15. Les villes et les communautés rurales

Le développement urbain

Jusqu’ici, l’urbanisation n’a jamais été un mouvement puissant en vallée de Haine, ni même en Hainaut. Avant l’arrivée des Romains, nous n’avons  connaissance d’aucune agglomération de type urbain. Les Romains en ont donc érigé une “de novo” à Bavay, capitale de la cité des Nerviens, ville qui n’a pas résisté aux premières invasions du milieu du IIIème siècle. La plupart des vicus (petites agglomérations développées au départ d’un relais routier sur les grandes chaussées romaines) ont disparu, hormis deux qui se situaient au croisement d’une chaussée et de l’Escaut: Cambrai et Tournai, qui ne sont d’ailleurs pas dans le pagus de Famars. Ces deux vicus se sont urbanisés pendant toute la période gallo-romaine, grâce à leur situation portuaire qui facilitait le commerce. C’est la raison pour laquelle les rois Saliens s’y installèrent entre 430 et 450, ce qui leur permit de poursuivre leur développement. Famars, n’ayant pas cette position géographique, céda le statut urbain à Valenciennes, mieux située et redevint un petit domaine seigneurial.

Cette situation ne changea pas sous la dynastie des Régnier (870-1050), malgré la fondation de monastères. A Mons, les comtes installèrent leur pouvoir politique (château) à proximité de l’abbaye Sainte-Waudru. Ces deux institutions favorisèrent l’implantation d’une petite bourgade, plutôt mal située par rapport aux grands axes commerciaux de cette époque, qui se centraient sur la Flandre, la Champagne et l’est (villes mosanes et allemandes).

On en est là lors de l’avènement de la dynastie flamande des Baudouin. L’union temporaire des deux comtés (1050-1071) fit profiter le Hainaut de cette nouvelle proximité avec des villes flamandes qui connaissaient déjà,  dès le XIème siècle, le développement qui ferait d’elles,  au Moyen-Age, des villes parmi les plus opulentes d’Europe (Bruges, Gand, Ypres, Courtrai, puis Anvers).

Les communautés rurales vivaient de leur production agricole et de leur élevage. Les communautés urbaines concentraient en un même lieu de nombreuses activités artisanales et industrielles (principalement la draperie à l’ouest et la métallurgie à l’est du comté), ainsi qu’un réseau commercial.

Richilde et les comtes Baudouin comprirent tout le profit qu’ils pouvaient en tirer, malgré la rapide séparation entre les deux comtés. Les comtes détenaient les clés du développement. Ils étaient les seuls à pouvoir battre monnaie, à concéder des marchés et des foires, à contrôler la qualité des produits et  la circulation des marchandises (via des perceptions fiscales, comme les tonlieux à l’entrée des villes) et enfin, à assurer la sécurité de tout ce réseau.

Ce n’est donc pas pour rien que la paix relative (malgré les conflits féodaux) permit, dès ce XIème siècle, une forte reprise économique qui va modifier les relations sociales, tant dans les villes que dans les campagnes.

L’autonomie et l’autorité acquises au cours des deux derniers siècles furent donc mises à profit. Car la ville ne naît pas de la volonté d’une communauté d’habitants, mais de celle de ses seigneurs, qu’ils soient laïcs ou ecclésiastiques. Toutes les villes qui se développèrent dans un premier temps (du XIème au XIIIème siècle) étaient des villes qui étaient directement sous le contrôle des comtes de Hainaut. Nous y reviendrons.

Ce qui caractérisait une ville, ce n’était pas seulement ses activités économiques, mais aussi son espace aménagé. Une ville s’entourait d’une enceinte. Il s’agissait le plus souvent, au début, d’un fossé, avec ou sans eau, devançant une levée de terre surmontée d’une palissade en bois. Aussi fruste que cela paraisse, un tel site était très bien protégé dans ces siècles-là, au vu de l’armement existant. Il fallut attendre le XIIème et le XIIIème siècle pour voir la construction de remparts en pierres, avec des tours et des portes munies de ponts-levis et de herses.

L’enceinte avait  un rôle défensif et protecteur (pour les bourgeois et les populations extérieures qui pouvaient venir s’y réfugier, mais revêtait aussi un aspect juridique (le statut du citadin était différent de celui du paysan). L’interface entre les deux populations était le marché qui, dans un premier temps,  était organisé à l’extérieur de la ville, tout contre l’enceinte. Ces enceintes étaient fort coûteuses et leurs aménagements dépendaient beaucoup des revenus des habitants et des autorités.

Plus tard, on verra apparaître des hôtels de ville, des espaces commerciaux (le marché, les halles), des beffrois, des hôpitaux et des embellissements urbains (fontaines)

La prospérité économique, du XIème au XIVème siècle, va attirer des populations rurales vers les villes, notamment des serfs qui fuyaient leurs conditions misérables à la campagne. Cette prospérité était avant tout le résultat d’une augmentation des débouchés à l’exportation (par la Mer du Nord vers l’Angleterre, les pays scandinaves et les ports septentrionaux de l’empire germanique) et d’une réouverture des routes vers les pays méditerranéens. Les villes italiennes étaient en plein essor (Milan, Florence, …) et les ports italiens (Gênes, Pise, Venise) ouvraient les voies vers l’Orient, surtout à partir des croisades (fin XIème siècle). De ces contrées orientales commençaient à arriver les épices, les parfums et  la soie.

Une telle prospérité ne profita pas qu’aux comtes. Une nouvelle classe de riches bourgeois (tisserands, commerçants, facteurs d’armes) apparut. Les métiers s’organisaient en corporations (ou gildes/guildes) qui se répartissaient par quartiers dans les villes (tripiers, bouchers, tanneurs, forgerons, tisserands, foulons, teinturiers, …). Elles réglementaient l’accès à la profession, les modes de fabrication et la commercialisation. Une nouvelle classe politique était née, qui allait réclamer à l’autorité, seigneuriale ou comtale, des privilèges (exemptions de taxes), des libertés d’action, des équipements urbains, ainsi qu’une part du pouvoir.

Les XIème et XIIème siècles connurent une multiplication de chartes de privilèges et de libertés. La première sur l’espace belge fut celle de la ville de Huy, obtenue en 1066 du prince-évêque de Liège.

Il est intéressant d’aborder ici les premières villes de la vallée de la Haine et d’en citer d’autres, apparues à la même époque dans tout le comté de Hainaut. 

Valenciennes

C’est évidemment la plus ancienne. C’est sa position en bordure de l’Escaut (portus), navigable à cet endroit, qui a permis son développement aux dépens de Famars, sans doute pendant la période carolingienne. Pour rappel, il s’agissait d’un domaine fiscal ayant appartenu aux empereurs romains, puis aux rois mérovingiens et carolingiens , et donc passé sous l’autorité des comtes de Hainaut au Xème siècle. Le seigneur de Valenciennes était donc le comte de Hainaut.

La ville se développa, comme les villes flamandes, après s’être remise du passage des Vikings (880-891), grâce au développement de l’industrie drapière et à son commerce. Elle fut, et elle restera, la ville la plus industrielle et commerciale du Hainaut. C’est donc ici qu’ on vit apparaître les premières revendications bourgeoises à l’égard des comtes. La première charte de privilèges, appelée “Règlement de la Karitet” a été accordée, vers 1076, par Richilde et Baudouin II. Il s’agissait, au départ, d’une association d’entraide mutuelle qui se développa en guilde pourvue de privilèges de droit public. Elle avait son prévôt, son chancelier, ses ministres. Elle se vit accorder des prérogatives judiciaires pour certains types d’affaires. Il s’agissait donc d’un abandon de prérogatives du pouvoir central au profit du pouvoir civil, donnant à la bourgeoisie une importante autonomie.

Mais la réelle mise en place d’institutions communales date de 1114. Le comte Baudouin III accorda la “Paix de Valenciennes“, considérée comme la plus ancienne charte communale en Hainaut, qui instituait un “magistrat de la ville” (échevinage), la mise par écrit des coutumes jusque-là orales (ébauche d’un code civil et pénal) et la mise en place de la “prévôté-le-comte”, organe administratif et judiciaire qui avait compétence sur 27 villages autour de la ville. Cette charte fut signée par la noblesse, le clergé et les bourgeois. Le comte demanda à tous les seigneurs et échevins de son comté de s’en inspirer.

Le comte Baudouin IV fit ériger une enceinte en pierre autour de la ville et un château comtal (la “Salle-le-Comte”). C’est d’ailleurs pendant sa construction qu’il chuta d’un échafaudage, devint impotent des suites de ses blessures, mourant deux ans plus tard. Pendant ce XIIème siècle, la superficie de la ville doubla. Le nombre de paroisses augmenta.

Son importance fut telle qu’en 1230 elle entra dans une association de villes commerçantes, “la Hanse des XVII villes”. Les Valenciennois installèrent des comptoirs commerciaux dans différentes villes européenes. En 1250, les bourgeois obtinrent de pouvoir construire le beffroi.

Mons

La colline, entourée de ses deux rivières (Haine et Trouille) et de ses marais, ne fut longtemps, du temps des Gallo-Romains et des Francs, qu’un site stratégique (castrum) à proximité d’une chaussée romaine remontant vers le nord. C’était un domaine fiscal (impérial, puis royal). On pense qu’une résidence aristocratique se trouvait du côté de Ciply. Les nombreux cimetières francs à proximité de Mons peuvent témoigner d’une importance relative dans le premier moyen-âge.

C’est la colline que choisit Waudru pour établir son monastère. C’est elle aussi que choisit Régnier Ier pour organiser la défense de son pagus contre les Vikings. C’est elle enfin que semble avoir choisi Régnier II pour y établir sa résidence principale, et donc le centre politique de son comté.

Aux IXème et Xème siècles, une petite bourgade s’y est installée (avec des artisans et quelques commerçants, mais aussi des jardiniers et des éleveurs) pour desservir l’abbaye et le château. Elle exerçait aussi ses activités sur la colline et sur ses pentes.

Dans la seconde moitié du XIème siècle, la comtesse Richilde installa au château une cour somptueuse selon la mode chevaleresque et “courtoise” de cette époque. A ce moment, la bourgade avait déjà pris des airs de ville. Et ses marchands et artisans commencèrent eux aussi à revendiquer et à se heurter aux autorités de la ville (les chanoinesses et les comtes). Les XIIème et XIIIème siècles furent des périodes fastes pour le commerce. Mais Mons ne sera jamais une grande ville industrielle, même si elle produisait aussi de la draperie. Elle restera avant tout un centre politique et administratif.

L’agglomération s’étendit vers le “bas de la ville” où avait lieu le marché. La Trouille passait juste au pied de la colline, ce qui s’avérait propice pour certaines activités artisanales (tanneurs, foulons). Le comte Baudouin IV va entourer une partie de sa ville (sur la colline autour du château et du quartier abbatial) par des remparts solides, vers 1140.

Une première paroisse existait sur la colline autour de l’abbaye, desservie par les chanoines de Saint-Germain. De nouvelles paroisses apparurent dans les faubourgs: Saint-Nicolas en Havré, Saint-Nicolas en Bertaimont.

Plus de 80 ans après Valenciennes, les bourgeois de Mons obtinrent du comte Baudouin VI leurs premiers privilèges en matière de droit civil et pénal. Un maïeur et des échevins pourront rendre la basse et la moyenne justice dans la ville (sauf dans le domaine immédiat du chapitre des chanoinesses), les comtes se réservant la haute justice. A partir de 1269, les échevins vont se réunir dans une “Maison de la Paix“.

Bavay

La capitale de la cité des Nerviens eut beaucoup de mal à se remettre de sa destruction par les raids barbares de la fin de l’empire. On a peu d’informations sur elle pendant la période franque.  Il en est de même en ce qui concerne les débuts, sans doute modestes, de son urbanisation. Il n’empêche qu’une prévôté y a été créée au XIIème ou au XIIIème siècle.

Binche

Ancien domaine de l’abbaye de Lobbes, il passa et resta aux mains des comtes de Hainaut. On doit à Baudouin IV “le Bâtisseur” d’y avoir fait construire un château et des remparts  là où sa mère, Yolande de Gueldre, avait établi une résidence. Binche s’urbanisa peu à peu, sans jamais atteindre la même ampleur que Mons et Valenciennes. C’est un exemple de “ville neuve” en Hainaut.

Saint-Ghislain

Une petite bourgade, à caractère encore très rural, s’est développée à proximité des murs de l’abbaye. Très lentement, puisque ses habitants, peu nombreux, étaient des paroissiens … d’Hornu, qui avait alors plus d’importance puisqu’il y avait là-bas une cour de justice comtale (décentralisée de Mons) et un marché. De plus, les abbés y ont souvent été en conflit avec les comtes et les seigneurs voisins (Boussu). Une foire aurait cependant été accordée en 1234.

Crespin

Ici aussi, un village s’est développé près de l’abbaye. Il n’évoluera jamais vers un statut urbain. En général, les autorités ecclésiastiques ont toujours été très frileuses en matière d’attribution de libertés et de privilèges. Si Mons est une exception (à cause des comtes), ailleurs, l’évolution fut, soit freinée, soit carrément prohibée. Cambrai est un modèle du genre, où comtes-évêques et bourgeoisie s’opposèrent vivement.

En dehors de la vallée de la Haine, mais toujours en Hainaut, il faut mentionner quelques autres localités intéressantes.

A Soignies, la bourgade autour de l’abbaye Saint-Vincent put se développer grâce à l’intervention comtale, et notamment à celle de Baudouin IV qui fit signer une charte importante en 1142.

Chièvres

Il semble que ce domaine était à l’origine une possession des rois carolingiens et qu’il obtint un statut particulier dans la réorganisation des pagus. Il aurait été (manque de documents écrits) le siège d’un comté du pagus de Brabant et d’un doyenné. Pour des raisons inconnues, le domaine seigneurial devint une propriété privée (alleu) sous l’autorité d’une puissante famille . C’était déjà le cas au IXème siècle. Elle obtint sous Richilde le statut de pairie.

Au XIIème siècle, Chièvres devint une cité artisanale (draperie en laine et en lin) et commerçante (surtout un marché important de produits agricoles), qui s’abrita, dès 1181, derrière une enceinte. Eve “Damison” de Chièvres (v1120-1180), au milieu du XIIème siècle, fit bâtir l’hôpital Saint-Nicolas et une léproserie. Elle fit don d’ une terre à l’Ordre des Hospitaliers de Jérusalem. Les bourgeois obtinrent, en 1194, une charte-loi de la part des co-seigneurs Rasse de Gavre et Nicolas de Rumigny, à l’initiative du comte Baudouin VI.

Ath

Tour Burbant d’Ath

Il s’agissait à l’origine d’une communauté rurale pourvue d’une seigneurie, appartenant, à l’époque de Richilde à une famille qui portait le nom “d’Ath”.  La comtesse donna à Wauthier d’Ath le domaine du Roeulx et le titre de pair du comté. Par héritage, la seigneurie d’Ath passa à la famille de Trazegnies (seigneurs de Silly, Blicquy, Aubechies et Trazegnies). L’un d’eux, Gilles de Trazegnies, pour financer un départ en croisade, vendit sa seigneurie d’Ath, vers 1150, au comte Baudouin IV “le bâtisseur” tout heureux de pouvoir y élever un donjon (la tour Burbant) face à son ennemi flamand et ses puissants  vassaux turbulents de Leuze (les Avesnes), de Chièvres et d’Enghien.

Les comtes suivants  y encouragèrent l’artisanat, l’industrie (drapière) et le commerce en attribuant des privilèges aux corporations locales.

Le Quesnoy

On doit  encore au comte Baudouin IV d’avoir acheté un domaine qui appartenait aux évêques de Cambrai, de l’avoir fortifié et d’y avoir fait construire une résidence fortifiée où les comtes séjourneront régulièrement. C’est un autre exemple de “ville neuve” où le commerce et l’artisanat seront favorisés par les comtes.

Tour Salamandre de Beaumont

Beaumont

Terre impériale qu’Otton II remit à Régnier IV vers 976 lors de son retour en grâce. Le site était stratégique, à la frontière avec la principauté épiscopale de Liège. C’est pourquoi la comtesse Richilde y fit bâtir,vers1076, un donjon (Tour Salamandre) et des fortifications  qu’elle remit dans les mains d’un châtelain. De nouveaux aménagements furent réalisés par Baudouin “le bâtisseur” au milieu du XIIème siècle. Une prévôté y fut créée.

Baudouin IV fera aussi fortifier Bouchain, Raismes et Braine-le-Comte, cette dernière ville ayant été rachetée au chapitre Sainte-Waudru qui la possédait.

On le voit, le pouvoir comtal fit beaucoup pour le développement urbain, tout en conservant l’initiative et les pouvoirs judiciaires et fiscaux.

14. L’organisation du pouvoir comtal

Les comtes Régnier s’étaient progressivement émancipés des autorités supérieures: le pouvoir impérial (Saint Empire Romain Germanique) et le pouvoir ducal (Lotharingie). Ils laissèrent à leurs successeurs, la dynastie flamande des Baudouin, une autonomie quasi complète sur le plan politique, judiciaire et fiscal, ainsi que le principe héréditaire de la transmission de ces pouvoirs. Ce qui ne signifie pas non plus une rupture du lien féodal. Tout nouveau comte devait à l’empereur l’hommage pour les territoires qu’il administrait.

Le comte devait assurer la paix et la justice. Pour l’ensemble de son comté, il promulguait des lois et édictait des règles applicables à tous, manants, citadins, seigneurs et ecclésiastiques. Il se référa dans les premiers temps aux coutumes franques encore en vigueur. Tout nouveau comte prêtait le sement inaugural de respecter ces principes.

Pour exercer ce pouvoir, il était entouré de conseillers (pour les décisions politiques et militaires, ainsi que pour la haute justice)  et de fonctionnaires. Les premiers étaient issus de son entourage familial et de barons fidèles. A partir du milieu du XIIème siècle, sont aussi apparus des hommes éduqués et compétents dans toutes les matières.

On connaît peu l’entourage de la famille Régnier. Il devait se résumer à cette cour (curia) de conseillers.

C’est surtout à partir du règne de Richilde et des premiers Baudouin, donc au milieu du XIème siècle, que l’on décrit une véritable organisation du pouvoir: les conseils, les hautes charges, l’hôtel comtal, les châtelains, …

Une cour plénière (curia), composée de vassaux, se réunissait trois ou quatre fois par an pour traiter des affaires importantes, politiques, militaires et judiciaires, et permettre au comte d’entériner les grandes décisions. Plusieurs de ces plaids se réunirent à Hornu. Ce n’est que vers 1200 qu’ils s’installèrent définitivement au château de Mons.

Une cour restreinte ou conseil (consilium), d’une douzaine à une quinzaine de membres, était présente en permanence aux côtés du comte pour la gestion courante. C’étaient les “pairs”, des nobles au rôle prépondérant. On pense que c’est Richilde et Baudouin I qui les ont mis en place. On connaît la liste de ces pairies:

En parallèle, et en connexion étroite avec ces deux cours, deux institutions judiciaires (tribunaux) vont se développer dès le XIIème siècle et les remplacer progressivement .

La cour féodale. Elle était constituée de pairs et de barons, sous la présidence du bailli de Hainaut, représentant du comte. Elle siégeait à Mons. Elle avait à juger des crimes et des délits commis par les vassaux. C’était aussi une cour d’appel et d’arbitrage, sorte de cour suprême. Ses compétences furent étendues par la charte de 1200, émise par Baudouin VI avant son départ pour la croisade.

