont marquer la vie d’une grande partie de la population. Dans un chapitre consacré à l’exploitation de la houille, j’esquisse les conditions misérables dans lesquelles la main-d’oeuvre ouvrière et sa famille tentaient de survivre.
Le Borinage était devenu, depuis les XVIIIème-XIXème siècles, le bassin houiller le plus productif d’Europe. Le Centre suivra, dans le courant du XIXème siècle. Il ira même jusqu’à diversifier beaucoup plus ses activités économiques. Ces deux régions vont connaître, à cette époque, un essor économique à son apogée et une prospérité qui, malheureusement, ne profitera pas à tous de façon équitable.
Le XIXème siècle, qui fait suite à la Révolution française, est celui de la victoire du capitalisme bourgeois, favorisé par des gouvernements libéraux surtout, et, dans une moindre mesure, catholiques. Des financiers vont créer des sociétés à gros capitaux pour investir dans les outils industriels coûteux et dans les moyens de transport destinés à développer le commerce. Des maîtres d’industrie, dans leurs nouveaux châteaux cossus, vont dominer la société et, plus encore que les anciens seigneurs féodaux, vont assujettir une classe d’ouvriers dépendant complètement d’eux pour leur survie.
Il y eut des exceptions comme ces patrons qui construisirent les cités du Grand-Hornu et du Bois-du-Luc, ailleurs des corons et des hôpitaux. Mais dans leur majorité, au-delà de la production de houille et de produits manufacturés, au-delà du souci d’écouler commercialement ces mêmes produits, ils auront surtout en tête un vrai souci: le profit.
Dans un premier temps, comme à l’époque féodale, le petit peuple, peu éduqué, accepta cette situation comme une fatalité. Il est vrai que jusque dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, le travail à la mine était encore partagé avec celui de la terre. Cependant les besoins en charbon augmentèrent très fort en cette fin de siècle et surtout au siècle suivant. Il fallut plus de main d’oeuvre. Si certains mineurs quittaient encore chaque matin leurs petites habitations villageoises, à pied, parcourant plusieurs kilomètres, pour atteindre leur charbonnage et en revenaient fourbus le soir, beaucoup d’autres allèrent s’agglutiner autour des sites miniers dans des hameaux aux maisons sordides, abandonnés à la promiscuité et à la noirceur de la suie et de la fumée crachée par les cheminées toutes proches à longueur de jour et de nuit.
Les premiers heurts sanglants survinrent le 25 octobre 1836 à Jemappes, suite à une grève dans le Borinage. Il faut rappeler qu’il était interdit, alors, de manifester et de faire grève. Ceux qui bravaient cette interdiction étaient punis durement par la gendarmerie ou l’armée. Les gouvernements, de quelque bord qu’ils fussent, restèrent fermes sur ce sujet pendant quelques décennies.
En 1840, face au grondement social dans leurs entreprises, les patrons créèrent, dans le Borinage, une “Caisse de Prévoyance en faveur des ouvriers du Couchant de Mons”. Plus qu’une tentative d’améliorer les conditions de travail, il s’agissait d’un outil de contrôle pour faire respecter l’ordre. Chaque émeute, chaque grève, chaque mouvement social était soumis à une répression sévère.
En 1848-1850, une grande crise secoua l’Europe. Elle provoqua des changements politiques dans certains pays, comme en France, où la République fut promulguée avant de céder rapidement le pas au Second Empire de Napoléon III. Hormis la petite “affaire de Quiévrain” évoquée plus haut, la Belgique ne fut pas impliquée politiquement, mais elle eut à subir des répercussions économiques, notamment sur le commerce, parce que les pays voisins, suivant une politique nationaliste et protectionniste, augmentèrent les droits de douane à l’exportation de nos produits. Il fallut réduire la production, ce qui créa du chômage et de la misère supplémentaire, d’autant plus que de mauvaises récoltes, plusieurs années de suite et une grande épidémie de typhus en 1847 avaient semé la famine et la mort.
A Jemappes, en avril 1848, eut lieu une grève des mineurs qui dura deux semaines, parce qu’on avait réduit leurs salaires.