Le conseil comtal était issu du consilium. C’était également une institution judiciaire. Elle siégeait aussi à Mons, au château. Elle était présidée par le comte lui-même et, en son absence, par le grand bailli. Le conseil jugeait les questions relatives aux prérogatives et aux biens du comte. Il était l’incarnation de la juridiction personnelle princière. Il n’intervint donc en première instance que dans les circonstances exceptionnelles. Il demeurait un gouvernement assistant le comte dans la direction des affaires politiques et administratives de sa terre.

La plus haute charge était celle de “bailli de Hainaut”. Il s’agissait du représentant direct du comte, sorte de premier ministre à qui ce dernier déléguait d’importants pouvoirs. Il est documenté à partir du milieu du XIIème siècle, sous Baudouin IV. Cette charge a été attribuée aux grands vassaux du Hainaut. On y a vu défiler les membres des grandes familles seigneuriales (Ligne, Croÿ, Lalaing, Haynin, Harchies (et Ville), Lannoy, Arenberg, …). Le titre de “grand bailli de Hainaut” apparut à la période bourguignonne, quand un comte ne résida plus en Hainaut.

 Il avait charge de défendre les droits du comte, de maintenir l’ordre public, de défendre militairement le territoire, de rendre la justice dans les tribunaux comtaux (ci-dessus), de diffuser les lois et règlements et de récolter les recettes fiscales.

Il était assisté dans sa tâche par un clerc et des sergents. Il résidait à Mons. D’autres grands officiers, organisés en chancellerie (ministère)  vinrent le seconder à partir du règne de Baudouin V. Ils étaient issus du conseil restreint.

  • un chancelier qui était responsable de l’écriture et de la conservation des documents écrits (actes juridiques, chartes, cartulaires, …). On conservait les chartes dans les trois résidences principales: Mons, Valenciennes et Le Quesnoy. Le premier titulaire fut le chroniqueur Gislebert de Mons, sous Baudouin V.
  • un receveur général des finances, charge créée en 1265, sous la comtesse Marguerite.
  • un bailli des bois (tous les bois en dehors des domaines seigneuriaux étaient propriétés du comte)
  • un trésorier, gardien du trésor (joyaux, tapisseries, oeuvres d’art, chartes).

Toujours dès la fin du XIIIème siècle, ce pouvoir comtal délégué au bailli fut décentralisé en circonscriptions administratives et judiciaires (prévôtés et châtellenies. Leurs tâches étaient quasi identiques dans les limites de leur territoire. Le prévôt ou le châtelain était le représentant du bailli (donc du comte) dans sa circonscription et exerçait les mêmes tâches en son nom.

On créa sept prévôtés (avec à leur tête un prévôt) sur les territoires du Hainaut carolingien:

  • Mons
  • Valenciennes
  • Le Quesnoy
  • Maubeuge
  • Bavay
  • Beaumont
  • Binche

Les territoires acquis aux XIème et XIIème siècles furent répartis en châtellenies (dirigées par des châtelains):

  • Ath
  • Braine-le-Comte
  • Bouchain (Ostrevant)

Certains seigneurs vassaux, cependant, disposaient d’une relative autonomie en matière administrative et judiciaire :

  • baillage d’Enghien
  • baillage du Roeulx
  • la Terre d’Avesnes
  • la Terre de Chimay
  • les Terres de Flobecq et Lessines (« Terres de Débat »)

C’étaient des territoires où, en dehors de quelques périodes de saisie, il n’y eut jamais d’officiers comtaux. Le seigneur local y exerçait leurs pouvoirs.

A côté de ces circonscriptions, il y avait des terres franches ou prétendues telles, qui échappaient à l’administration comtale (Trazegnies). Elles étaient situées à l’origine aux frontières du comté. Elles étaient pourvues de privilèges et de franchises, notamment fiscales (exemptions). Elles étaient indépendantes sur le plan judiciaire et politique.

En 1200, une réunion des Etats Généraux, à Mons, promulgua deux chartes écrites, cosignées par de nombreux pairs et barons du comté : « déclaration des lois en la Cour et Comté de Mons par le commun consentement conseil et délibération des hommes nobles et ministres du comté de Hainaut ». La première charte était un véritable code criminel. La seconde traitait des biens et du commerce.

On attribue aussi à Richilde la constitution de “l’hôtel comtal” qui se répartit en “charges auliques” (de cour). Il s’agit à l’origine de l’organisation des tâches domestiques dans les résidences comtales. Celles-ci étaient prises en charge par de hauts personnages. Elles devinrent rapidement héréditaires (comme des fiefs) et signes de prestige. Plus tard, seul le titre persistera, et non plus la charge qui y était liée et qui sera transmise à des subalternes. Officiellement, les titulaires des grandes charges accompagnaient toujours le comte et sa famille. Le personnel subalterne était propre à chaque résidence (Mons, Valenciennes, le Quesnoy).

  • le sénéchal (senes, le plus ancien) était l’intendant de la résidence comtale, organisant les cérémonies et les fêtes et assurant la comptabilité générale. Cette charge héréditaire alla aux titulaires de la seigneurie de Werchin (près de Valenciennes). Comme les autres, elle devint symbolique. Un maître d’hôtel (charge non héréditaire) le remplaça dans ses tâches.
  • le chambellan (camerarius) avait en charge la chambre du prince, sa literie, sa garde-robe et ses armes. Elle alla aux titulaires de la seigneurie de Peruwelz.
  • le grand veneur, qui organisait les chasses, passe-temps favori des comtes et de leurs vassaux (charge qui revint aux seigneurs de Solre)
  • l’échanson, ou bouteiller, veillait aux boissons. Il était originaire de la famille d’Aulnoy, puis de Berlaymont
  • le maréchal s’ocupait de l’écurie, des chevaux et des déplacements du comte. Charge attachée à la seigneurie d’Houdeng.

Les autres services subalternes: le panetier, le boulanger, le cuisinier, le maître d’arme, … Il n’y eut pas de connétable en Hainaut.

Richilde instaura à Mons et à Gand les coutumes somptueuses de cour (curia). Cette coutume s’accentua sous Baudouin V et Baudouin VI qui multiplièrent fêtes et tournois, et qui favorisèrent aussi  les arts et les belles lettres. C’était l’époque de la poésie courtoise et des trouvères, celle, aussi,des belles draperies.

A certaines époques, le comte fut à la tête, simultanément, de plusieurs comtés (Hainaut, Flandre, Namur, Hollande, Zélande). Il ne s’agissait jamais de la constitution d’un grand Etat, mais d’une “union personnelle” de territoires sous un même souverain. Chaque principauté conservait ses conseils, ses chancelleries et ses administrations propres.

13. Sous les comtes Baudouin

Les Baudouin pour consolider (de 1070 à 1280)

Sous la dynastie des Régnier, le territoire du comté de Hainaut s’est agrandi. Il s’est imposé par rapport aux provinces voisines (Flandre et Brabant) et par rapport au pouvoir impérial. Peu de villes se sont développées. Valenciennes est la seule exception. Mons, alors, n’était encore qu’une simple bourgade. Dans les campagnes sont apparus la majorité des villages actuels, chacun étant né dans un grand domaine seigneurial. Certains ont disparu, d’autres sont restés des hameaux. A chaque communauté rurale correspondait une paroisse (parfois plusieurs).

Tous ces éléments mis en place vont subir de profondes réformes durant les deux siècles suivants. J’ai décidé de décrire tout cela en plusieurs chapitres, vu l’importance des phénomènes pour la suite de l’Histoire.

Les comtes et les faits politiques

Sous Richilde (1050-1083) et Baudouin I (1050-1070)

Lorsque le comte Herman est décédé en 1050, le Hainaut était constitué de l’ancien pagus de Hainaut, auquel étaient venus s’ajouter la partie occidentale de l’ancien Brabant (comté de Chièvres ou marche d’Ename) et le comté/marche de Valenciennes.

Richilde avait beau avoir un caractère bien trempé, la jeune veuve dut immédiatement subir la loi de son voisin flamand, le comte Baudouin V qui vint mettre le siège devant Mons. Il enleva Roger, fils de son premier mariage avec Herman. En échange, il demanda sa main pour son fils Baudouin. Elle accepta (forcée ou consentante, on ne sait pas très bien), malgré l’opposition de l’empereur et du pape. Le mariage eut lieu. Baudouin, fils du comte de Flandre, devint donc comte de Hainaut sous le nom de Baudouin I. Plutôt nonchalant et débonnaire, il laissa les rênes du pouvoir à son énergique épouse. Ils eurent deux enfants, Arnould et Baudouin. Richilde les préféra à Roger, issu de son premier mariage avec le comte Herman, qu’elle fit entrer dans une abbaye comme moine.

En 1067, le comte Baudouin V de Flandre mourut. Son fils Baudouin, déjà comte de Hainaut sous le nom de Baudouin Ier devint  donc également Baudouin VI, comte de Flandre. Il  partagea ces titres (et ces pouvoirs) avec sa mère  Richilde.

Richilde d’Eguisheim

Feu Baudouin V de Flandre avait un frère, Robert, dit “le Frison”. Celui-ci et la majorité des Flamands supportaient plutôt mal la rudesse de la nouvelle comtesse qui n’hésitait pas à mettre au pas (décapitation!) tout notable qui s’opposait à sa politique. En général d’ailleurs, les hautes charges, politiques et militaires étaient de préférence attribuées à des Hennuyers, ce qui mécontenta d’autant plus les Flamands.

Sentant sa mort prochaine, Baudouin, comte de Hainaut (I) et de Flandre (VI) ,régla sa succession entre ses deux fils, encore mineurs: la Flandre à Arnould (sous la tutelle de son oncle Robert “le Frison”) et le Hainaut à Baudouin II (sous la tutelle de sa mère). Il mourut peu après en 1070.

Soutenue par le roi Philippe I de France (suzerain de la Flandre), Richilde assura un pouvoir intransigeant sur les deux comtés. Cela mécontenta les villes flamandes en pleine expansion commerciale, à la tête desquelles se plaça Robert “le Frison”. Celui-ci se considéra de facto comme comte de Flandre, rendit hommage au roi de France, monta une armée et déclara la guerre à Richilde.

Robert I “le Frison”

Un premier choc eut lieu à Cassel en 1071. Le jeune comte Arnould fut tué. Mal soutenue par son suzerain, l’empereur Henri IV de Germanie, occupé par sa “Querelle des Investitures” (infra), Richilde fut de plus en plus acculée. Robert “le Frison” pénétra en Hainaut et alla battre les Hennuyers en 1072 lors de la “bataille des Mortes-Haies” dans la campagne entre Saint-Denis-en-Broqueroie, Obourg, Havré et Gottignies. Il ravagea ces villages naissants  et aussi ceux des alentours (Ville-sur-Haine, Thieu, Maurage). Il fit de même au retour en dévastant les environs de Mons, puis de Valenciennes.Il détruisit en outre  le château comtal de Blaton et laissa une troupe à Wavrechin, près de Denain.

Douze ans d’escarmouches suivirent sans que Richilde et son  fils Baudouin II ne puissent reprendre la Flandre. De guerre lasse, elle abdiqua et mourut en 1085.

Baudouin II (1071-1098)

Après avoir été sous la tutelle de sa mère Richilde, dès qu’il exerça seul le pouvoir, il s’empressa de faire la paix avec son oncle Robert “le Frison”, qu’il reconnut comte de Flandre. Il eut à faire, comme déjà du temps de sa mère, avec les turbulents Avesnes, toujours en quête de territoires et d’autonomie (voir un chapitre suivant).

C’est sous son règne que fut organisée la première croisade. Baudouin II s’y engagea aux côtés de Godefroid de Bouillon, duc de Basse-Lotharingie. Pour financer son expédition, il vendit sa seigneurie de Couvin à l’évêque de Liège. Il fut tué près de Nicée, pris dans une embuscade.

Baudouin III (1099-1120)

Agé de seulement 11 ans au décès de son père, il fut placé sous la tutelle de sa mère, Ide de Louvain. Son règne fut émaillé de multiples hostilités, dont ses tentatives de reprendre la Flandre, ce qui ne donna aucun résultat. Cette époque est aussi marquée par la Querelle des Investitures (voir le chapitre sur le christianisme) qui opposa papes et empereurs de Germanie. Les comtes, selon leurs visées politiques, prirent le parti de l’un ou de l’autre, ce qui créa des coalitions. Ces luttes ne semblent pas avoir eu d’impact sur les villes et, encore moins, sur les campagnes hennuyères.

Baudouin IV (par E. de Valeriola, XIXème, Binche)

Baudouin IV dit “le Bâtisseur” (1120-1171)

Dès qu’il fut majeur, lui aussi se retrouva en conflit avec le comte de Flandre. Les Hennuyers n’avaient jamais accepté de devoir “rendre” la Flandre aux Flamands. Il tenta à plusieurs reprises de la reconquérir. Sans succès.

Lui et le comte de Flandre, Philippe d’Alsace, conclurent finalement la paix. Pour la sceller,  ils fiancèrent leurs enfants.

Baudouin IV se consacra surtout à “moderniser” son comté. Il profita d’une période de paix et de prospérité pour améliorer le sort des paysans et des citadins. Son surnom de “bâtisseur” lui vient de ce qu’il chercha à fortifier plusieurs sites et à fonder des villes (chapitre sur les villes).

Le comté de Hainaut était devenu tout à fait autonome par rapport aux pouvoirs du duc de Lotharingie et de l’empereur de Germanie. La France, depuis l’avènement des Capétiens, tentait de se remettre de la débâcle des derniers carolingiens.

Le dernier comte d’Ostrevent mourut sans enfant en 1163. Il était le demi-frère de Baudouin IV à qui il légua son petit comté, situé sur la rive gauche de l’Escaut, avec les villes de Bouchain et Denain. De son côté, Baudouin IV avait épousé la soeur du comte de Namur qui, n’ayant pas lui-même d’enfant, décida qu’à sa mort, son comté reviendrait au comte de Hainaut.

En 1169, Baudouin IV, inspectant l’avancement des travaux de son nouveau palais de Valenciennes, chuta d’un échafaudage.Gravement blessé, impotent, il s’éteignit deux ans plus tard.

Baudouin V

Baudouin V “le Courageux” (1171-1195)

Selon l’arrangement de son père avec Philippe d’Alsace (1168-1191), il épousa la fille de ce dernier. Ils eurent une fille que l’on offrit comme épouse au jeune roi de France, Philippe-Auguste (1180-1223), avec l’Artois en dot.

Prince juste, il eut surtout à faire avec des vassaux turbulents en Hainaut (les habituels Avesnes), et avec quelques voisins (Brabant, Limbourg, Liège, Namur, Cologne, Flandre).

C’est ainsi qu’en 1185, une armée coalisée regroupant des soldats de l’archevêque de Cologne, des Brabançons et des Flamands envahit le Hainaut par l’est. Ils endommagèrent Binche et, en route vers Maubeuge, mirent à sac tous les villages qu’ils rencontraient sur leur passage (Carnières, Maurage, Boussoit, Thieu, Harvengt, Givry). Les trois armées se réunirent dans le bois de Gars à Bettignies. Une bataille eut lieu à Harmignies.

A la mort du comte de Flandre, en 1191, les deux comtés furent enfin réunis. Les villes flamandes reconnurent Baudouin V comme héritier légitime.

Mais l’ambitieux beau-fils, Philippe-Auguste, très soucieux d’agrandir son domaine royal d’une riche province (la Flandre), ne l’entendit pas ainsi. Rentré dare-dare de la troisième croisade, prétextant une maladie, il s’empressa de venir menacer les villes flamandes. Au bout de négociations, il accepta la vassalité et l’hommage de Baudouin V contre une belle somme d’argent, l’Artois et Tournai.

Baudouin, comte de Flandre (VIII) et de Hainaut (V), s’éteignit en 1195.

Baudouin VI “de Constantinople” (1195-1205)

Baudouin VI/IX (“le cheval de bronze” de Mons)

Comte de Flandre (IX, en 1194), de Hainaut (VI, en 1195), mais aussi marquis de Namur-Luxembourg (en 1196), selon la promesse faite par Henri “l’Aveugle” du temps où il n’avait pas d’héritier. Promesse hâtive, parce qu’avant sa mort, il eut une fille. Ce qui déclencha une nouvelle guerre, dont l’hennuyer sortit vainqueur..

Baudouin VI était à la tête d’une grand état qui allait de la mer du Nord à la Moselle. Il nomma son frère, Philippe “le Noble”, à la tête du marquisat de Namur.

Mais Baudouin avait en face de lui un beau-frère très ambitieux,  Philippe-Auguste, le roi de France, qui n’avait qu’une seule idée: agrandir son domaine royal en récupérant tous les territoires obtenus jadis par Charles le Chauve au Traité de Verdun en 843. Pour rappel, son ancêtre Hugues Capet ne possédait plus que son comté de Paris (Île-de-France) en 981. Entre-temps, Henri II “Plantagenêt”, roi d’Angleterre, descendant de Guillaume “le Conquérant”, le duc de Normandie qui s’était emparé de la Grande Bretagne, s’était arrogé, par des mariages familiaux et personnels, un grand royaume à l’ouest de la France. Philippe-Auguste se mit en tête de récupérer “tout ça”, y compris la riche Flandre qui faisait de si beaux draps…avec la laine anglaise. Le décor est planté. De guerres en guerres, le roi de France va presque réussir dans son projet.

Entre-temps, Baudouin VI/IX partit pour la quatrième croisade (infra). Celle-ci fut détournée par les Vénitiens vers Constantinople qui fut prise en 1204. Le comte fut élu empereur d’Orient par ses pairs. Il fut tué un an plus tard à la bataille d’Andrinople.

A son départ en croisade, il avait confié ses comtés à son frère Philippe “le Noble”, assisté d’un conseil d’aristocrates. A sa mort, Philippe devint aussi tuteur de ses deux filles encore mineures, Jeanne et Marguerite.

Jeanne “de Constantinople” (1205-1244)

Aînée des filles de Baudouin VI/IX, mineure sous la tutelle de Philippe “le noble”, elle se retrouva bien vite sous la houlette du roi Philippe-Auguste de France. Ce dernier était en pleine reconquête de la Normandie et des autres provinces de l’ouest. Seule la Flandre lui échappait et voici que se présentait à lui une chance de s’en rendre maître. Une fillette à sa tête…

Jeanne “de Constantinople”

Jeanne et Marguerite furent emmenées à Paris, avec l’assentiment du faible tuteur, mais la réprobation de ses conseillers. En 1212, on décida de la marier à Ferrand de Portugal. Les deux jeunes époux, conseillés par les villes flamandes avides de laine anglaise, décidèrent de prendre le parti de l’Angleterre toujours en guerre contre la France. Colère de Philippe-Auguste qui s’empara coup sur coup de Lille, de Douai, puis de Gand et de Bruges qu’il assiégea.

Les coalisés (Anglais, Flamands, Hennuyers) furent rejoints par des troupes impériales germaniques. Une bataille décisive eut lieu à Bouvines en 1214, remportée par les Français. Ferrand fut fait prisonnier et emmené à Paris où il restera douze ans en captivité. De nombreux chevaliers moururent ou furent faits prisonniers : Baudouin de Mons, Thierry de Ligne, Gauthier de Quiévrain, Arnould de Landas, Guillaume de Beaumont, Eustache du Roeulx, Robert d’Etroeungt, …

Bataille de Bouvines (1214)

Jeanne continua à gouverner seule les deux comtés, soumise à Philippe-Auguste.

Un faux Baudouin?

En 1225, une rumeur, soudain, circula: le comte Baudouin VI/IX n’était pas mort. Il était même de retour. On l’avait reconnu à Valenciennes. Il y fut acclamé. Il revendiqua la restitution de ses droits de souveraineté sur ses comtés. Il fut rejoint par le prévôt de Valenciennes et  divers seigneurs hennuyers, dont Gauthier et Nicolas de Quiévrain. Des villes de Flandre et de Hainaut le soutinrent. Même le roi d’Angleterre lui envoya un messager pour renouer des alliances.

La comtesse Jeanne et son entourage se méfièrent. Le soi-disant Baudouin évita ses envoyés. Elle fit appel au nouveau roi de France Louis VIII (1223-1226). Finalement la surpercherie fut découverte. Le “faux Baudouin”, en fuite, fut capturé et pendu à Lille. Les villes qui avaient pris son parti furent mises à l’amende. Cette somme servit à payer la rançon pour libérer le comte Ferrand. Ce qui fut fait en 1227.

Ferrand décéda en 1236. Jeanne se remaria avec Thomas II de Savoie. Elle décéda elle-même en 1244. Et Thomas rentra chez lui, laissant la place à…

Marguerite “de Constantinople” (1244-1278)  

Marguerite “de Constantinople”

On peut dire que sa jeunesse fut tumultueuse, ce qui aura une grande importance pour le Hainaut.

A Paris, elle fut confiée aux mains d’un tuteur, Bouchard d’Avesnes, bien plus âgé qu’elle, mais qui l’épousa, apparemment avec son assentiment. Ce faisant, il réclama pour elle sa part d’héritage. On se souvint alors qu’il avait reçu un jour les ordres comme sous-diacre et qu’il n’avait plus le droit de se marier. Le roi de France contesta. Le pape condamna et excommunia les deux époux. Ils s’enfuirent dans le Luxembourg où deux enfants leur vinrent, Jean et Baudouin d’Avesnes… qui furent jugés bâtards.

Bouchard d’Avesnes finit par se faire capturer. Il sortit de prison à condition de renoncer à son mariage. Marguerite s’éprit alors de Guillaume de Dampierre qu’elle épousa. Un conflit s’installa entre Bouchard et Guillaume. Les péripéties furent nombreuses. On fit appel au roi de France (“Saint” Louis IX), à l’empereur et au pape.

Bouchard, dont on dit qu’il aurait manigancé l’affaire du “faux Baudouin” fut à nouveau fait prisonnier. Il mourut en 1244, la même année que Jeanne et donc l’année où Marguerite devint comtesse de Flandre et de Hainaut.

Les Dampierre (le comte Guillaume et son fils Guy) et les Avesnes (Jean, le “bâtard”) continuèrent la lutte. Marguerite préférait Dampierre.  Jean et son frère Baudouin parvinrent pourtant à faire reconnaître la légitimité de leur naissance par l’empereur Frédéric II, le roi Louis IX et le pape innocent IV.

Finalement, en 1246, le roi “saint” Louis IX (1226-1270) arbitra le conflit et décida que les Dampierre hériteraient de la Flandre à la mort de leur mère et les Avesnes du Hainaut. Immédiatement, Jean d’Avesnes exigea le gouvernement réel du Hainaut, appuyé par son beau-frère, le comte de Hollande. Refus de Marguerite, sa mère. Qu’à cela ne tienne, fort de ses appuis, il s’installa en Hainaut et commença à y passer de nombreux actes. Il en vint même à réclamer la Flandre.

En 1251, Guillaume de Dampierre mourut dans un tournoi à Trazegnies. On suspecta les adversaires et la lutte entre les deux factions adverses reprit. Le comportement de Marguerite (“Zwarte Margriet”) attisait toutes les colères, en Flandre, et encore plus en Hainaut. On était au bord de la guerre civile.

Avec l’assentiment des bourgeois de ces villes, Jean d’Avesnes s’empara de Mons, de Valenciennes, d’Ath, de Soignies et de Binche. Marguerite tenta même de donner son Hainaut au duc Charles d’Anjou, frère du roi de France. Celui-ci vint investir les villes hennuyères mais échoua devant Enghien et dut ensuite reculer devant l’arrivée des troupes de Guillaume de Hollande.

Au “Dit de Péronne”, en 1256, Saint Louis intervint de nouveau et parvint à convaincre les Dampierre de renoncer au Hainaut. Ils acceptèrent. Jean I d’Avesnes mourut l’année suivante. Il avait épousé la fille du comte de Hollande. Leur fils, Jean II d’Avesnes, lui succéda.

Lasse, Marguerite abdiqua en 1279 et mourut l’année suivante. Les deux comtés étaient à nouveau séparés.

Les chapitres suivants vont décrire l’organisation du pouvoir comtal, la situation dans les villes et les campagnes, ainsi que la place de l’Eglise. J’essaie, autant que possible, de le faire à travers l’histoire des villes et villages de la vallée de la Haine.

 

 

12. Sous les comtes Régnier

 ou Les Régnier “pour exister” (de 870 à 1050)

Charlemagne (781-814) avait mis en place un système unitaire très centralisé qu’avait conservé son fils, Louis “le Pieux” (814-840). Les luttes fratricides pendant les décennies suivantes, la lente perte d’autorité de leurs successeurs, tant en France qu’en Germanie, et enfin les raids saccageurs des Vikings mirent à mal le bel empire bien organisé qu’ils avaient laissé.

Dès la fin du IXème siècle, les ducs et les comtes s’emparèrent de larges territoires, des richesses foncières et de tous les pans du pouvoir (administration, justice, fiscalité). Alors que les comtes, à l’époque carolingienne, n’étaient que des fonctionnaires nommés et révocables, les “nouveaux comtes” s’assuraient définitivement tous les pouvoirs, pour eux et pour leur famille, pouvoirs et biens qu’ils se transmettaient par héritage.

S’ensuivit une période politique très instable où vont s’opposer rois, empereurs, ducs et comtes, leur but étant de se constituer un territoire le plus large possible et de s’assurer le plus d’autonomie possible. La charge de missis dominici fut abolie. Plus de contrôle royal. De nombreux petits pagus vont disparaître au profit d’autres qui vont s’étendre selon la loi du plus fort.

Les faits politiques

Le petit comté de Hainaut a pu profiter de cette période “charnière” pour accéder à ce rang, grâce à une famille, celle des Régnier, qui va s’y perpétuer pendant un siècle et demi et s’y assurer un socle solide. Ce sont ces Régnier qui ont fait exister le Hainaut. 

(pour agrandi: clic droit, puis ouvrir dans un autre onglet)

Régnier Ier (880-915) – Les invasions vikings

Le premier d’entre eux, Régnier Ier “au Long Col”, avait été nommé à la tête de plusieurs comtés, dont celui de Hainaut vers 880, par le roi Louis III “le Jeune” de Germanie. Cette charge relevait du statut de fonctionnaire. Le Hainaut d’alors était très modeste: au nord le moyen Escaut (jusqu’à Condé) et la Haine (avec quelques dépassements mal décrits), Estinnes, Binche et Lobbes à l’est, pas de limite nette au sud.

A partir du milieu du IXème siècle, des hordes de Scandinaves (Danois et Norvégiens) arrivèrent par la mer sur leurs drakkars. Ils pénétrèrent par les fleuves (Rhin, Meuse, Escaut, Somme, Seine, Loire). Ce qui les intéressait en premier lieu, c’était la rapine. Ils s’attaquaient aux riches résidences et aux abbayes, saccageant au passage les petites fermes, créant la désolation dans les villes et les campagnes de France et de Lotharingie. Par la suite, ils cherchèrent à s’implanter, amenant avec eux leurs familles.

Chez nous, on les vit apparaître vers 880, ayant remonté l’Escaut, pillant les villes de Gand, de Tournai et de Cambrai, et toutes les abbayes avoisinantes. Ils s’installèrent à Condé, d’où ils organisaient leurs raids dans toute la région. D’autres allèrent s’installer près de Louvain. On est assez mal documenté quant à l’ampleur des dégâts qu’ils provoquèrent. Il est possible que certaines chroniques de l’époque aient exagéré les faits.

Les rois de France et de Germanie ne s’avérèrent pas les meilleurs défenseurs face à eux. Ils donnèrent le pouvoir à leurs comtes, leur abandonnant du même coup une certaine autonomie. Et ceux-ci en profitèrent dans la mesure de leur puissance. Celui de Flandre, vassal du roi de France, Baudouin « Bras-de-Fer », repoussa assez rapidement les envahisseurs. Il en profita pour agrandir son petit pagus situé autour de Bruges et pour accaparer ceux de ses voisins. Lui et son fils se taillèrent un grand comté qui allait de la mer à l’Escaut, poussant au sud jusqu’à Boulogne.

Son homologue du Pagus Hainoensis, appelons-le désormais comté de Hainaut, était Régnier « au Long Col », vassal du roi de Germanie. Il était lorrain, de famille franque et noble, et il avait à administrer plusieurs comtés (sur la Meuse et en Hesbaye), outre celui de Hainaut. Depuis son camp, installé sur la petite colline de Castrilocus Mons (Mons), ce Régnier eut beaucoup de mal à repousser les Vikings (il fut même fait prisonnier et libéré contre rançon), mais il y parvint finalement en 891. Cette date marque aussi l’expulsion définitive des Vikings du « territoire belge », après la terrible bataille de Louvain.

Après la prospérité carolingienne, l’économie, la production agricole et artisanale, ainsi que les échanges commerciaux avaient énormément souffert durant cette décennie.

De son côté, Régnier Ier, au passage, s’était rendu propriétaire de nombreuses terres impériales, de terres d’abbayes désertées par les moines, ainsi que d’autres terres abandonnées pendant ces invasions vikings. Il connut de nombreux démêlés avec ses supérieurs, le roi de Lotharingie et l’empereur. Il perdit même un temps sa charge de comte de Hainaut au profit d’un certain Sigard (898-920). Lui et d’autres comtes lotharingiens décidèrent alors de faire passer la Lotharingie dans le royaume de France de Charles III “le Simple”. Ce dernier le nomma “marquis de Lotharingie”. Régnier Ier mourut en 915, couvert d’honneurs.

Parmi les abbayes qui ont particulièrement souffert et ont été abandonnées à cette époque, figurent celles de Crespin, de Maubeuge, de Montroeul-sur-Haine et de Saint-Ghislain. Pour Mons, on est moins documenté. Lobbes semble avoir perdu une grande partie de ses territoires à l’ouest. La petite ville naissante de Valenciennes fut saccagée.

Dans le petit comté voisin de Brabant (ou Burbant, entre la Haine et l’Escaut), la situation est plus floue. Les comtes y sont moins connus, hormis un certain Gérard de Roussillon, qui exerçait bien d’autres charges loin de chez nous (comte de Paris, de Vienne, de Lyon, de Roussillon). Il n’était sans doute pas très présent sur ses terres du nord (il détenait aussi le petit comté d’Ostrevent, autour de Denain et de Bouchain, sur l’autre rive de l’Escaut). Raison pour laquelle Condé tomba rapidement aux mains des Vikings.

Une telle puissance de ces comtes ne pouvait s’entendre qu’avec l’appui de compagnons d’armes, sans doute des seigneurs domaniaux au tempérament guerrier, fidèle et ambitieux. Il fallait les récompenser, notamment par des dons de domaines (fiefs), des titres de chevalerie et des charges dans le comté. Une sorte de nouveau clientélisme à l’échelon régional apparaissait. Un nouveau type de pouvoir était né : la féodalité.

Régnier II (925-940)

Régnier II finit par récupérer la charge comtale qui avait été perdue un temps par son père. Plus que ce dernier, il se chargea d’imposer réellement son autorité sur les territoires dont il avait hérité (en Hainaut et en Hesbaye). A l’occasion de conflits féodaux, il va asseoir son pouvoir depuis Valenciennes et Bavay jusqu’à Estinne.

Après avoir transféré le centre administratif comtal de Famars à Mons, il semble qu’il ait fait construire une résidence fortifiée sur la colline montoise, à proximité de l’abbaye Sainte-Waudru. De celle-ci, il parvint aussi à se faire nommer “abbé laïc”, ce qui lui donnait droit à une partie des bénéfices tirés de l’administration des grands domaines abbatiaux. Il fit de même avec l’abbaye Sainte-Aldegonde de Maubeuge.

Son frère aîné Gislebert fut nommé duc de Lotharingie. Il tenta de mettre la main sur les abbayes dévastées. Il remit sur pied l’abbaye de Saint-Ghislain.

Régnier III (940-958)

Le suivant, Régnier III, se révolta régulièrement contre son suzerain, d’autant plus que celui-ci n’était plus un « faible » carolingien. Un souverain saxon, ambitieux et très autoritaire était devenu roi de Germanie après l’extinction de la lignée carolingienne: Otton Ier (936-973). Ce dernier, à l’image de Charlemagne, voulait consolider son espace territorial dans les différents comtés et duchés germaniques, mais aussi en Italie et en Lotharingie. Il s’était fait sacrer empereur par le pape et avait institué « le saint empire romain germanique ».

Les rois de France, alors, n’étaient pas très puissants, mais avec leur vassal flamand, ils cherchaient régulièrement à venir s’implanter en Lotharingie. Otton Ier tentait de déjouer leurs ambitions.

C’est ainsi qu’en 953 et en 969, l’empereur établit des marches aux frontières. C’étaient des comtés dotés d’une capacité militaire défensive, dirigés par des comtes-marquis. Otton Ier transforma les comtés de Chièvres et d’Alost (en Brabant occidental) en une marche établie à Ename, face à Audenarde. Il fit de même à Gand et à Anvers. Mais ce qui provoqua l’ire de Régnier III, ce fut le fait qu’Otton détacha toute la partie du Hainaut autour de Valenciennes et qu’il en fit aussi une marche, réduisant le Hainaut à un petit comté autour de Mons. Ces marches, l’empereur les attribua à des fidèles à lui, notamment de la Maison d’Ardennes (« ennemie » des Régnier).

Grosse révolte de Régnier III et de son frère Rodolphe. Ils furent battus et envoyés en exil en Bohême où ils moururent. Le comté de Mons passa aussi à un « Ardennais », Godefroid de Juliers. Toutes les possessions des Régnier furent confisquées par l’empereur, notamment les grands domaines autour d’Estinnes et de Mons-Ciply. 

Godefroid de Juliers, puis Richer, puis Renaud, puis Godefroid de Verdun “le Captif” (958-998)

Ce sont les comtes successifs que l’empereur nomma à la tête du comté de Mons/Hainaut durant une quarantaine d’années.

Les fils de Régnier III, Régnier et Lambert, voulurent venger leur père et surtout récupérer leurs biens et leurs titres. Ils s’engagèrent alors dans un conflit contre les comtes de Mons et de Valenciennes, l’emportant ici (à Péronnes-lez-Binche, puis devant Mons), mais perdant là (au château de Boussu qu’ils avaient investi et d’où ils ravageaient la région).

Régnier IV (998-1013)

Finalement, et toujours avec l’aide des “ennemis” Français, et notamment d’Hugues Capet qui venait d’accéder à la royauté en France, ils parvinrent à obtenir la restitution de leurs terres dans un premier temps, et de leurs titres par la suite. Régnier IV, qui avait épousé la fille d’Hugues Capet, devenait comte de Hainaut et son frère Lambert, comte de Louvain (berceau du futur duché de Brabant). Tous ces conflits permirent à Régnier IV d’agrandir son petit comté: Beaumont et Chimay (aux dépens du comté de Namur), Chièvres, Soignies, Braine-le-Comte et Hal (aux dépens du comté de Brabant). Par son mariage, il obtint même des terres dans le comté de Paris, qu’il échangea ensuite contre Couvin. A Mons, il fortifia la colline autour du château et de l’abbaye, qu’il contrôlait.

Régnier n’était pas un tendre. Ses guerres lui ayant coûté beaucoup, il greva d’impôts les sujets de ses propres domaines autour de Mons, au point que les paysans de Jemappes, de Cuesmes, de Flénu et de Ghlin se révoltèrent contre lui. De plus, à cette époque, des épidémies de peste et des famines ravageaient le comté.

A sa mort en 1013, le petit Hainaut avait grandi et surtout avait gagné en autonomie.

Ombre au tableau, en 1006, la marche de Valenciennes, toujours dirigée par un comte-marquis impérial, avait été envahie et conquise par le comte de Flandre, Baudouin IV.

Régnier V (1013-1039)

Le comte suivant s’appelait aussi Régnier, le cinquième consécutif. Plus calme, plus pieux, mais sans doute aussi plus diplomate, il épousa la fille unique d’Herman de Verdun, marquis d’Ename. La dot était fort intéressante : une partie de la marche, constituée de l’ancien comté de Chièvres (Burbant), soit toute la région située entre la Haine, l’Escaut et la Maerke. Elle fut englobée dans le comté de Hainaut à la mort de son beau-père. Par la suite, il récupéra encore certains territoires du comté de Valenciennes.

Ce Régnier fut souvent en conflit avec les abbayes qu’il contrôlait (Mons, Hautmont, Soignies). Pour le reste, il continua à renforcer son autorité sur tout son comté où des barons locaux étaient très remuants, surtout ceux du Burbant récemment acquis. Il devait faire face à son rival flamand, toujours maître de Valenciennes, et qui n’hésitait pas à faire des incursions sur la rive droite de l’Escaut. Ename fut ravagée à plusieurs reprises.

Herman (1039-1050)

Le dernier comte de la dynastie des Régnier s’appelait Herman. Il épousa une Alsacienne, Richilde d’Eguisheim, qui jouera par la suite un rôle important dans le comté.

Herman connut les mêmes conflits que ses prédécesseurs. Notamment avec l’ambitieux Baudouin IV de Flandre. Après de nombreux combats, l’empereur parvint à lui faire accepter une paix. Le Flamand obtint Renaix, Ename, Alost et Anvers, soit des “terres impériales” à l’est de l’Escaut. Mais il dut rendre Valenciennes aux Hennuyers. Tout l’ancien comté de Chièvres (Burbant) était acquis définitivement.

A la mort d’Herman, en 1050, le comté de Hainaut avait atteint à peu près les limites territoriales qui restèrent les siennes jusqu’aux guerres de Louis XIV. En même temps, il était devenu une principauté comtale à part entière, comme la Flandre, le Brabant, la Champagne, l’Artois, … Les comtes s’étaient émancipés de la tutelle impériale et lotharingienne. En échange d’un hommage de vassalité envers l’empereur, ils détenaient tous les pouvoirs chez eux. Ils avaient surmonté tous les conflits sanglants des « siècles sombres » postcarolingiens. Le Hainaut existait!

Il fallait désormais asseoir ce pouvoir, administrer ce territoire avec les seigneurs locaux et, par la suite, montrer qu’il fallait compter avec eux dans la politique internationale. Telle fut la tâche aux siècles suivants.

La féodalité

Basé sur la fidélité, ce système politique s’est mis en place au Xème et au XIème siècle. La faiblesse, l’absence ou le rejet d’un pouvoir central (royal ou impérial) ont cédé tous les pouvoirs aux comtes (pouvoir militaire, police, justice, fiscalité). Ceux-ci eurent à les gérer avec leurs “fidèles”, leurs inféodés ou leurs vassaux.

Parmi eux, il y avait d’abord ceux qui détenaient déjà de gros territoires, les abbayes, et les seigneurs de domaines (alleutiers) capables d’apporter une aide militaire (ost). Ces derniers, “les barons”, en échange de ce service armé, obtenaient du comte des charges ou de nouveaux territoires (fiefs liges) pour lesquels ils devaient, eux et leurs héritiers, lui rendre hommage. Sur leurs terres, ces seigneurs avaient tous les pouvoirs (infra) et bénéficiaient de nombreux revenus. Ils avaient droit aussi à la protection du comte.