Ces années marquèrent particulièrement les esprits. Elles faisaient prendre toute la mesure de la misère du prolétariat. De nouvelles doctrines révolutionnaires parcouraient les milieux intellectuels, celles des utopies démocratiques de Saint-Simon, celles des théories associationnistes de Charles Fournier qui promouvait les phalanstères (bâtiments accueillant des populations ouvrières qui y vivaient en communauté), mais surtout celles de Karl Marx et de Frédéric Engels, qui chassés de leur pays, résidaient à Bruxelles, où on publia en 1848 le “Manifeste du Parti Communiste”. De France arrivèrent aussi chez nous les intellectuels républicains qui s’opposaient à Napoléon III (dont Victor Hugo et Alexandre Dumas).
Progressivement, les idées socialisantes pénétraient les couches sociales ouvrières. A partir de 1861, selon les conjonctures économiques et les solutions qu’on y apportait (nouvelles règlementations de travail, baisse de salaires), des grèves sauvages étaient déclenchées. Les répressions furent encore plus dures. Elles entraînèrent les premières morts. Mais les ouvriers étaient encore mal organisés. Quelques “députations ouvrières” concentraient les revendications qu’elles affichaient sous forme de placards.
En 1864, naquit à Londres une “Association Internationale des Travailleurs” qui, la même année, envoya quelques militants chez nous, notamment à Pâturages. Ils furent bien accueillis et déclenchèrent des agitations, dont des émeutes à l’Agrappe de Frameries en 1869. Ces manifestations n’apportèrent aucune réponse significative aux revendications. On perdit confiance en eux et ils disparurent.
Une nouvelle crise économique surgit en 1867. De nouvelles grèves dans les trois bassins hennuyers furent mieux organisées. On se plaignait des nouvelles baisses de salaire et de la hausse du coût de la farine (le pain restait un aliment essentiel pour le peuple). La répression par la gendarmerie fut de nouveau sévère. Mais le gouvernement libéral de Frère-Orban, prenant conscience de cette force ouvrière naissante, autorisa le droit de grève la même année, sous certaines conditions.
La dualisation de la société, entre riches bourgeois et pauvres ouvriers, devenait de plus en plus criante. Les doctrines marxistes aboutirent à la naissance du socialisme.
La “Première Internationale Ouvrière” fut fondée à cette époque. On organisa des fédérations à Mons, à La Louvière et à Charleroi en 1869 et 1870. C’est le mouvement syndical qui naissait. Voulant mettre fin au régime censitaire inéquitable des élections, sa première revendication fut de demander le suffrage universel. On vit apparaître les premières coopératives socialistes (boulangeries et magasins à prix sociaux). Des meetings eurent lieu un peu partout dans les villages miniers, à Pâturages, à Wasmes, à Frameries, à La Bouverie, à Eugies, à Warquignies, à Flénu, à Jemappes et à Quaregnon. Des sections ouvrières s’ouvrirent dans toutes ces cités. Elles se fédérèrent dans les trois bassins, surtout à Charleroi. La première “Maison du Peuple” apparut en 1871 à Jolimont.
Une reprise économique, avec augmentation de la production et des salaires, calma les esprits et freina ces mouvements politiques. Après la guerre franco-prussienne de 1870, la prospérité fut à nouveau au rendez-vous. Les exportations reprirent.
Malgré tout, on vit encore quelques mouvements sociaux çà et là. Ainsi, Jemappes, qui avait été jadis un bastion républicain pro-français, entretint sa verve revendicatrice en devenant un bastion de l’Internationale Socialiste. De nouveaux troubles y virent le jour en 1872.
Un nouvel épisode de dépression économique survint en 1877. Les baisses de salaires entraînèrent de nouvelles revendications. On exigeait leur hausse, et surtout le suffrage universel. Le chômage augmenta. Les grèves se succédèrent.
Le “Parti Ouvrier Belge” (POB) vit le jour le 5 avril 1885, emmené par César de Paepe et Emile Vandervelde. Il établit son programme la même année dans un congrès à Anvers. Il publia désormais un journal, “le Peuple”. Il demanda au borain Alfred Dufuisseaux (1843, Baudour – 1901, Nimy) de rédiger un pamphlet dans le contexte de la campagne pour le suffrage universel. Cet avocat, grand défenseur de la cause ouvrière, sortit en 1886 le “Catéchisme du Peuple” dans un style simple, direct et radical. Il prôna carrément la révolte comme moyen d’émancipation de la classe ouvrière. Les bassins houillers furent en ébullition. Des mouvements anarchistes, spontanés et mal organisés, se manifestèrent çà et là.