Ces barons pouvaient assister le comte lors d’assemblées (plaids) et dans des cours de justice. Les plus influents devinrent des “pairs”. On sait peu de choses, semble-t-il, sur les personnages qui évoluaient aux côtés des comtes et qui prirent part à tous ces conflits du Xème et du XIème siècle.

Le système féodal se prolongea, avec quelques changements, jusqu’à l’arrivée des Révolutionnaires Français en 1792 et 1794.

Les villes

A celles qui existaient lors de la période précédente (Cambrai, Tournai, Valenciennes), vint s’ajouter modestement Mons, encore qu’il faille plutôt parler ici d’une petite bourgade d’artisans et de domestiques des abbayes et du château comtal, située sur la colline ou sur sa pente sud (vers l’actuelle Grand-Place).  

Les domaines seigneuriaux ruraux

Les raids vikings furent un véritable traumatisme qui engendra des bouleversements, d’ordre politique (on l’a vu dans le paragraphe précédent) et social.

Economie rurale

Elle ne change pas depuis la période néolithique. La campagne hennuyère vit de l’agriculture et de l’élevage. Beaucoup de paysans vivent en autarcie, leur production se partageant entre leur consommation personnelle et les redevances au maître du domaine. Ceux qui peuvent dégager des surplus et qui sont proches des agglomérations, encore rares, peuvent aller les vendre. Leur subsistance est faite de céréales (pains, bouillies), de quelques légumes cultivés et de fruits. Ils mangent peu de viande. Les plus aisés élèvent quelques animaux (volaille, porc, boeuf, mouton) dont ils consomment les produits (laitages, œufs). Mais, le plus souvent, ils vendent la viande et les peaux aux plus riches.

Société

On a vu dans le chapitre précédent qu’au VIIIème, et surtout au IXème siècle, un phénomène de concentration des domaines agricoles avait engendré de plus grands domaines (les villas carolingiennes). Le maître (ou seigneur) en exploitait une partie (réserve) grâce à ses serfs. Il en lotissait le reste qui était réparti par manses entre des paysans “libres” (mais dépendants du maître) et des serfs dits “chasés”.

Ce qui changea, après les raids vikings, donc au Xème siècle (et peut-être encore au XIème), c’est la formation des villages et le renforcement des pouvoirs seigneuriaux dans le cadre de la féodalité.

Naissance des villages

Au siècle précédent, de nouvelles techniques agricoles étaient apparues, comme l’assolement triennal. Celui-ci nécessitait une organisation du travail. Le traumatisme vécu par la population lors des raids vikings engendra un désir de protection et de défense. Il faut peut-être y ajouter un « nouvel » esprit communautaire d’entraide mutuelle.

Les paysans, à l’intérieur d’un domaine, décidèrent de rapprocher leurs habitats. Ils formèrent des hameaux, composés de petites fermes. Selon l’étendue du domaine, ils étaient plus ou moins peuplés (5 à 20 familles). Par endroits, on pouvait parler de villages, terme qui dérive de villa.

Chaque habitat était isolé sur son petit terrain, comportant, comme aux époques précédentes, une maison, des annexes (fenil, silos, grange, étable, atelier) et une basse-cour. Le tout était toujours construit en bois, torchis et chaume.

Les champs et les pâturages se situaient autour du noyau habité. On trouvait à proximité un petit cours d’eau et, souvent, un bois. En lisant le chapitre 2 (géographie), on se rend compte qu’il y a des ruisseaux ou des sources dans quasi tous les villages de la vallée de la Haine. Quant à la forêt, elle était présente partout sur les versants et les plateaux.

Les paysans s’organisaient entre eux pour les travaux des champs et pour la production d’outils et de poteries.

Ils pouvaient (en théorie) compter sur la protection du seigneur du lieu, qui, soit résidait dans son château-ferme à proximité du village, soit y détenait une ferme (fortifiée) tenue par un intendant. C’était le cas des nombreux domaines appartenant aux comtes ou aux abbayes.

D’où viennent les noms des villages, dont les orthographes ont souvent fort évolué (toponymie) à travers les siècles ? Probablement de lieux-dits. Avant le Xème siècle, il est très probable qu’il existait une appellation pour la plupart des sites agricoles et sans doute aussi pour d’autres sites. C’étaient des points de repère pour la population locale. Le domaine avait sans doute aussi son nom. Les villageois se sont regroupés sur un de ces sites qui garda le nom ou en changea, puis celui-ci se transmit de génération en génération, apparaissant, avec des orthographes très variables, dans les documents écrits.

Tous les hameaux et villages qui se sont constitués aux Xème et XIème siècles n’ont pas résisté au temps. Certains ont disparu. Ceux qui ont persisté sont nos villages d’aujourd’hui. Ils se sont développés lentement. L’accélération de la démographie et l’intensification de la construction d’habitats sont surtout le fait du XIXème siècle, surtout dans les localités qui se sont industrialisées.

Les paroisses

Les communautés paysannes s’identifiaient à des communautés paroissiales. L’apparition des communes est plus tardive. L’identité, c’était celle de la communauté paroissiale. Le petit peuple, depuis le IXème siècle, était entièrement et profondément christianisé. En fondant leur communauté, les villageois (et leur seigneur) se mettaient sous la protection d’un saint. Ce faisant, ils devaient avoir à leur disposition un oratoire pour les offices et un prêtre qui distribuait les sacrements (baptêmes, mariages, enterrements).

Dans ces premiers siècles, cet endroit était le plus souvent situé dans l’enceinte seigneuriale (chapelle castrale). Puis les paysans bâtirent une petite église dans leur agglomération, église autour de laquelle on aménageait le cimetière. Quant à l’officiant, il était le plus souvent choisi par le seigneur du lieu, puis consacré par l’évêque de Cambrai. En général, il n’était pas des mieux formés.

Tout cela engendrait des frais. On institua la dîme, impôt en nature que le prêtre récoltait et partageait souvent avec le seigneur du lieu dans ces premiers siècles.

Les paroisses (et la dîme) existaient déjà au milieu du VIIIème siècle (sous Pépin le Bref), mais ne concernaient encore que quelques endroits privilégiés, dans des domaines importants de nobles christianisés. Dès 813, on ouvrit, dans les plus riches, des écoles, ce qui a fait dire que Charlemagne avait inventé celles-ci.

Les voies de communication

On a vu, dans la période précédente, que les Francs ont maintenu, et sans doute entretenu les chaussées romaines et leurs diverticulums. Avec l’apparition des abbayes et des résidences royales, d’autres voies sont nées, les reliant, de Cambrai à Estinnes, en passant par Valenciennes, Maubeuge, Crespin, Condé, Saint-Ghislain et Mons, s’en allant aussi vers Tournai, Leuze et Chièvres. Peut-être aussi par d’autres endroits encore mal connus de nos jours (voir la carte proposée plus haut).

Beaucoup de villages se sont constitués au bord de ces chemins. D’autres en sont éloignés et se sont reliés aux premiers et aux chaussées anciennes par de nouveaux chemins.

Longtemps, jusqu’au XVIIIème et au XIXème siècle, ces voies de communication ont été peu praticables pour les charrois, surtout l’hiver et en périodes pluvieuses. Les villageois vivront essentiellement en centres fermés, sauf ceux situés à proximité des villes (Valenciennes, Mons) qui y verront un débouché pour leurs productions.  

Les seigneuries

Les seigneurs étaient les maîtres des domaines. Au Xème siècle, on trouvait parmi eux les comtes eux-mêmes, propriétaires de très vastes domaines, les abbayes qui avaient plus ou moins survécu aux Vikings, et quelques alleutiers, propriétaires, dès avant la féodalité, de leurs terres qui passaient de père en fils.

Les comtes, pour asseoir leur pouvoir pendant cette période instable, émaillée de nombreux conflits, durent compter sur ces alleutiers qui devinrent leurs barons et leurs chevaliers. Ils commencèrent aussi à distribuer des parts de leurs domaines à d’autres personnages, notamment de leur famille, qui les aidaient dans leurs tâches politiques et guerrières.

Ces seigneurs avaient l’obligation (coutume franque) de protéger les habitants de leurs domaines, mais avaient tout pouvoir sur eux : police, justice. Ils pouvaient prélever des impôts, en général en nature : le cens (impôt foncier) et toutes sortes de redevances sur les marchandises qui entraient, sortaient et circulaient sur leur domaine (tonlieu), la mainmorte (droit de s’approprier les biens d’un serf qui mourait), des taxes sur la vente de marchandises (vin, bière, sel, …), …

Ces seigneurs s’approprièrent aussi les biens communs de la communauté villageoise : les moulins à grains et à huile, les fours pour la cuisson du pain. Le pâturage du bétail sur les terres communes (waressaix) et le glandage des porcs dans les bois devenaient des services disponibles contre des redevances. La chasse, le braconnage et la pêche étaient interdites aux manants et réservées à la famille seigneuriale.

Les seigneurs avaient le droit d’imposer des corvées à leurs paysans « libres » et à leurs serfs (plus à ceux-ci qu’aux premiers). Il s’agissait de travaux généraux, comme le curage des fossés, l’entretien des chemins, mais aussi des travaux agricoles sur la réserve seigneuriale.

Enfin, les seigneurs exerçaient la justice. Au début, il s’agissait de la basse justice (les petits délits), puis certains obtinrent du comte de pouvoir exercer aussi la haute justice (pour les crimes punis de peine de mort). Dans ce dernier cas, un pilori était monté dans un endroit public. Ces droits de justice pouvaient surtout rapporter beaucoup en amendes.

Naturellement, certains en profitèrent, pendant ces premiers siècles de féodalité, pour rendre très pénible la vie, et des manants, et des serfs. On était dans l’arbitraire absolu. Un maire (ou maïeur) représentait les manants auprès du seigneur. C’était en général un des plus aisés de la communauté, qui prenait le plus souvent le parti du plus fort et en était récompensé.

Les seigneurs ont aussi, parfois, distribué des parcelles de terres à des hommes qu’ils voulaient récompenser. Ces terres étaient des arrière-fiefs.

D’autre part, ils acquerraient de nouveaux domaines par mariages et héritages

Le christianisme  

Les institutions ecclésiastiques (évêchés, abbayes, églises paroissiales) étaient aux mains de la noblesse. Les rois et, après eux, les comtes s’étaient approprié leurs domaines et les revenus de ceux-ci (phénomène accentué pendant les invasions vikings). De nombreux nobles étaient devenus « avoués » ou « abbés laïcs ». Ils choisissaient et imposaient les évêques et les abbés (des membres de leurs familles). 

A Cambrai, l’empereur Otton I accorda, en 948, à l’évêque Fulbert (934-956) les droits comtaux (pouvoir temporel) sur la ville de Cambrai. Le comte du pagus de Cambrai continuait à administrer le Cambrésis, hormis la ville. Soixante ans plus tard, en 1007, l’empereur Henri II supprima la fonction de comte de Cambrésis et en attribua la charge à l’évêque Erluin (996-1012).

Dès la seconde moitié du IXème siècle, l’Eglise fut en crise, autant à Rome que dans les institutions régionales et dans les abbayes, où la Règle était le plus souvent laissée à l’abandon au profit d’une gestion lucrative des domaines. La morale en pâtissait. Les curés paroissiaux étaient en général peu éduqués.

Au Xème siècle, on commença à observer des réactions contre ce laisser-aller : le mouvement clunisien en France, ainsi qu’un mouvement réformateur en Lotharingie.

Régnier Ier s’était approprié l’abbaye de Saint-Ghislain ou, du moins, ce qui en restait après les invasions vikings et le laisser-aller du siècle précédent. Son fils Gislebert, duc de Lotharingie, confia à Gérard de Brogne, vers 930, la remise sur pied de l’établissement et la restauration de la Règle de Saint-Benoit. Lors de l’exil de Régnier III, l’empereur Otton en fit une abbaye royale, ce qu’elle demeura après le retour de Régnier IV. Un document a circulé longtemps, de la main d’Otton, daté de 965, qui reprenait tous les biens de l’abbaye. Il semble que c’était un faux. Ce qui causa énormément de conflits aux siècles suivants entre abbés, comtes et seigneurs voisins.

A Mons, l’abbaye Sainte-Waudru était devenue royale sous Charlemagne. Elle le restera jusqu’à ce que Régnier Ier mette la main dessus. Ses successeurs en devinrent les abbés laïcs et l’abbaye fut transformée en chapitre de chanoinesses. On fonda même à côté vers 959 un chapitre Saint-Germain, dont les chanoines étaient responsables des offices pour les chanoinesses et les paroissiens montois.

En 889, Régnier Ier céda l’abbaye de Lobbes, jusque-là hennuyère, à l’évêque de Liège. Une charte de 864 reprenait tous les domaines qui appartenaient à Lobbes. Or, lorsque les villages commencèrent à se fonder, beaucoup de ces domaines avaient changé de maître, ce dernier étant devenu le comte. C’est le cas pour de très nombreuses localités à l’est de Mons et autour de Binche.

Au Xème siècle, quelques abbayes connurent une véritable renaissance de la vie monacale grâce à certains abbés plus érudits. Il semble que ce ne fut pas le cas dans la vallée de la Haine, alors qu’à Saint-Amand, à Lobbes, à Florennes et à Gembloux, on y développa très fort le savoir et la théologie.

A Rome aussi, de nouveaux papes tentèrent d’inverser la tendance par des appels à la paix, à la fraternité, à la protection des faibles, brandissant parfois la menace d’anathème et d’excommunication, ce qui n’était pas nécessairement efficace.

Dès 930, toutefois, l’Eglise parvint à imposer aux rois et aux nobles la « paix de Dieu », une interdiction de se battre certains jours de la semaine et certaines périodes de l’année. Une humanisation progressive, quoique toute relative, de la féodalité commença à apparaître au XIème siècle, contre l’arbitraire des puissants. Ce fut d’abord le cas dans les villes.

Dès la fin du siècle, les abbayes jouèrent un rôle décisif pour l’affranchissement des serfs. A Saint-Ghislain, une charte de 978 détaillait la condition des serfs et les modalités de leur libération du servage. De nombreux seigneurs voisins firent don de leurs serfs aux abbayes, réservant à celles-ci le droit de les affranchir.

Conclusion

Ce chapitre donne peu de renseignements précis sur ce qui se passa spécifiquement en vallée de Haine. Fort théorique, il permet cependant de comprendre comment ces deux siècles furent vécus par la population locale. Important, car ces siècles virent apparaître nos villages d’aujourd’hui. Pour le reste, le paysage ressemblait à celui de la période précédente : les vallées humides, les versants et les plateaux boisés, çà et là des petits hameaux naissants et l’une ou l’autre ferme fortifiée et, peut-être, l’un ou l’autre château, presque toujours construit en matières périssables (le bois surtout). Au XIème siècle, l’extension de ce mouvement s’accompagna d’une reprise des défrichements forestiers.

J’ai tenté dans les chapitres consacrés à chaque village de comprendre comment chacun a pu naître.

11. La période franque

De cette période, que nous ferons arbitrairement débuter à la mise en place du royaume franc par Clovis (481-511) et se terminer au début des invasions des Vikings (880), nous retiendrons comme témoignages, dans la vallée de la Haine, de nombreux cimetières francs et des fondations d’abbayes qui vont jouer un rôle important dans son histoire.

Les faits politiques

Clovis Ier

Clovis mourut en 511.

Cette période est marquée par d’incessantes luttes entre ses descendants (VI et VIIème siècle), puis par des conflits entre les maires du palais qui se sont arrogé le pouvoir à la place des rois dits “fainéants”, et enfin par une reprise en main énergique de la part des premiers rois Carolingiens, Pépin le Bref et Charlemagne.

Il faut savoir que, selon la coutume des Francs Saliens, une propriété était toujours divisée entre les héritiers mâles. Clovis avait quatre fils. Son grand royaume fut partagé en autant de parts. Ensuite, selon les circonstances, ces parts furent parfois remises ensemble (sous Clotaire I et Dagobert I), puis à nouveau séparées. Dans la partie septentrionale, deux royaumes s’opposèrent régulièrement: la Neustrie (à laquelle appartenait l’ancien territoire des Nerviens, dont la vallée de la Haine) et l’Austrasie (est de la Belgique, nord-est de la France et ouest de l’Allemagne).

Les royaumes francs vers 600

Le règne du roi Dagobert I (629-639), d’abord roi en Austrasie, puis, par héritage, roi de l’ensemble des royaumes francs, apporta un peu de stabilité politique. Ses descendants, par désintérêt ou par inexpérience, laissèrent le pouvoir à leurs maires du palais. Ces personnages, sorte de premiers ministres, ont dominé toute la fin de la période mérovingienne. Une famille d’Austrasie, très riche, très influente et très puissante, celle des Pippinides, a finalement monopolisé le pouvoir des quatre royaumes francs (Neustrie, Austrasie, Bourgogne et Aquitaine). L’un d’entre eux, Pépin le Bref, avec l’accord du pape, du haut-clergé et des nobles, a déposé le dernier roi mérovingien en 451 et s’est fait “sacrer” roi, fondant ainsi la dynastie carolingienne.

Lui-même, mais surtout son fils Charlemagne et, dans une moindre mesure, son petit-fils Louis le Pieux, restaurèrent le pouvoir. Ils réalisèrent de nombreuses réformes et ramenèrent le calme à l’intérieur du royaume, tout en étendant celui-ci vers l’Italie et le centre de l’Allemagne (jusqu’à l’Elbe).

Le pouvoir royal franc

Le seul détenteur du pouvoir était le roi. Pas de sénat comme chez les Romains. Le roi était aidé et conseillé par un groupe d’aristocrates, appelés “leudes”. Il détenait donc les pouvoirs militaire, politique et judiciaire. Il nommait aux postes dirigeants des officiers et des fonctionnaires qui ne devaient rendre des comptes qu’à lui.

Clovis avait déplacé sa capitale de Tournai à Paris. Avec la division, par héritages, de son royaume, il se forma des capitales secondaires (Orléans, Soissons, Metz). Mais ces centres n’avaient pas une grande importance. Les Francs n’aimaient pas la vie en ville, à la différence des Romains. Ils firent peu de choses pour le développement urbain. Eux-mêmes étaient continuellement en “déplacements”. Avec leur famille, leurs leudes et leur nombreuse domesticité servile, ils déplaçaient “leur palais” d’une résidence royale à une autre. Ce palatium était le centre réel du pouvoir. A l’origine, son fonctionnement dépendait d’un major domus, majordome, qu’on commença à appeler, au VIIème siècle, major palatium, maire du palais. Et, comme dit plus haut, ce personnage prit de plus en plus d’importance sur le plan politique, à côté du roi, et puis, enfin, à la place du roi.

C’est aussi à cette époque qu’apparurent au palais les charges de sénéchal, d’échanson (ou bouteiller), de connétable et de chambellan, titres qui continueront à être utilisés jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.

Les écrits étant rares et l’habitat, conçu en matières périssables (bois et torchis), on sait peu de choses sur les résidences palatiales. L’une d’elles était établie à Estinnes où eurent lieu, vers 450, deux conciles. Il n’est pas impossible qu’en vallée de Haine, il en existât aussi une à Valenciennes et, peut-être, une résidence-relai à Wihéries.

Les villes

Quand l’empire romain s’est éteint, il n’existait plus de véritable ville en vallée de Haine. Bavay avait disparu au profit de Cambrai qui, elle, s’était développée. A l’ouest, Tournai, dernière capitale des Ménapiens, profita aussi, non seulement de sa situation sur l’Escaut, mais aussi d’avoir été un temps capitale franque. La plupart des vicus qui s’étaient développés le long des chaussées (Blicquy, Pommmeroeul, Waudres, Goegnies, …) avaient disparu, victimes des invasions.

Seule Famars, située près de Valenciennes, sur une petite colline surplombant l’Escaut, après avoir été au départ un vicus artisanal et un centre religieux, puis un centre militaire, continua à jouer un rôle politique sous le régime royal franc.

Les pagus mérovingiens

Le roi franc, sans doute depuis Clovis ou sous ses fils, avait abandonné la division romaine en provinces et cités, mais il avait conservé la division en pagus. On sait que le territoire de la cité des Nerviens fut divisé en au moins trois pagus: Cambrai, Famars, Brabant.

Le pagus était une division à la fois militaire, administrative et judiciaire. Il était placé sous l’autorité d’un comte qui dépendait directement du roi. L’administration se trouvait à Famars, mais le comte, comme le roi, était propriétaire de domaines ruraux où il résidait. Il semble qu’on n’ait aucun renseignement sur les noms des comtes mérovingiens. Des chroniqueurs du Moyen-Age citent Madelgaire, futur Saint-Vincent, mais il n’est pas sûr que ce soit véridique.

Le Pagus Fanomartensis (pagus de Famars) s’étendait depuis le nord du Cambrésis, au sud de l’Escaut, puis de la Haine, jusqu’au Piéton, à l’est. A cette époque, la région de Lobbes en faisait partie, ainsi que la haute vallée de la Sambre.

Plus tardivement, à partir de 720, le nom de Pagus Fanomartensis fut progressivement remplacé par celui de de Pagus Hainoensis. On ne sait pas pourquoi. Sans doute, Famars avait-il cédé son importance artisanale et commerciale à Valenciennes. Est-ce que le pouvoir comtal y était encore? Fut-il transféré ailleurs? A Castrilocus Mons (Mons) ? Pourquoi le terme Hainoensis qui fait référence à la Haine le remplaça-t-il? En Germanique, on parlait de Hennegau, terme à l’origine du mot français « Hainaut ». Ceci souligne l’importance qu’avait prise la vallée de la Haine chez les Francs de la région. Ce pagus fut, à coup sûr, le berceau du comté médiéval de Hainaut.

Au nord du Hainaut, entre la Haine et l’Escaut, se trouvait le Pagus Bracbatensis, qui était divisé en cinq « comtés » : Alost, Bruxelles, Hal, Ryen (Anvers) et le Burbant. C’est ce dernier qui nous intéresse, coincé entre Escaut, Haine et Maerke. Il est probable que son chef-lieu se trouvait à Chièvres (pas de preuve écrite réelle). Condé en dépendait, ainsi que les villes qui apparurent plus tard : Leuze, Ath, Lessines, Enghien. Ce Brabant n’a évidemment rien à voir avec le futur duché de Brabant dont le berceau sera le comté de Louvain (Xème siècle).

Les campagnes

La majorité de la population vivait dans les campagnes, loin des conflits intrafamiliaux dynastiques. Francs et Gallo-Romains s’étaient vite mélangés. Ils détenaient des petits domaines agricoles où ils vivaient en quasi-autarcie (« économie de subsistance »), le commerce des surplus et la monnaie ayant presque disparu. On n’était plus, depuis le milieu du IIIème siècle, dans l’opulence de la pax romana. De plus, un refroidissement climatique, des famines et des épidémies réduisirent encore la démographie aux Vème et VIème siècles. On sait que le nombre de ces fermes avait été drastiquement réduit. La forêt avait repris ses droits en maints endroits, notamment sur les versants des vallées. Le fond de celles-ci se répartissait en zones marécageuses souvent inondées par les rivières. Les fermes se trouvaient dans les zones habitables, éparpillées. Il semble que quelques hameaux existaient çà et là, peut-être à proximité de la résidence d’un noble à servir.

Dans ce monde rural, on trouvait les trois classes de la société franque:

les aristocrates, des chefs guerriers qui, à l’origine, étaient proches des rois et détenaient des charges militaires et politiques. Favorisés, ils étaient les plus riches et étaient propriétaires de nombreux domaines qu’ils avaient acquis par donations royales, en récompense de leurs loyaux services, ou par achats.     

les petits agriculteurs libres qui faisaient fonctionner vaille que vaille leurs exploitations, qui étaient beaucoup plus à la merci des mauvaises récoltes et qui pouvaient parfois s’endetter, si bien qu’à la fin ils vendaient leur domaine à de plus riches, souvent les aristocrates

les serfs. Ils existaient déjà à l’époque romaine (servi ou esclaves). C’étaient le plus souvent des prisonniers de guerre ou leurs descendants. Ils étaient liés à la terre sur laquelle ils étaient nés. Ils ne pouvaient se marier comme ils le voulaient. Leurs quelques biens, à leur mort, revenaient à leur maître. Ils appartenaient donc au propriétaire du domaine, que celui-ci fût aristocrate ou agriculteur libre.

Les nécropoles franques

Au début de ce chapitre, j’ai particulièrement insisté sur le fait que de nombreux cimetières francs avaient été découverts et fouillés au XIXème et au XXème siècle en vallée de Haine. Ce sont presque les seuls témoignages de cette époque. En effet, les écrits sont très rares. Comme à l’époque romaine (où l’on pratiquait plutôt l’incinération), les Francs (qui pratiquaient surtout l’inhumation) rassemblaient leurs morts dans des nécropoles en dehors de leurs zones d’habitat. Ces défunts étaient accompagnés dans leurs tombes d’un mobilier funéraire qui pouvait renseigner sur leur statut. On y trouvait des armes (guerriers), des bijoux (femmes aisées), des vases en céramique ou des objets banals (petits agriculteurs).

Ces cimetières sont particulièrement fournis autour de Mons (Ciply et Harmignies sont les deux plus gros, Quaregnon, Cuesmes, Nimy, Obourg, Havré, Ghlin, Spiennes, Mesvin, Harvengt, Asquillies) et de Binche (Trivières, Waudrez, Haine-Saint-Paul), ainsi qu’à Elouges (Elouges, Dour) et à Blaton (Blaton, Basècles). Ce qui permet d’émettre des hypothèses quant à l’importance de ces zones. Près de Binche, se trouvait le grand domaine royal d’Estinnes. Mais certaines des grandes nécropoles situées dans cette région pourraient aussi relever des vastes domaines que possédait la famille des « Pépin », maires d’Austrasie, ancêtres de Charlemagne.

Il est possible qu’à Mons il existât aussi un centre de pouvoir ou une concentration particulière de celui-ci, même si l’absence de découverte archéologique et d’écrit ne permet pas de le prouver. On a aussi émis l’idée qu’une résidence royale était située à Wihéries, près d’Elouges.

St Vincent et ses deux fils (Haulchin)

La famille de Madelgaire « Saint-Vincent » possédait des domaines du côté de Strépy-Bracquegnies. Il y serait peut-être né. On l’a parfois dit comte du pagus hainoensis. On a aussi découvert des nécropoles franques à Strépy et Maurage.

Ces nécropoles (certaines, de plusieurs centaines de tombes) sous-entendent une communautarisation de la société rurale, même si celle-ci apparaît à première vue éparpillée dans la campagne. On peut donc imaginer une parcellisation du territoire, chaque parcelle étant administrée par un « chef » de clan, le territoire se partageant en propriétés royales et privées. A la fin de la période mérovingienne (milieu du VIIIème siècle), les premières avaient quasi disparu au profit des secondes, d’ampleur très inégale, car les grands officiers des royaumes détenaient d’immenses domaines.

Toute l’économie franque reposait sur l’agriculture et l’élevage dans les campagnes. Le paysage général restait en fait le même qu’à la fin de l’empire, soit un éparpillement d’exploitations agricoles, petites, moyennes ou grandes. Les villages structurés étaient encore inexistants. Il semble qu’il existait alors quelques hameaux, peut-être à proximité des centres de pouvoir ou des nouvelles fondations religieuses du VIIème siècle (infra). L’habitat était fait de matières périssables comme jadis au néolithique ou du temps des Gaulois. L’outillage était resté celui de l’époque gallo-romaine.

On possède très peu de témoignages de l’habitat franc. Des fouilles intéressantes ont cependant eu lieu à Quaregnon et Quévy.

Evolution aux VIIème et VIIIème siècles

La campagne

Au VIIème siècle, profitant de la petite embellie due à la stabilité du pouvoir royal (période du roi Dagobert, 622-639), l’économie commença à reprendre vigueur. Dans les campagnes, la production augmenta et la démographie progressa. Mais la condition sociale des paysans était fort inégale. Beaucoup de “petits” durent vendre leurs propriétés à des “plus grands”. Ces derniers, souvent l’élite aristocratique proche du pouvoir, mais aussi les abbayes et les évêchés, agrandirent leurs domaines et les accumulèrent. Une classe de paysans anciennement libres et devenus dépendants (et non pas serviles, car ce statut juridique est différent) se développa à l’intérieur même des grands domaines aristocratiques. Ce phénomène va s’accentuer au VIIIème siècle et atteindra son plus grand développement au IXème siècle. Ces grands domaines deviendront alors la norme. On les appela « villas », bien que ne provenant pas directement des opulentes résidences gallo-romaines et ne leur étant pas comparables. Mais ce mot de villa sera à l’origine du mot « village » comme on le verra plus tard.

Une villa franque était habitée par son propriétaire alors qu’à l’époque romaine, celui-ci habitait la ville. Elle comportait un grand bâtiment d’habitation pour sa famille. Autour, se trouvaient les cabanes des serfs, les dépendances (étables, granges, celliers, …), les jardins et vergers, les ateliers de fabrication d’outillage, de vêtements et de poteries, les champs et les prairies, souvent des bois et des étangs.

Le propriétaire gardait pour lui-même une grande parcelle, appelée « réserve », qu’il faisait cultiver par ses serfs. Il lotissait le reste en « tenures » ou « manses » sur lesquelles il plaçait des paysans libres, les « tenanciers ». Ceux-ci devaient lui payer une location (« cens ») et s’acquitter de quelques corvées sur l’ensemble du domaine. Ces tenanciers exploitaient leurs manses pour leur propre subsistance.

Dans les deux derniers siècles de la période franque (VIII-IXème siècles, période carolingienne), le maître (dominus) ou seigneur (senior) parcellisa sa propre réserve (« chasement ») qu’il distribuait à ses serfs, ces non-libres qui lui devaient tout, y compris leur vie. Ce système s’avéra plus rentable. Mis à part le statut juridique, la différence se révéla de plus en plus ténue entre serfs et tenancers libres.

La société était devenue duale. Mais la paix ambiante, de meilleures conditions climatiques, une amélioration des techniques agricoles (la charrue, le collier d’épaule, le fer à cheval et l’étrier, la rotation triennale, le moulin à eau) amenèrent une embellie économique avec une reprise des échanges commerciaux et ses corollaires : augmentation de la démographie, du nombre de familles, du nombre d’exploitations agricoles et transformation progressive du paysage. Tout ceci annonçait la période féodale.

Les villes

Quelques agglomérations commencèrent à se développer grâce à l’artisanat local et au commerce des denrées acheminées sur des marchés.

C’est sans doute à ce moment que Famars commença à perdre son importance au profit de Valenciennes, domaine impérial du temps des Romains (mais sans site d’une réelle importance), domaine royal au temps des Francs, bien situé au bord de l’Escaut pour écouler les marchandises. Une nécropole, occupée aux VIème et VIIème siècles, y a été découverte. L’agglomération qui s’est développée à la fin de la période franque y prospéra grâce à son commerce et son artisanat. La première mention écrite de Valenciennes date de 693. On y frappait monnaie à la période carolingienne.

Il est possible aussi que Chièvres ait commencé à se développer à ce moment. Ce fut certainement le cas des cités épiscopales et scaldiennes de Cambrai et de Tournai, comme ce le fut aussi dans les régions mosane (Namur, Dinant, Huy, Liège) et scaldienne (Gand).   

Quant à Mons, on n’en sait rien. Certaines généalogies rapportent qu’une famille aristocratique franque en portait le nom. Etait-elle installée sur la colline ou à proximité? C’est de cette famille que serait issue l’épouse de Régnier “au long col”, le premier comte héréditaire, au IXème siècle. Peu avant, on sait qu’à Mons fonctionnait un atelier monétaire sous Charles le Chauve. Il en était ainsi également au palais d’Estinnes, qui n’était pourtant pas une ville.

Dès la fin du VIIème siècle, les rois “fainéants” cédèrent le pouvoir aux maires du palais. Ces charges étaient exercées par des membres de grandes familles riches, surtout en Neustrie et Austrasie. On se battait pour en devenir titulaire. En 687, par leur victoire à Tertry, les maires du palais d’Austrasie prirent le dessus sur ceux de Neustrie. Ils étaient de la famille des Pépin (Pippinides), les futurs carolingiens.

La période carolingienne

Charlemagne

Pépin le Bref (751-771) et surtout Charlemagne (771-814) restaurèrent le pouvoir absolu du roi. Ils étendirent leur royaume aux dépens des derniers peuples germaniques indépendants (Lombards, Bavarois, Saxons, Frisons). Le deuxième se fit sacrer empereur, reprenant le rôle des anciens dynastes romains. Il abandonna l’itinérance palatiale pour établir son palais et sa cour à Aix-la-Chapelle. Sous son autorité, il nommait des comtes à la tête de comtés (les anciens pagus). Ils y détenaient un pouvoir judiciaire, militaire, administratif et fiscal. Il nomma aussi des comtes itinérants, les missi dominici, qui répandaient ses lois et ses décisions dans tout l’empire et contrôlaient les comtes locaux. Le nouvel empereur favorisa le commerce par des règlementations, par une réforme de la monnaie, des poids et des mesures, par un contrôle des prix. On vendait du blé, des draps, du cuir, de la pierre, des produits issus de la sidérurgie.

Le commerce et l’artisanat favorisèrent surtout les villes existantes (les portus de Cambrai, Valenciennes, Tournai et ceux de la Meuse), mais ne semblent pas en avoir créé de nouvelles dans la région.

Une grande aristocratie impériale se développa ainsi, issue des grandes familles franques fidèles au roi, pour contrôler la société. C’est elle qui, progressivement, va s’emparer de larges parts du pouvoir car les successeurs de Charlemagne seront de moins en moins à la hauteur.

Expansion du christianisme

Saint-Géry, évêque de Cambrai

Jusqu’ici, la “nouvelle religion” n’avait réellement touché que les rares villes du royaume franc. On a vu, dès le début du VIème siècle, des évêques apparaître à Arras, Cambrai et Tournai. Ceux-ci jouèrent aussi des rôles importants dans la gestion administrative de leurs villes. Ces évêques étendaient leur pouvoir temporel sur des territoires qui correspondaient aux anciennes cités gallo-romaines. Celui de Cambrai eut à administrer l’ancienne cité des Nerviens qui s’étendait depuis le Cambrésis jusqu’à la région anversoise, à l’est de l’Escaut. Les évêchés étaient groupés en archevêchés qui reprenaient les limites des anciennes provinces romaines. Celui de Cambrai s’inscrivait dans l’archevêché de Reims. Tout le Hainaut et le Brabant restèrent dans le diocèse de Cambrai jusqu’en 1803.

La papauté, alors, était peu influente. Elle consentit dès la fin du VIème siècle à ce que les évêques soient choisis et nommés par les rois mérovingiens. Ces évêques devenaient une source de légitimité du pouvoir, une caution morale, mais aussi un instrument du pouvoir. Ils étaient issus de l’aristocratie franque et étaient les détenteurs de la culture.

Ce sont les rois qui organisaient des conciles.

Seules les familles royales et les élites aristocratiques étaient chrétiennes catholiques. Mais dans les campagnes, les paysans restaient attachés à leurs divinités païennes et à leurs superstitions. Des basiliques furent construites dans les villes, souvent dédiées à des martyrs locaux ou aux premiers évêques. Le culte des saints (et ses bénéfices) prirent de l’essor dès le VIème siècle. Quelques chapelles apparurent dans les domaines des nobles convertis.

Au VIIème siècle, le pape, les évêques, mais aussi les rois et les aristocrates voulurent implanter plus profondément le christianisme dans l’ensemble de la population. Ils envoyèrent ou firent venir de l’étranger (surtout d’Irlande) des évangélisateurs. Le roi Dagobert, l’évêque Aubert de Cambrai et Pépin de Landen, maire du palais d’Austrasie, furent à l’initiative de nombreuses fondations d’abbayes.

Wasnon, d’origine irlandaise, s’installa vers 633 à Condatum (Condé), endroit jusque-là inhabité et marécageux, au confluent de la Haine et de l’Escaut. Il fonda un petit oratoire dédié à Notre-Dame.  Cette abbaye fut richement dotée par les rois Dagobert et Sigebert III. Elle aurait été agrandie au IXème siècle par Gérard de Roussillon, comte du pagus de Brabant dans lequel ce site, au nord de la Haine, se situait.

Saint-Landelin (reliquaire)

Landelin, un moine d’Artois au service de l’évêque Aubert de Cambrai, fondateur des abbayes de Lobbes, d’Aulne et de Wallers, se fit octroyer une terre à Crispinum (Crespin), vers 640, dans un endroit boisé et humide. Ses disciples fondèrent aussi des couvents, comme celui de Monasteriolum (Montroeul-sur-Haine), fondé vers 650 et qui fonctionna jusqu’au XIIIème siècle.

Si, selon la tradition, Ghislain, d’origine athénienne, a fondé vers 648 un monastère dans les marais bordant la Haine, à Ursindongus (plus tard appelé Saint-Ghislain), celui-ci ne s’est pas développé avant le Xème siècle, laissant planer de grandes interrogations sur la véracité de la légende. En effet, celle-ci ne fut écrite qu’au Xème siècle et aucun document antérieur n’atteste les faits qui y sont relatés. Une institution a probablement existé auparavant en ce lieu, dont on n’a aucune précision et qui fera problème plus tard. Il n’empêche que, par la suite, cette abbaye deviendra une des plus riches de la région.

Une famille noble joua un rôle important dans ces fondations. Madelgaire (de Strépy?) aida à fonder un monastère à Hautmont, avant d’aller faire de même, vers 670 à Soignies. Son épouse, Waudru, en fonda un vers 650/660 sur la colline de Castrilocus (Mons). Et enfin Aldegonde, la soeur cadette de celle-ci, fonda celui de Maubeuge. Ces deux soeurs étaient les filles de Waldebert, un intendant de grands domaines royaux de Neustrie résidant à Cousolre (près de Beaumont). Il s’agissait de monastères pour religieuses. A proximité, vinrent s’installer des institutions pour hommes.

Sainte-Waudru (collégiale de Mons)

Dans la région, apparurent d’autres institutions monastiques : à Hasnon et Elnone (Saint Amand) sur la Scarpe, à Denain, à Maroilles, à Leuze et Antoing. A Nivelles, dans le grand domaine familial, Gertrude, fille de Pépin de Landen, maire du palais d’Austrasie, fonda aussi une abbaye.

La région de Valenciennes fut évangélisée au VIIIème siècle par Saint-Saulve, qui mourut assassiné et à qui on dédia un culte. Saint-Géry, évêque de Cambrai, se livra aussi à des missions d’évangélisation, ce qui pourrait expliquer le nombre de paroisses qui lui sont dédiées. Il aurait lui-même fait construire une chapelle à Boussu. Si c’est réel, cela signifierait qu’il y existait déjà une communauté et, peut-être, une résidence noble.

Au Roeulx, un moine irlandais du nom de Feuillien vint aussi construire un oratoire dans un domaine boisé vers 655. Il fut lui aussi assassiné et devint l’objet d’un culte.