De nouvelles grèves, violentes, reprirent en Hainaut en 1886. A Roux, près de Charleroi, en mars, 24 ouvriers furent tués lors d’affrontements avec l’armée. Des châteaux de directeurs de mines furent saccagés. La révolte fut finalement réprimée. Dufuisseaux, appelé à comparaître en Cour d’Assises, pour son appel à la révolte et pour outrage au roi Léopold II, eut le temps de fuir en France avant d’être condamné, par contumace, à 15 ans de prison. On l’accusait de complot. De son exil, il parvint encore à fomenter des grèves générales. Il entra ensuite en conflit avec la direction du POB et fit sédition en fondant un “Parti socialiste républicain”. Son mouvement s’essouffla et, finalement, disparut.
Tous ces mouvements sociaux aboutirent à de nouvelles mesures en 1886 et 1887. On créa des conseils d’arbitrage et de conciliation. On réglementa le travail des femmes et des enfants (interdiction du travail souterrain pour les femmes de moins de 21 ans et de tout travail pour les enfants en dessous 12 ans). On protégea les salaires contre les décisions arbitrales des “petits chefs”. On développa des institutions de prévoyance, de secours, d’assurance. On indemnisa les accidents de travail. On lutta contre l’alcoolisme ravageur. Le rôle du parti catholique (et du pape Léon XIII) fut important dans ces premières vraies mesures sociales.
Les revendications sociales continuèrent, principalement pour l’obtention du suffrage universel qui pourrait amener au parlement des représentants de la classe ouvrière. En 1893, une fusillade contre une manifestation à Mons, avenue de Jemappes, fit sept morts. Avec le système censitaire, seuls 2% de la population avaient le droit de vote. En 1894, fut instauré le “suffrage universel plural“, obligatoire, pour tous les hommes de plus de 25 ans. Les censitaires, les fonctionnaires, les titulaires de professions libérales et les pères de famille pouvaient disposer de voix supplémentaires.
Les Socialistes écrivirent leur fameuse “Charte de Quaregnon” à Pâques, en 1894, définissant le socialisme du POB. Aux élections suivantes d’octobre 1894, la composition de la Chambre fut bouleversée avec l’entrée massive de représentants du POB. On commença à légiférer sur les conditions de travail (diminution du nombre d’heures de travail, salaire minimum, …) et sur les pensions de vieillesse.
Les mouvements sociaux subsistèrent, moins virulents, en 1900, 1902 et 1905, car la prospérité économique était revenue depuis quelques années. La Belgique était devenue, durant cette période, la deuxième puissance industrielle au monde, après l’Angleterre, ex-aequo avec les Etats-Unis, devant l’Allemagne et la France. Un tiers des produits nationaux étaient exportés. Les sites miniers borains et du Centre fonctionnaient, à ce moment, à leur maximum. Les cheminées des charbonnages crachaient partout leur fumée noire, les terrils s’élevaient vers ce ciel noir et les “gueules noires” s’épuisaient toujours au travail. Dans le Borinage, les salaires étaient moins élevés que dans d’autres bassins, ce qui expliquait la persistance des grèves.
La hausse des prix entraîna encore une grève de 33.000 mineurs borains en janvier 1912. Ils venaient pourtant d’obtenir la journée de 9h1/2 et la pension à 55 ans pour les travailleurs de fond, à 60 ans pour ceux de surface.
En 1914, le travail fut interdit pour les enfants de moins de 14 ans. En même temps, l’instruction devint obligatoire jusqu’à cet âge.
Puis la première guerre mondiale survint… (racontée dans un autre chapitre). Après elle, on instaura le suffrage universel à 21 ans (pour les seuls hommes !). On décida l’établissement d’une pension de vieillesse et la journée de travail passa à 8h00/jour, dans une semaine de 6 jours. La production houillère qui s’était ralentie, mais non arrêtée durant le conflit, reprit, certes, mais les crises financières allaient se multiplier.