Toutes ces fondations se firent en quelques décennies. On parla de “siècle des saints”. Elles furent encouragées par les autorités politiques et furent dotées de nombreuses terres dès cette époque, mais aussi dans les siècles suivants. Certaines devinrent très riches par la mise en valeur de ces domaines fonciers.

L’abbaye Sainte-Waudru de Mons, en quelques décennies, posséda des domaines-villas à Nimy, Maisières, Obourg, Quévy, Quaregnon, Jemappes, Cuesmes, Frameries, Bray, Estinnes, Ville-sur-Haine, Epinois et Waudrez. Plus tard, elle se trouva encore à la tête de Braine-le-Comte, de Braine-le-Château, de Hal, d’Herentals, de Bouvignes… Une partie de ces domaines venait de la famille de Waudru, une autre de celle de sa cousine Aye qui lui succéda, puis, enfin, de dons royaux.

Dès l’origine, le roi Dagobert, ou son successeur, avait donné à Saint-Ghislain des domaines à Hornu, Wasmuel, Wasmes, Warquignies, peut-être aussi à Dour, Frameries, Roisin. Vers 800, un aristocrate proche de la famille de Charlemagne, un certain Elephas, qui devint abbé à Saint-Ghislain, fit don de ses domaines de Wihéries et d’Elouges. Au Moyen-Age, on trouve des domaines fermiers de l’abbaye dans presque tous les villages de la région.

Ces abbayes devinrent aussi des acteurs politiques dans la région pendant toute la période féodale. Cependant, les rois, les maires et les comtes s’arrogèrent les pouvoirs temporels (et non spirituels) et les bénéfices qui les accompagnaient (une partie des revenus de la terre). Ils en devenaient les “avoués”.  C’est eux qui nommaient les abbés, souvent issus de leurs familles. On organisa des cultes et des pèlerinages auprès des reliques ou des tombes des saints fondateurs, ce qui constituait aussi une source d’enrichissement des abbayes.

C’est ainsi que, dès 690, les maires d’Austrasie « contrôlaient » tous les monastères de leur royaume. Charlemagne fit de toutes les abbayes de son empire des « abbayes royales », sous sa seule autorité. L’abbé devint un fonctionnaire à son service. C’est pourquoi il fut parfois laïc.  

Les premiers monastères choisissaient leur mode de vie. Dans d’autres parties d’Europe, on vit des « règles monastiques » apparaître, notamment celle de Saint-Benoit de Nursie dont les suiveurs étaient appelés « bénédictins ». Jusqu’à la période carolingienne, on a peu de renseignements sur les règles suivies dans les abbayes hennuyères. Par contre, un concile organisé en 816 à Aix-la-Chapelle par l’empereur Louis le Pieux (814-840) et son conseiller, Saint Benoit d’Aniane, définirent une Règle de vie unique, inspirée de celle des bénédictins. Les institutions qui la trouvaient trop exigeante pouvaient la refuser et optaient alors pour une Règle canoniale, à l’origine de la fondation d’un chapitre de chanoines. Ce fut le cas pour les cathédrales et aussi, par la suite, pour une grande partie des abbayes (Mons, Maubeuge, Crespin, Soignies, Saint-Saulve…).

A l’époque carolingienne, les monastères devinrent aussi des lieux de passage, propices aux échanges et à la redistribution de marchandises. Certains développèrent des centres d’études avec des scriptoriums et des bibliothèques (Lobbes, Saint-Amand, mais peu en Hainaut). A ce titre, la cour d’Aix-la-Chapelle avait également atteint un haut niveau culturel. On parla de « renaissance carolingienne ».

Ces monastères attirèrent des hommes et des femmes qui s’installèrent à proximité, fondant ainsi des hameaux ou des petits villages. Le phénomène fut cependant très lent. Quelques villes apparurent plus tard (Mons, Maubeuge, Saint-Ghislain, Soignies, Le Roeulx), alors que d’autres communautés restèrent rurales (Crespin, Condé, Lobbes). Les défrichements des bois et des forêts reprirent au VIIIème siècle, particulièrement sur les domaines abbatiaux.

Les premières paroisses apparurent sous Pépin le Bref et Charlemagne dans des petites communautés rurales, le phénomène prenant plus d’ampleur par la suite.

Tout comme fut très progressive la christianisation complète de tout le royaume. Il semble qu’elle ne fut achevée qu’après Charlemagne (771-814). Ce dernier se fit sacrer empereur par le pape qu’il venait de délivrer de la menace des Lombards. Il en profita pour s’imposer comme le défenseur de la chrétienté et légitimer ses conquêtes. Le pape et les évêques étaient les chefs spirituels dans l’empire. Le roi en était le chef temporel. Ses nobles devaient participer à la défense de la paix et à la protection des populations. Le haut-clergé (chapitres des cathédrales, monastères) émergeait en même temps comme une classe sociale à part entière.

Les voies de communication

Elles étaient empruntées par les autorités qui se déplaçaient, par leurs armées et par les quelques marchands qui circulaient. Les Francs ont conservé les chaussées romaines et leurs diverticulums. On dit même qu’une de leurs reines, Brunehaut, à la fin du VIème siècle, prit l’initiative d’en restaurer quelques-unes. D’où le nom qu’ont conservé certains tronçons de ces antiques chaussées. Mais tout ceci ne serait que légende apparue quelques siècles plus tard.

Les résidences palatiales étaient probablement situées à proximité des chaussées romaines, comme ce fut le cas à Estinnes et Valenciennes.

Avec la fondation des monastères, de nouveaux pôles de développement apparurent, même si ce fut très progressif. Et de nouveaux chemins furent améliorés ou aménagés pour joindre Cambrai à Valenciennes, à Condé et à Crespin, à Maubeuge et Hautmont, à Saint-Ghislain et Mons, puis à la région de Binche et de Lobbes.

La fin de la période carolingienne

Louis « le Pieux », dit aussi « le Débonnaire » (814-840), succéda à son père Charlemagne à la tête de l’empire. Hormis par quelques réformes dans la continuation de celles de son père, son règne fut marqué par les conflits entre ses fils, issus de deux épouses successives, pour l’héritage. Les péripéties y furent nombreuses.

843 – le partage de Verdun

Après sa mort, les trois fils restants, après de vaines batailles, se résolurent à signer un Traité à Verdun en 843, traité qui partagea le vaste empire. A Louis « le Germanique » alla la partie orientale (Francia orientalis qui évoluera vers l’empire germanique). A Charles « le Chauve » revint la partie occidentale (Francia occidentalis qui devint le royaume de France), située à l’ouest de l’Escaut dans sa partie nord. La partie centrale fut dévolue à l’aîné, Lothaire I, qui reçut le titre d’empereur et un territoire situé entre Escaut et Rhin, se continuant, au sud, à l’est de la Saône et du Rhône, comprenant aussi toute la moitié septentrionale de l’Italie. Notre vallée de Haine se situait dans cette Francia Media.

Lothaire I mourut. Son royaume fut partagé entre ses trois fils, dont Lothaire II qui reçut la partie nord, appelée « Lotharingie ». Lothaire II mourut sans héritier. Ses deux oncles, Louis et Charles, étant encore vivants, se disputèrent son royaume. Ils finirent par se le partager au Traité de Meersen en 870. Notre vallée de Haine, qui se partageait entre les Pagus Hainoensis et Pagus Brabanctensis, passa du côté français. Pour peu de temps, car les successeurs des deux rois se disputèrent à nouveau. Les Français étant affaiblis par les invasions vikings, les Germaniques récupérèrent l’entièreté de la Lotharingie et donc « nos » deux petits comtés, au Traité de Ribemont en 880. Situation qui perdura jusqu’à la mort de Charles Quint.

La Lotharingie (avec la vallée de la Haine) fait partie du royaume franc oriental (Germanie)

La faiblesse du pouvoir politique des rois encouragea le pape, à Rome, à restaurer son autorité sur l’Eglise d’Occident, donc sur les évêques. Et ceux-ci furent poussés à gagner de l’autonomie par rapport aux laïcs qui, rappelons-le, détenaient le pouvoir temporel sur les lieux de culte et les abbayes. Cette lutte d’influence va prendre beaucoup d’ampleur dans les siècles suivants. On la suivra en Hainaut.

10. Empire Romain (deuxième partie)

Le Bas-Empire Romain (de vers 250 à 476)
La loi historique des cycles n’a pas épargné l’empire romain, du moins dans sa partie occidentale. La Gaule, et particulièrement sa partie septentrionale, en fut victime.

Une crise politico-économique
Jusque 235, des dynasties familiales d’empereurs ont très bien, ou relativement bien, administré leur grand territoire. Puis, le pouvoir, à Rome, est devenu instable. Des généraux se sont succédé. Des usurpateurs les ont contestés. Simultanément, les échanges commerciaux ont décliné. Les endettements se sont accumulés. La monnaie fut dévaluée. Les impôts augmentèrent, et ,de même, les prix des denrées . Une grande crise économique et financière s’était installée au milieu du IIIème siècle. De plus, des épidémies décimèrent les populations.
Plus près de chez nous, la mer “transgressait” (pénétrait sur les terres) sur plusieurs dizaines de kilomètres au nord de Boulogne et de notre côte actuelle, chez les Morins et les Ménapiens, anéantissant le commerce du sel et celui de la pêche.

Les premiers raids barbares
Enfin, la pression des peuples Germains sur le Rhin et le Danube s’intensifiait. De 249 à 286, on a commencé à voir déferler des bandes de Francs et d’Alamans en Gaule du Nord. Elles empruntaient ces “autoroutes” de jadis, les chaussées romaines. Elles pillaient tout sur leur passage, saccageaient les villes et les vicus (une septantaine de bourgades), les villas et les fermes. Elles passaient par vagues et s’aventurèrent même jusqu’à Amiens.

Le déclin
Elles furent finalement repoussées au-delà du fleuve. Une paix relative revint pendant le IVème siècle. Mais la crise et les raids germains eurent raison de toute l’économie du nord de la Gaule. Dans la deuxième moitié du IIIème siècle et au début du IVème, de nombreuses villas et fermes disparurent. La démographie déclina. Les échanges commerciaux périclitèrent de façon abrupte. Les endettés vendaient leurs propriétés aux plus riches. Ceux-ci se retrouvaient à la tête de grands domaines.

La plupart des fouilles effectuées et les découvertes des “amateurs” prouvent que beaucoup d’habitats furent détruits ou laissés à l’abandon à cette époque. Les monnaies trouvées dans les sépultures ou les vestiges vont rarement au-delà de la fin du IIIème siècle et du début du IVème siècle. Des “trésors” ont été découverts dans les champs, caissettes remplies de monnaies et de médailles, cachées par leurs propriétaires avant l’arrivée des assaillants et puis abandonnées sous l’effet de la panique. On en trouva à Ghlin, à Crespin et à Montroeul-sur-Haine.
Des vicus et des villes périclitèrent, se ruralisèrent ou disparurent. En tout cas, elles perdirent leur rôle de centres commerciaux et même politiques. Bavay fut la grande victime de cette période. De la ville prestigieuse des siècles précédents, il ne restait plus qu’une citadelle ceignant son forum. Il fallait assurer la défense en vue de raids futurs. Le long des chaussées, on construisit des fortins, comme à Givry et à Binche.


Cambrai et Tournai furent relativement épargnés. Peut-être mieux défendus. Le pouvoir politique de Bavay (cité des Nerviens) fut transféré à Camaracum (Cambrai). Celui de Cassel (cité des Ménapiens) passa à Tornacum (Tournai).
A Fanum Martis (Famars, près de Valenciennes), on installa le quartier général des troupes auxiliaires (mercenaires non romains). Des détails à propos de ces villes peuvent être trouvés dans les chapitres spécifiques qui leur sont consacrés.
On arrive ainsi, à la fin du IVème siècle, à une situation assez proche de la désolation.

Pourtant, quelques décennies plus tôt, l’empereur, Dioclétien (284-305), s’était attelé à de grandes réformes pour restaurer la paix et la prospérité de l’empire. C’est ainsi qu’il pratiqua une autre répartition des provinces. Celle de Belgique fut partagée en Belgique Première (capitale : Trèves) et en Belgique Seconde (capitale : Reims) à laquelle appartenait la cité des Nerviens. Ses successeurs se querellèrent à nouveau et ce fut l’empereur Constantin (306-337) qui ramena la paix et, avec elle, une petite reprise de l’économie et du commerce.

La fin d’un grand empire romain
L’empereur Théodose (379-395) décida de partager son empire entre ses deux fils. L’Oriental (capitale: Constantinople/Byzance) sera mieux géré et s’imposera encore pendant plus de mille ans. L’empire d’Occident verra à sa tête des empereurs incapables, fantoches aux mains de généraux ambitieux qui ne purent pas contenir, au Vème siècle, des pénétrations de plus en plus dévastatrices des peuples Germains en-deçà du Rhin et du Danube.

Les bouleversements du Vème siècle
Ce qu’on a appelé “les grandes invasions” trouva son point culminant à l’hiver 406-407, quand des peuples entiers de Vandales, de Suèves et d’Alains déferlèrent dans tout le nord de la Gaule, dévastant tout sur leur passage. Fuyant de nouvelles hordes qui venaient de l’est (les Huns), ils étaient aussi à la recherche de terres fertiles au climat accueillant. Ces peuples continuèrent leur route, traversant toute la Gaule, saccageant de nombreuses villes , pour s’en aller s’installer dans la péninsule ibérique et ensuite en Afrique du Nord.

D’autres peuples, qui ne concernent pas notre région, ont également migré vers l’Italie, l’Alsace, la Suisse et la Gaule. Ce sont les Wisigoths, les Ostrogoths, les Alamans et les Burgondes. Progressivement, dans cet empire romain occidental en déliquescence, vont naître des royaumes “romano-barbares”, officiellement inféodés à l’empereur, en réalité totalement indépendants.

L’installation des Francs
Ce sont cependant les Francs qui jouèrent le rôle le plus important dans nos régions. On l’a vu, ils avaient déjà tenté à plusieurs reprises de venir s’installer chez nous. Des empereurs avaient permis à certaines familles et clans de le faire dans des lieux abandonnés en Gaule Belgique. Un gros groupe fut implanté de part et d’autre du Rhin au nord (Toxandrie/Campine et Batavie/Sud des actuels Pays-Bas). Nombreux furent ceux que les Romains engagèrent dans leurs corps auxiliaires où ils se virent confier les plus hauts grades.

La grande vague déferlante de 406-407 avait complètement anéanti toute défense romaine. Dans le vide laissé par les premiers migrants, les Francs commencèrent, à partir de 430, à venir s’installer dans le nord de la Gaule. C’étaient avant tout des guerriers, répartis en tribus et clans. Les autorités gallo-romaines, abandonnées par Rome, “s’arrangèrent” avec eux (foedus). On se partagea les divers pouvoirs. L’administratif resta aux gallo-romains dans les quelques villes qui avaient résisté (Famars, Cambrai et Tournai). La défense militaire (contre d’éventuels nouveaux assaillants) fut confiée aux nouveaux arrivants. Le petit peuple s’installa dans les fermes abandonnées ou usurpées par la force. Les chefs et leurs officiers, admiratifs et envieux du mode de vie romain, élurent résidence dans les villes, dans les palais et les belles villas abandonnées. On estime à 15-25% la proportion de Francs dans l’ensemble de la population du nord de la Gaule.
Cet apport de bras vigoureux relança un peu l’agriculture dans les campagnes alors que les rares villes continuaient à stagner.

Il y avait deux grands peuples Francs. Les Rhénans (ou Ripuaires) qui arrivaient de l’Est et qui s’installèrent dans les provinces de Belgique Première (Trèves), de Germanie Première (Cologne) et de Germanie Seconde. Les Saliens, qui arrivaient surtout du nord, occupèrent la Belgique Seconde. On connaît un roi qui s’installa à Cambrai (Ragnacaire) et un autre, plus connu, qui s’installa à Tournai: Clodion.

Les Romains, en Gaule, n’occupaient plus qu’un petit territoire autour et au nord de Paris. Des généraux y exerçaient le pouvoir, officiellement sous l’autorité de l’empereur de Rome, déménagé à Ravenne après le sac de la capitale impériale en 410. En réalité, ils avaient les mains libres et tentaient de collaborer avec les “Barbares”. C’est ainsi qu’une coalition repoussa définitivement les Huns d’Attila en 452 aux Champs Catalauniques, près de Reims. Childéric, petit-fils de Clodion et père de Clovis, s’y distingua.

La chute de l’empire romain d’Occident
Ce qui devait arriver arriva. Le dernier empereur romain d’Occident, Romulus Augustule, fut déposé par Odoacre, un général germain, en 476. En fait, tout cet empire était à ce moment divisé en royaumes romano-barbares. Près de Paris, un général romain, Syagrius, résistait encore. Pas longtemps…

Clovis
Il fut lui aussi balayé… par Clovis. Ce descendant de Clodion, de la dynastie mérovingienne des Francs Saliens, voulut construire un royaume à la hauteur de ses ambitions. Dans une Gaule divisée et partiellement aux mains de peuples germains christianisés, mais adeptes de l’hérésie arienne, Clovis sut mettre de son côté le haut-clergé gallo-romain fidèle au pape de Rome. Son plus chaud partisan fut Remi, l’évêque de Reims, qui sut lui rallier les élites gallo-romaines de toute la Gaule en échange de la conversion du roi et de ses élites.

Le reste fut une question d’intelligence militaire. Clovis savait y faire. En quelques années, il étendit son royaume de Tournai vers le nord-est de la Gaule (Alamans, Francs Ripuaires), puis vers le centre de la Gaule (Romains et Burgondes, ces derniers qu’il ne défit pas complètement) et enfin vers le sud-ouest de celle-ci (Wisigoths). Quasi toute la Gaule, du Rhin aux Pyrénées, était à ses pieds. Le reste sera l’affaire de ses successeurs. Clovis déplaça sa capitale de Tournai à Paris.

Et en vallée de Haine?
J’ai surtout parlé d’histoire générale dans ce chapitre, mais on ne sait quasi rien de l’histoire régionale. Ce qu’on peut dire, c’est que la vallée de la Haine resta essentiellement une zone rurale agricole, dépeuplée fortement dans un premier temps, puis un peu repeuplée avec l’arrivée des Francs. Les deux peuples se sont vite mélangés. On en reparlera au chapitre suivant.

Le pagus fanomartensis, embryon du futur comté de Hainaut
Aucune ville n’existait alors dans la cité des Nerviens, depuis la disparition de Bavay. Seule Famars avait résisté. Cette agglomération, essentiellement militaire à la fin de l’empire, devint un centre de pouvoir. Les Romains avaient déjà divisé leurs cités en pagus (équivalents de comtés). Mais on est mal documenté sur le rôle exact de ceux-ci dans l’empire. Les Francs supprimèrent les cités, tout en conservant les villes-capitales où le pouvoir était partagé avec les Gallo-Romains.Les pagus prirent de l’importance. Famars devint capitale d’un de ceux-ci. Il est important de le savoir, car il est à l’origine du futur comté de Hainaut.

Les lents débuts du christianisme
Le christianisme pénétra peu dans le nord de la Gaule. On cite, à la fin du IIIème siècle, l’évêque-évangélisateur Saint Piat qui vint prêcher à Tournai. Il fut martyrisé lors des grandes persécutions de Dioclétien.
Puis l’Edit de Constantin, en 313, décréta une tolérance officielle vis-à-vis du christianisme. Cette nouvelle religion commença à s’étendre dans tout l’empire. En Gaule, elle ne toucha que quelques élites urbaines. Des “églises” (on appelait ainsi les communautés de chrétiens) naquirent dans les villes, d’abord au sud, puis, progressivement, au nord.

Quand Clovis prit le pouvoir, seules quelques villes du nord avaient un évêque, comme Remi à Reims. Dans les années qui suivirent, on vit apparaître des évêques à Arras, puis à Cambrai, à Noyon et à Tournai. Ces évêques, qui faisaient partie de l’aristocratie gallo-romaine, et donc de l’élite intellectuelle, exercèrent sur les villes un pouvoir administratif, en plus de leur pouvoir spirituel. Dans sa grande majorité, le peuple des campagnes resta païen.

Un début de Moyen-Age bien triste…
Avec la fin de l’empire et la prise de pouvoir des Francs, nous sommes entrés dans le Premier Moyen-Age (ou Haut Moyen-Age), caractérisé par un état de pauvreté économique. Les échanges commerciaux avaient quasi cessé. Le petit peuple vivait en autarcie. La monnaie avait disparu. On vivait du troc. Cette situation va durer quelques siècles, avec cependant quelques embellies plutôt tardives…

9. Sous l’empire romain (1ère partie)

Le Haut-Empire romain (de -52 jusque vers 250)
Il a fallu six ans (de -58 à -52) pour que Jules César et ses armées viennent à bout de la résistance gauloise. Nos Nerviens semblent y avoir laissé de nombreuses vies, mais peut-être pas autant que les “Commentaires” du célèbre général romain ne semblent l’indiquer.

La pax romana
Ces “Gallo-Romains” vont connaître pendant trois siècles une période de paix et de grande prospérité. En effet, leur territoire occupe une position stratégique sur les voies de circulation, entre la Manche (et au-delà, les îles Britanniques) et le Rhin, où les Romains vont cantonner de grosses troupes défensives qu’il va falloir approvisionner en vivres, chevaux et ressources diverses.

Revenons aux premiers temps de la conquête romaine . Pendant quelques décennies, les conquérants vont laisser quelques garnisons par-ci par- là, et quand ils seront sûrs que toute la zone est pacifiée, ils vont les déplacer vers les frontières (limes). Les paysans-guerriers Nerviens qui ont survécu à la conquête et aux répressions des révoltes vont retourner dans leurs fermes gauloises et reprendre le travail des champs. Ils entrent ainsi dans la nouvelle économie créée par la nouvelle situation politique. Leurs élites, qui ont accepté de se soumettre, vont se fondre dans le “moule culturel” romain et être éduquées “à la romaine” pour remplir les nombreuses tâches administratives que le nouveau pouvoir met en place. Elles vont adopter sa langue (le latin), son mode de vie et le même goût du luxe.

Le paysage

Les fermiers conservent leurs terres. Celles qui ont été abandonnées sont annexées par les Romains et rattachées au domaine impérial (fiscus imperialis). Une partie d’entre elles sont données à quelques légionnaires romains à la retraite, qui s’y installent. Ce sont des colons. Il ne semble pas qu’ils furent très nombreux chez nous. D’autres seront progressivement allouées, en signe de récompense, aux nouvelles élites politiques et administratives. Certaines aussi seront achetées par celles-ci.
Le paysage va se couvrir d’un très grand nombre d’exploitations agricoles, d’importance inégale. Les anciennes fermes gauloises vont continuer de fonctionner. Elles sont encore construites en matières périssables, qu’il s’agisse des bâtiments d’ habitation ou des annexes (greniers, silos, écuries, étables, forge, …). Vont alors apparaître, comme dans les régions méridionales, les villas romaines, construites en pierres et en briques (matériaux qu’on ne va pas toujours retrouver dans les fouilles archéologiques, car ils auront été réutilisés par la suite), avec des toits de tuiles (tegulae, imbrices) que les archéologues vont souvent retrouver sous forme de fragments. Ces villas,destinées aux plus riches (autorités, magistrats, gros négociants), vont s’orner de mosaïques, de peintures, de stucs et contiendront souvent des sculptures et de la vaisselle de valeur, importées des régions méridionales, comme les céramiques sigillées.

La romanité en vallée de la Haine
Peu de ces villas, dans la vallée de la Haine, ont été méthodiquement fouillées. On relève surtout celles de Nouvelles, d’Estinnes et de Blicquy. En dehors de la région, il faut noter aussi les villas de Solre-sur-Sambre, de Ghislenghien et de Meslin-l’Evêque, ainsi que de Bruyelle.

Pour le reste, des archéologues amateurs, des passants, des paysans et des jardiniers ont souvent mis au jour les vestiges d’un habitat gallo-romain ou d’une structure artisanale (tuiles, céramiques, objets en fer ou en bronze, monnaies, fours, meules, …), mais en si petites quantités qu’il est impossible d’en tirer des conclusions quant à l’importance de l’exploitation.
Si l’on s’intéresse à l’histoire des villages, presque chacun d’ eux a fait l’objet de telles découvertes, ce qui laisse à penser qu’il existait un réseau dense de fermes ou de villas dans notre région, éloignées l’une de l’autre de 2 ou 3 km. Il faut éviter d’en conclure que ces villas furent à l’origine de nos villages actuels. C’est peut-être vrai pour certaines (Quiévrain, Elouges, …), encore que l’on n’arrive pas à prouver une continuité absolue dans le temps entre villas gallo-romaines, résidences franques et une communauté villageoise implantée à proximité. En réalité, la plupart ont disparu. Nous en reparlerons au chapitre suivant.
Reprendre ici une liste des villages où des indices d’habitat ont été trouvés serait fastidieux. Tous ces éléments sont décrits dans les chapitres qui sont consacrés à chaque village et ville.

Le paysage rural qui vient d’être décrit est donc celui qui concernait la très grande majorité des “Gallo-nervo-romains”. Et, mis à part le phénomène “villa” et la grande prospérité des fermes, dus à une forte intensification des échanges commerciaux, ce cadre de vie reste encore proche de celui des Nerviens et même des populations des âges de métaux.

La grande nouveauté, c’est le nouvel encadrement romain. Revenons-y.
Sur le plan politique, l’époque de la conquête (-58 à -52) eut lieu lors des derniers soubresauts des guerres civiles à Rome. Jules César lui-même n’en profita pas puisqu’il fut assassiné peu de temps après. Les luttes continuèrent jusqu’en -29, lorsque son fils adoptif, Octave, prit le pouvoir à Rome et modifia la forme du gouvernement en instituant une espèce de dictature éclairée qu’on appelle Empire Romain. Eclairée, car lui et une partie de ses successeurs vont assurer, avec le Sénat, dans un très vaste empire qui entoure la Méditerranée, la paix, la prospérité et une manière de vivre commune , le tout basé sur des échanges commerciaux, religieux et culturels. C’est à partir d’Octave “Auguste” que les Gaulois commencèrent à ressentir la romanisation, avec la gouvernance d’un général de l’empereur, en fait, son ami et gendre, Vipsanius Agrippa.

La province de Belgique
Rome a toujours fait de ses conquêtes des provinces qui sont administrées comme elle l’était elle-même, en y instaurant le même type de pouvoir politique, judiciaire, religieux et commercial. La Gaule ne va pas y échapper. Elle fut divisée en plusieurs provinces. Notre vallée de Haine se situa dans celle des Belges (provincia belgica) qui s’étendait du Rhin et de la Mer du Nord jusqu’à la Seine et dont la capitale était Durocorturum (Reims) où séjournait un gouverneur qui organisait la justice, les finances, les travaux publics, … L’impôt était perçu par un procurateur général qui résidait à Trevevorum (Trèves). Il était établi en fonction de la propriété foncière déterminée par des censitores (censeurs). D’autres taxes étaient prélevées aux frontières, sur les héritages et sur les affranchissements d’esclaves.

La Cité des Nerviens
Chaque province fut divisée en cités (civitas). Le génie romain, c’est d’avoir respecté les différents peuples gaulois et, plus ou moins, les limites de leurs territoires. Nos “ancêtres” ont donc vécu dans la Cité des Nerviens (Civitas Nerviorum). Elle était dirigée par un conseil de décurions, aidés de magistrats choisis dans l’élite gauloise.
Pour rappel, la cité des Nerviens s’étendait du Cambrésis, au sud, à la région d’Anvers, au nord, de l’Escaut à l’Ouest à une ligne qui traversait la forêt charbonnière, à l’est.

Carte du nord de la Gaule

Bavay
Il fallait une capitale à cette cité, pour y concentrer tous les pouvoirs régionaux (magistratures diverses, justice, fiscalité, centre religieux, centre artisanal et commercial). A la différence de bon nombre d’autres peuples gaulois, nous avons vu que les Nerviens ne semblaient pas avoir une réelle capitale. Qu’à cela ne tienne, les Romains en ont fondé une: Bagacum Nerviorum (Bavay). Il semble que rien d’important n’existait à cet endroit auparavant, malgré toutes les légendes qui ont couru par la suite. On y a aménagé une ville “à la romaine”, avec son forum, son quadrillage de rues, sa basilique (pour la justice et le commerce), son temple officiel, ses bureaux, ses boutiques, ses ateliers, etc… Tout cela de novo. Bavay fut ainsi la première ville que le futur Hainaut a connue. Tout cela est décrit et développé dans le chapitre consacré à cette ville.

Les voies de communication romaines
La situation leur a paru intéressante sur ce plateau qui domine les vallées du Moyen-Escaut, de la Haine et de la Haute-Sambre. D’autant plus qu’ils en ont fait un noeud routier. De Bavay partaient sept chaussées romaines. Des voies de circulation existaient naturellement avant leur arrivée. Comment d’ailleurs les légions auraient-elles pu se déplacer aussi facilement ? Et puis les Gaulois n’étaient pas aussi retardés qu’on a bien voulu le décrire dans le passé. Ils étaient depuis un ou deux siècles en contact avec leurs futurs conquérants.

Mais il fallait faciliter le trafic routier (et fluvial) pour permettre aux troupes de se déplacer plus vite avec leurs charrois, pour améliorer le transport des marchandises, des productions, locales et importées du sud, pour accélérer les courriers (Cursus publicus) et les déplacements des autorités. Bavay se situait sur une grande voie de communication qui allait de Boulogne, port militaire et commercial sur la Manche, fondé par les Romains pour aller en Grande Bretagne, jusqu’à Cologne, colonie fondée sur le Rhin, où se trouvait le commandement militaire de toutes les garnisons qui gardaient la frontière face à la Germanie.

Des relais routiers (vicus)
Ces chaussées romaines, qui ont sans doute été en partie construites sur des voies plus anciennes, ont joué un rôle capital dans le développement des régions traversées et notamment celle qui nous concerne. Il faut savoir qu’avec l’aménagement des routes, les Romains (ce sont souvent les militaires qui construisaient les chaussées) édifiaient, tous les 25-30km, des points-relais (mansio, mutatio) où les voyageurs pouvaient trouver de quoi se restaurer, se loger, acheter, changer ou entretenir leurs montures. Ces centres se développèrent en petites agglomérations (vicus), où ateliers d’artisans (forges, potiers, boucheries, boulangeries) et boutiques de commerçants s’installèrent. On y organisait un marché où les paysans des environs venaient écouler leurs produits de culture et d’élevage. Ces vicus attiraient les populations des alentours. Des cérémonies religieuses, des fêtes et des manifestations culturelles pouvaient y être organisées.

Certains vicus étaient admirablement bien situés au croisement d’une chaussée et d’un cours d’eau navigable (ne fut-ce que pour des petites embarcations à fond plat). C’est ainsi que naquirent deux agglomérations qui devinrent plus tard des villes. Elles ne sont situées ni en vallée de Haine, ni même dans le futur Hainaut, mais il est important de les citer pour les rôles qu’elles joueront plus tard: Cambrai et Tournai.
Les chaussées ont commencé à être aménagées dans les trois dernières décennies avant J.C. Il en reste encore aujourd’hui de nombreux tronçons, car elles furent encore empruntées pendant des siècles. La légende veut qu’une reine franque, Brunehaut, les ait fait rénover au VIème siècle, ce qui est aujourd’hui mis en doute par les historiens. Il n’empêche, elle a laissé son nom à beaucoup de rues et de chemins. Une statue a même été érigée à Bavay au XIXème siècle au croisement des sept chaussées.

Quels sont ces vicus qui eurent une certaine importance dans cette période gallo-romaine ? Ils se sont tous développés dans les deux premiers siècles de notre ère.

Sur la chaussée, allant vers Turnacum (Tournai, et plus loin vers Cassel et Boulogne), on peut citer Ponte Scaldis (Escaupont) au croisement de l’Escaut.
Sur la chaussée allant vers la Mer du Nord, importante pour l’approvisionnement en sel et poisson séché (comme la précédente), on note HensiesPommeroeulMontroeul-sur-Haine, au croisement de la Haine, où les vestiges d’un embarcadère, d’ateliers artisanaux et de villas ont été découverts. Plus loin, se trouve Blicquy, relai sur la chaussée, mais aussi sanctuaire religieux très important.
Sur la chaussée vers le nord (Asse, Utrecht), il est plus difficile de déterminer quels furent les points-relais. Probablement Maisières « Espiniau ». Il reste toujours de grosses interrogations quant à ce que fut la colline de Castrilocus Mons (Mons). Dans les villages alentours, on a trouvé plusieurs nécropoles gallo-romaines (Ghlin, Nimy, Spiennes) qui pourraient attribuer à ce site un rôle non documenté par des écrits. Ne fut-ce que tardivement dans l’empire.

En allant vers le nord-est (Tongres, Cologne), on passe par Goegnies-Chaussée, puis par Givry (qui eut au moins un rôle militaire plus tardivement) et surtout Vogdoriacum (Waudrez-lez-Binche), où toutes les caractéristiques d’un vicus ont été décrites, comme à Liberchies un peu plus loin, mais hors du territoire nervien. A Péronnes-lez-Binche, on retrouva une borne miliaire (panneau de signalisation de l’époque).

Vers l’est (Arlon, Trèves), on quitte immédiatement la région et je suis moins documenté (Maubeuge sur la Sambre ?, Montignies-Saint-Christophe ?).

Vers le sud (Reims), il en est de même, mais il existait un vicus à Etroeungt et un sanctuaire à Sains-du-Nord.

Vers Amiens, on trouve, hors vallée de Haine, Camaricum (Cambrai), appelé à un grand rôle par la suite.

A “deux pas” de l’Escaut, s’est développé un vicus à caractère artisanal, commercial et religieux: Famars. Ce site prendra beaucoup d’importance à partir de la fin du IIIème siècle. Nous en reparlerons.

Ayant fait le “tour” de Bavay par ses sept chaussées, il faut encore souligner que celles-ci étaient reliées entre elles, dans certaines régions, par des voies secondaires, appelées diverticulums. Il est fort probable, mais non prouvé, qu’une telle liaison existait le long de la Haine sur sa rive sud (de Condé ou Crespin jusqu’à Waudrez-Binche, en passant près de la colline de Mons).

Et entre chaussées et diverticulums, on comptait encore des chemins “privés” qui reliaient ces routes aux nombreuses fermes et villas qui étaient éparpillées dans le paysage.

Economie
On a donc compris que les habitants vivaient essentiellement du secteur agro-pastoral. Les terres étaient fertiles, surtout dans le sud de la Nervie où l’on trouvait l’essentiel des vicus et des exploitations agricoles. Les défrichements de forêts furent très importants. On cultivait les céréales, les légumineuses, les légumes et les fruits. On élevait principalement le bœuf et le porc, mais aussi les volailles et les moutons. Les paysans vivaient de leurs productions et vendaient leurs surplus sur les marchés de Bavay et des vicus, et surtout aux garnisons militaires rhénanes.

Les artisans travaillaient la peau, la laine. Ils fabriquaient des outils, des tissus, des bijoux et des céramiques d’usage courant. On a découvert des vestiges d’un atelier d’amphores à Sirault et d’autres ateliers à Bavay, Famars, Blicquy et Waudrez. Les Nerviens étaient spécialisés en mortiers et cruches, ainsi qu’en draps et manteaux.

On a aussi dès cette époque extrait de la pierre (grès, marbre) du sous-sol. Les Hauts-Pays, à proximité de Bavay (AngreRoisin, Bellignies et Bettrechies), ont livré des éléments de construction pour leur capitale.

Pour le reste, on importait d’Italie et du sud de la Gaule : du vin, de l’huile, de la soie, des produits de luxe (vaisselle fine, verrerie, étoffes, bijoux en bronze).
Nombre de Gaulois s’engagèrent dans les bataillons auxiliaires des armées romaines.

Voici une description de ce que fut la vallée de la Haine dans les trois premiers siècles de “domination” romaine, qui ne furent pas un joug, mais un grand élan de paix et de prospérité pour des populations en grande majorité rurale. Certains de ces éléments nous sont racontés par les historiens de l’époque. Mais ces sources écrites sont pauvres. On ne connait rien des personnalités qui jouèrent des rôles politiques ou autres dans la région. La plus grosse partie de la documentation nous vient donc de l’archéologie. Mais par rapport aux périodes précédentes, nous avons l’impression de mieux appréhender le paysage et la vie de ceux et celles qui y habitèrent.

Tout cela nous inspire de la sérénité et du bonheur de vivre. Je ne suis pas sûr qu’il en fût toujours ainsi, “les hommes étant ce qu’ils sont”. Mais ce dont on est sûr, c’est que cela ne durera pas…

8. Les âges du fer

Période: 800-50 avant J.C.

Nous sommes entrés de plain pied dans le dernier millénaire avant J.C. avec des populations qui appartenaient encore à l’âge du bronze et, plus particulièrement, à la culture des champs d’urnes.

Rappelons que notre vallée de Haine est probablement restée à l’écart des “grands” de l’époque. Pas de métal exploitable dans notre sous-sol, donc pas de métallurgie à grande échelle et pas de commerce important qui s’en serait découlé. Tout juste étions-nous éventuellement placés sur des axes de communication entre les deux grands pôles du bronze, l’Atlantique (à cheval sur la Manche, entre Angleterre et nord-ouest de la France) et le complexe rhénan (Allemagne, Suisse, Alsace). La vallée de la Haine a probablement été un de ces axes, pas le plus important, et de loin. En témoignent les quelques vestiges que les archéologues ont tirés du sol, qui n’évoquent pas des habitats d’importance, des résidences ou des sépultures d’aristocrates enrichis.

Mode de vie
Ici, le monde est paysan. Il semble que les villages du néolithique aient disparu au profit de petites exploitations agricoles éparpillées dans la campagne défrichée, au bord des nombreux ruisseaux. Ces paysans sont des descendants des premiers agriculteurs néolithiques (et des mineurs de silex), intégrés à quelques vagues migrantes du sud, et surtout de l’est, pacifiques ou guerrières. L’Histoire, en tant que science, n’existait pas encore pour nous le raconter.

Parmi ces migrants guerriers qui nous sont arrivés de leur berceau d’Europe Centrale, il y avait des populations de langue indo-européenne, principalement les premiers Celtes à être arrivés chez nous, lorsque régnaient la Culture Campaniforme (au Néolithique final) et la Culture rhénane (à l’âge du Bronze). Les âges du fer, qui viennent, vont confirmer ces afflux culturels celtiques.

La sidérurgie
La fusion du minerai de fer nécessite des températures de plus de 1500°. On y serait arrivé, toujours au Proche-Orient (Caucase, Anatolie, Syrie, Iran) vers -2000. De là, cette technologie va se répandre. En Europe, il semble que la sidérurgie va être l’apanage, à partir du XVIIème siècle, de ces peuples indoeuropéens qui sont alors en train de conquérir les Balkans (Illyriens, Thraces), la Grèce (Doriens), et l’Anatolie (Phrygiens, …).

Le fer est plus solide que le bronze, plus abondant aussi que le cuivre et l’étain. Il va donner des outils (socs de charrue, houes, bêches, faux) et des armes plus efficaces et résistantes à l’emploi.