Une grève de 9 à 13 semaines fut organisée en 1924. On déplora des incidents graves à Jemappes et à Quaregnon. Des émeutes éclatèrent en 1925, alors que le franc belge se dévaluait, et que les capitaux s’évadaient aux dépens des investissements nécessaires pour moderniser les outils de travail et pour faire face à la concurrence.
Le gouvernement Jaspar, en 1926, parvint à stabiliser les finances et à faire refluer les capitaux. Un boom économique mondial relança l’économie belge. Les productions de houille, de fonte et d’électricité repartirent à la hausse. On mit en chantier de grands travaux d’infrastructure, surtout en Flandre (ports d’Anvers et de Gand, canal Albert), moins chez nous. Des mesures sociales furent accordées (indemnités en matière de maladies professionnelles, extension des allocations familiales). Les gouvernements n’avaient pas la vie longue. Les problèmes linguistiques commençaient à montrer le bout du nez.
Et puis, vinrent 1929 et “les années 1930”: diminution des besoins face à la surproduction et au suréquipement, accumulations de stocks, endettements, fermetures d’usines et de charbonnages, chômage, réduction des exportations due à des politiques protectionnistes de nos voisins, …
On vécut encore quelques grèves violentes, notamment en 1932 à Flénu. L’Etat tentait tant bien que mal de réduire les dépenses, tout en augmentant les impôts. Les entreprises n’investissaient plus. Le pouvoir d’achat chuta. On dévalua encore le franc belge, ce qui ranima un peu l’économie et les exportations.
Cependant que la tension montait en Europe et que les rexistes commençaient à faire parler d’eux. Il s’agissait d’un mouvement politique pro-fasciste (ordre et autorité), dénonçant la corruption des élites, et enfin collaborationniste avec le nazisme. En 1935, le gouvernement accorda les congés payés et ramena la semaine de travail à 40 heures.
Malgré sa neutralité, la Belgique se préparait à un conflit, notamment en mobilisant. La dépression économique revint après deux ans. Les gouvernements avaient des vies de plus en plus courtes.
Et une deuxième guerre mondiale éclata… (chapitre spécifique).
Lorsque le pays fut libéré, la politique reprit ses droits, surtout marquée par la “question royale”. Des manifestations et des grèves revendiquèrent l’abdication du roi Léopold III. De chutes de gouvernements en élections, de référendums en nouvelles grèves, on en arriva à ce que le roi abdiqua en 1951 et céda la place à son fils, Baudouin I.
Il fallut attendre la fin de l’année 1960 pour que de nouvelles grèves générales s’opposent à “la loi unique“. Celle-ci, pour équilibrer le budget de l’Etat, fort endetté après les événements de l’indépendance du Congo (1960), augmentait les taxes et réduisait les dépenses en sécurité sociale. Cette grève tourna à l’insurrection en Wallonie, beaucoup plus qu’en Flandre, ce qui lui donna une coloration communautaire.
Ces “années 1950 et 1960” virent le déclin économique des vieilles industries wallonnes. Le Borinage avait tout misé sur l’exploitation houillère. Toutes ses mines fermèrent les unes après les autres. Ce fut aussi le cas dans le Centre, mais ici, il y avait eu plus de diversification dans les investissements industriels. Le déclin y fut plus tardif.
Les Trente années glorieuses d’après-guerre permirent à l’économie belge de retrouver de la vitalité, ce qui permit des politiques au service du progrès social. Mais dans le Borinage et dans le Centre, cette période ne fut pas mise à profit, au service d’une reprise de l’économie. On se tourna plutôt vers le secteur tertiaire des services et du commerce, en entretenant un fort pourcentage de chômage et de laissés pour compte.
La politique belge sera de plus en plus être concernée par les problèmes linguistiques, avec la mise en place progressive d’un régime fédéral accordant plus de pouvoirs aux régions et aux communautés, tout en misant très fort sur les retombées de l’Union Européenne.
La vallée de la Haine, qui panse ses friches industrielles et s’enorgueillit d’un paysage qui vire du noir au vert, ne recueillera que quelques miettes, éparpillées dans quelques maigres zonings industriels en bordure de ses agglomérations.