Le premier âge du fer (vers 800-400)

Sur les flancs des Alpes, les réserves en minerai de fer sont abondantes. Les Celtes au nord, les Italiques au sud (leurs cousins indoeuropéens), vont se les approprier pour l’extraire du sol, le travailler, le vendre et contrôler à nouveau le commerce et surtout les voies de commercialisation.
Hallstatt est une ville d’Autriche où les archéologues ont découvert d’anciennes mines de sel qui fonctionnaient au millénaire précédent, mais surtout des mines de fer et des forges en très grand nombre, où l’on fabriquait des armes et des outils très solides. En fait, il en est ainsi dans toute cette région nord-alpine et danubienne. C’est pourquoi le premier âge du fer a été nommé civilisation de Hallstatt, caractérisée par le type d’objets en fer et en céramique qu’elle a produits. Elle va s’étendre de -800 à -400.

Les guerriers celtes, en fait des petits rois et des aristocrates, vont s’approprier cette activité économique très rentable. Ils vont commercer avec les puissances naissantes du sud de l’Europe (les cités grecques et leurs colonies méditerranéennes, les Etrusques, et, plus tard, les Romains). Parmi ces cités grecques, il en est une qui va prendre beaucoup d’importance, c’est Massalia (Marseille), fondée vers -600.
Ces potentats celtes enrichis vont se faire édifier des citadelles à proximité des centres miniers et sidérurgiques, mais aussi aux endroits stratégiques sur les voies commerciales. De là, ils vont dominer militairement, politiquement et économiquement toute une région alentour, d’un rayon estimé à une dizaine de kilomètres. On parle de “chefferies“. Ils ne vendent pas que du fer, mais aussi des esclaves. Leurs richesses vont surtout s’étaler dans leurs sépultures, que les archéologues vont fouiller et décrire minutieusement: parures en métaux précieux, amphores somptueuses et vaisselle de luxe, objets de luxe en bronze, grandes épées d’apparat en fer. Une grande partie de ce mobilier funéraire était importé du monde méditerranéen (achat, échanges, cadeaux).

Dans certaines tombes, on voit apparaître une nouvelle mode: l’inhumation du chef guerrier, allongé sur un char, avec parfois à ses côtés son cheval, richement harnaché.
A la fin de la période de Hallstatt, il semble qu’il y ait eu un phénomène de concentration des petites chefferies. Leur nombre était réduit, mais elles étaient plus grandes et sans doute plus riches et plus puissantes, à en croire les sépultures encore plus fastueuses. Ces tombes deviennent de véritables chambres funéraires surmontées d’un tumulus monumental. Les “tombes à chars” sont encore plus nombreuses.

La civilisation celtique de Hallstatt en Hainaut
Notre vallée de Haine se situe aux marges de cette civilisation qui s’étend surtout en Allemagne, en Autriche, en Suisse et dans le nord-est de la France. Les axes fluviaux y jouent une grande importance: Danube, Elbe, Rhin, Saône-Rhône jusqu’à Marseille. En fait, le reste de ce qui deviendra bientôt la Gaule en est encore culturellement à l’âge du bronze.
Et donc, chez nous, les découvertes de cette époque ne sont pas non plus fabuleuses. Le paysage agricole décrit plus haut reste la norme, encore qu’il ait souffert de conditions climatiques plus rudes aux VIIIème et VIIème siècles. Pas de riche sépulture ni de citadelle.


A Harchies “Maison Cauchies”, on a trouvé, de cette époque, des tombes plates contenant des épées en bronze et des bouterolles en fer de type hallstattien (800-700).
A Havré “Taille de Vignes”, il s’agissait de tombelles contenant des épées et des rasoirs en fer, ainsi que des urnes (VIIème siècle).
A Chièvres “Moulin de la Hunnelle”, ce sont des fosses, creusées pour extraire l’argile, puis utilisées comme dépotoirs, où l’on a retrouvé des céramiques. A côté se trouvaient des trous de poteaux d’un petit grenier. Dans un même contexte de fosses, on a trouvé aussi des céramiques et des objets en métal à Bernissart, à Nouvelles et à Aubechies “Coron Maton”.
On a fouillé assez bien de sites fortifiés du Hallstatt dans la moitié est de la Belgique. Pas chez nous.

Le deuxième âge du fer (400-52 avant JC)
Parce que certaines situations politiques vont changer brutalement dans l’espace hallstattien, mais aussi dans le monde méditerranéen (déclin des Etrusques et des colons Grecs Occidentaux, qui entretenaient un commerce intense avec les princes celtes, montée en puissance des Carthaginois et des Romains), le commerce sud-nord va se modifier au profit d’un commerce est-ouest et “redistribuer les cartes” dans le monde celtique. Plutôt que de se tourner vers le sud, celui-ci va s’étendre en largeur et à nouveau sous forme de chefferies moins étendues, mais aux sépultures toujours aussi riches. Ceci se passe vers -400. Commence alors le second âge du fer ou Civilisation de La Tène, parce que décrite dans cette cité suisse, sise au bord d’un lac. Elle va durer jusqu’à la conquête romaine.

Une grande caractéristique de cette période, c’est qu’elle va s’accompagner de grandes migrations dans le monde celtique qui va se répandre, prendre le pouvoir dans certaines régions des Balkans (ils iront même attaquer Athènes et Delphes au IVème siècle), dans le nord de l’Italie (ils saccageront Rome) et finiront de dominer complètement ce qui devint alors la Gaule, parce que les auteurs romains appelleront “Gaulois” (Galli) leurs habitants (alors que les Grecs les appelaient Keltoï). Ils iront aussi s’installer en Espagne et dans les îles Britanniques.

Cette invasion définitive de la Gaule semble se faire en plusieurs vagues entre -400 et -150 ou -200 (on ne dispose pas de preuve certaine). Les derniers à migrer restèrent au nord de la Seine. Jules César les a appelés les “Belges” (Belgii).

La civilisation de la Tène en pays de Haine
Sans que l’on puisse parler d’un véritable tournant, politique et économique, dans notre région de Haine, il semble que cette dernière migration a imprégné la population nettement plus que la précédente.
On a trouvé quelques vestiges d’habitat laténiens à l’ouest du Hainaut (Ladeuze, Mévergnies, Brugelette). A Basècles, on a décelé un atelier où l’on fabriquait des bracelets en schiste.
Des traces de fortifications ont été découvertes à Rouveroy “Castelet”.
Mais le plus intéressant, ce sont des découvertes de tombes, relativement riches, dans les vallées mêmes de la Haine et de la Trouille, au point que l’historien Mariën a défini un “groupe laténien de la Haine“, datant du IVème et du IIIème siècle, donc avant l’arrivée des Belges Nerviens. A Leval-Trahegnies “la Courte”, des sépultures à incinération contenaient des armes (épées), des parures, des poteries, mais surtout des pièces de char (clavettes d’essieu décorées) et des pièces de harnais. D’autres tombes et petites nécropoles ont été mises au jour à Carnières, à Ciply “Champ des Agaises”, à Cuesmes “Mont Héribus”, à Frameries “Belle Vue/Crachet”, à La Bouverie, à Harmignies “Mont-de-Presles”, à Spiennes “Camp-à-Cayaux”, à Nouvelles, à Epinois et Péronnes-lez-Binche. A Estinne-au-Mont, on a trouvé une tombe presque identique, mais moins riche, plus tardive (fin IIème).
Ces Celtes Laténiens et peut-être aussi Gaulois avaient des rites particuliers, comme celui de faire des dépôts votifs (torques, monnaies en or, épées, pièces de harnachement) dans les rivières. On en a trouvé un beau à Pommeroeul, un autre à Peissant.
D’autres objets de cette époque ont été trouvés, en sites non étudiés méthodiquement, à Baudour, à Thulin, à Stambruges, à Quevaucamps “Marlières”, à Ellignies-Sainte-Anne, à Aubechies et à Blicquy “Ville d’Anderlecht”.

Les Gaulois
Les Gaulois ne constituaient pas un seul peuple, gouverné par un seul roi ou pouvoir. Ils parlaient une même langue (sans doute des dialectes différents), vivaient de la même façon. Comme chez les Indo-Européens, il y avait une classe de dominants (guerriers, aristocrates, rois, druides) et une classe de dominés (les paysans, les ouvriers et les artisans). Ils avaient aussi une même religion dont le clergé était constitué de druides, des savants qui étaient compétents en matière religieuse, judiciaire et politique. Ils étaient propriétaires de tout le savoir celtique (coutumes, histoire, récits et légendes, …), qu’ils apprenaient par coeur pendant de longues années dès l’enfance. Rien n’était écrit. Seule la tradition orale était tolérée. Les Gaulois ne savaient ni lire ni écrire, hormis quelques négociants qui commerçaient avec les “peuples de l’écriture” (Grecs, Romains) et sans doute quelques intellectuels (sans doute des druides aristocrates) qui allaient étudier dans le monde romain.


Pas de peuple unique, mais des peuples (une centaine en Gaule) qui partageaient une même culture et commerçaient entre eux et avec le monde romain. Pas de monnaie non plus, sauf lorsqu’on commerçait avec ce même monde.

Les Belges Nerviens
Les derniers arrivés en Gaule étaient donc les Belges, peuples plus proches des Germains qui, à la faveur des grandes migrations celtiques des IVème et IIIème siècles, prirent leur place en Europe centrale, au-delà du Danube et du Rhin. Et parmi ces Belges, il y avait les Nerviens, ces Gaulois qui vivaient sur nos terres hennuyères. Leur territoire s’étendait entre l’Escaut à l’ouest et au nord (ce fleuve les séparait des Atrébates, des Ménapiens et des Bataves), la Forêt Charbonnière à l’est (les séparant des Eburons et des Aduatiques) et une limite un peu floue (Oise) au sud de Cambrai et d’Avesnes ( les séparant des Viromandouins et des Rèmes). La vallée de la Haine est au centre de ce territoire et constituait sans doute un axe important de circulation.

Mode de vie des Nerviens

En fait, pour ce que l’on en sait (ils sont plus souvent cités que décrits par les auteurs romains), ce pays de “Nervie” ressemblait à celui des époques antérieures. Des petites fermes, en grand nombre, sont éparpillées sur tout le territoire, plus au sud (plus limoneux et fertile) qu’au nord (plus sablonneux). Elles étaient systématiquement entourées d’un fossé (délimitation de la propriété). L’outillage en fer s’était généralisé. Il améliorait le travail et la production était devenue intensive. Les Gaulois avaient inventé l’araire pour bien remuer le sol à cultiver. Les Nerviens furent les premiers à faire du défrichement à grande échelle. Ce paysage a bien été décrit lors de fouilles préventives sur une grande superficie en certains endroits, notamment à Onnaing avant la construction des usines Toyota, ainsi qu’à Brugelette et Ladeuze.

Il s’agissait donc d’un territoire essentiellement rural. Alors que dans d’autres peuples gaulois, on commençait à voir apparaître des structures préurbaines, notamment sur ces fameux oppidums où étaient concentrés les pouvoirs ,politique, religieux et économique (artisanat, réserves de grains, ateliers monétaires). C’était surtout le cas chez les peuples déjà assez liés au monde romain (Eduens, Arvernes, …). Chez les Nerviens, pas d’oppidum connu, pas de centre ayant un minimum d’importance , du moins dans l’état actuel de nos connaissances. Pourtant ils devaient avoir un pouvoir qui se concentrait quelque part car, quand il a fallu se défendre contre les armées de Jules César, ils ont rapidement pu mettre sur pied une armée suffisante et efficace, aux ordres de leur chef Boduognat. Seules quelques hypothèses sont émises pour un tel centre politique ou militaire, mais sans preuves réelles.
Le site d’Avesnelles (Flaumont-Waudrechies, près d’Avesnes) paraît le plus indiqué, mais n’a, semble-t-il, jamais été fouillé méthodiquement, car il fut très abîmé par une carrière. Un oppidum d’une superficie de 14ha, entouré d’une double enceinte, semble y avoir été aménagé à l’époque nervienne. En attente d’autres découvertes, Avesnelles pourrait avoir été la capitale des Nerviens, située à peu de distance de la Selle, rivière où s’est très probablement déroulée la grande “bataille de la Sabis”, décrite par Jules César qui, avec de très grandes difficultés, y a vaincu les Nerviens, alliés aux Atrébates et aux Aduatiques.
On aurait bien envisagé la colline de Mons pour remplir ce rôle de capitale, mais aucune preuve archéologique ne va dans ce sens. Quelques structures fortifiées laténiennes ont été trouvées à Estrun-sur-Escaut (Cambrésis), à Rouveroy, à Thuin, à Châtelet, à Lompret, mais rien qui puisse rappeler les oppidums bien connus d’autres peuples gaulois. Quant à Bavay, beaucoup l’ont évoqué et imagé de légendes, mais, comme ailleurs, rien ne laisse supposer un site organisé avant l’arrivée des Romains.
En réalité, les Nerviens étaient du type farouche, peu enclins aux échanges commerciaux et culturels. Ils vivaient presqu’en autarcie sur leur territoire qu’ils défendaient habilement, protégés par un réseau dense de bois et de haies épineuses difficiles à franchir.
Ils connurent très tard la monnaie. Les plus anciennes étaient des monnaies macédoniennes du IIIème siècle, sans doute ramenées par quelques mercenaires partis se battre avec Alexandre le Grand ou un de ses successeurs généraux. Au IIème siècle, les Nerviens commencèrent à battre des monnaies, encore fort semblables aux pièces grecques (statères). Les premières véritables monnaies nerviennes, les potins en alliage métallique, datent du Ier siècle. On en a trouvé de gros dépôts à Thuin. Elles servaient au commerce “transfrontalier” car, entre eux, ils pratiquaient toujours le troc.
On pense qu’à Pommeroeul existait une ferme nervienne; on y a trouvé des épées en fer, des pointes de lance, des haches, des outils variés, des monnaies gauloises (statères et potins). Des haches et des poteries gauloises, ainsi qu’un casque macédonien (d’un ancien mercenaire?), ont été trouvées sur le Mont d’Elouges.
A Cuesmes existait un cimetière nervien. Certains pensent que le “Tombois” à Quiévrain pourrait être de cette époque.
On suppose à Baudour un sanctuaire druidique.
Des monnaies gauloises (potins à rameau A ou C) ont encore été trouvées à Basècles, Stambruges, Quevaucamps,  Sirault, à Thulin et à Angreau.

La conquête romaine (58 à 52 avt J.C.)
Tout change en -58 avec la conquête du nord de la Gaule par Jules César. Ce dernier avait l’ambition de s’emparer du pouvoir dans une Rome abandonnée aux guerres civiles de la fin de la République et avait besoin de moyens financiers et humains pour y arriver. Nommé gouverneur de la Gaule Cisalpine (nord de l’Italie, repris aux Gaulois au IIIème siècle) et de la Gaule Narbonnaise (sud de la France, conquis par Marius en -125), il prit prétexte de l’appel à l’aide de certains peuples gaulois “alliés” (les Eduens et les Arvernes) face à la menace germanique des Suèves en Suisse et en Alsace, pour “pacifier” l’ensemble du territoire gaulois, ce qu’il réalisa entre -58 et -52. Ce ne fut pas une sinécure, comme il nous le raconte dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules. Et « sunt Belgii bravissimi ! ».
Les Nerviens furent battus sur la “Sabis”, probablement la Selle, rivière affluent de l’Escaut dans le Cambrésis actuel. Malgré quelques rébellions et notamment une participation à la grande révolte de Vercingétorix en -52, ils furent sèchement battus. Peut-être pas aussi massacrés que ne le décrit Jules César car, par la suite, leurs élites aideront beaucoup à reconstituer une “nouvelle Nervie”.

Mais ici commence un nouvel épisode de notre histoire …

7. Age du Bronze

2200-800

Dans le sous-sol de la vallée de la Haine, il n’y a pas, en quantités exploitables, des métaux pouvant entrer dans les cycles métallurgiques. Pas de cuivre, pas d’étain, pas de fer, pas d’or ni d’argent. Que du limon, du silex et divers types de roches.
Le limon fut exploité par les agriculteurs, ce qui constitua l’ activité principale depuis le néolithique jusqu’à l’aube de la révolution industrielle à la fin du XVIIIème siècle. Le silex fut extrait et taillé à grande échelle depuis le néolithique jusqu’à ce que les outils en silex soient remplacés par des outils plus performants en métal. Ce n’était pas encore le cas avec le cuivre, mais ce le sera avec le bronze et le fer.
Les autres roches furent exploitées plus tard, certaines à partir des Gallo-Romains (grès, craies) et d’autres à partir du Moyen-Age (charbon).

Pas de cuivre chez nous.

Les Mésopotamiens, puis les Iraniens, les Anatoliens et les Arméniens, qui en possédaient, ont commencé à le travailler dans son état natif (naturel) dès le IXème millénaire. La fusion du cuivre dans des fours à plus de 1000° a été pratiquée pour la première fois vers 6000 en Anatolie. De là, la technique a été diffusée dans les pays du Proche-Orient. Elle a quasi suivi les premiers néolithiques qui ont émigré en Europe, puisqu’on retrouve cette métallurgie dès le Vème millénaire dans les pays des Balkans (Grèce, Serbie, Bugarie) dont le sous-sol est riche en ce métal. Son exploitation et son commerce, sous forme de blocs ou d’objets manufacturés, va enrichir quelques états-cités (Varna, Vinça). La diffusion de la métallurgie va gagner lentement l’Europe Centrale au nord des Alpes au IVème millénaire, puis l’Italie du nord, la Corse et le sud de la France (Hérault), l’Espagne (Los Millares) et les îles Britanniques, là où le sous-sol est aussi riche en cuivre.

Ce n’est pas le cas chez nous. Les premiers objets façonnés dans ce métal furent importés avec l’arrivée de la Culture Campaniforme vers 2200-2000; il s’agissait plus d’ objets de prestige que d’objets réellement utilitaires.

Pas d’étain non plus chez nous.

Ce métal (10-15%), en alliage avec le cuivre (85-90%), entre dans la production du bronze, dans des fours à plus de 1000°. Cet alliage est nettement plus malléable à chaud,ce qui permet de lui donner plus facilement une forme; il est aussi plus solide et résistant que le cuivre. Il entra d’abord, lui aussi,dans la fabrication d’objets de prestige (parures, bijoux), puis, rapidement, dans celle des armes (épées, pointes de lance, poignards), des casques, des cuirasses, des boucliers, des moyeux de roues de chars, et enfin dans celle des objets domestiques (vaisselle).

On commence à trouver quelques objets en bronze chez nous vers 2000, mais on ne trouve des preuves de métallurgie du bronze en Belgique qu’à partir de 1600.

Comme toujours, et cela va de soi, ceux qui détiennent les ressources (mines de cuivre, d’étain, d’or et d’argent), les ateliers de métallurgie et d’orfèvrerie, le commerce des produits à l’état premier et des produits finis, et qui ont aussi le contrôle des voies de communication, vont s’enrichir. Qui dit richesse, dit puissance, dit pouvoir. De grands états vont naître et se disputer l’hégémonie sur leurs régions et leurs voisins. C’est le cas, au Proche et Moyen-Orient, avec Sumer, Babylone, l’Assyrie, les cités-états syriennes et palestiniennes, l’Egypte, les Hittites en Anatolie, les Mycéniens en Grèce.

Les Indo-Européens

Le phénomène est un peu plus tardif en Europe. Un ensemble de peuples, dont les langues ont une même origine, ont fait leur apparition tout à l’est de l’Europe au Vème millénaire: ce sont les Indo-Européens. Pendant toute la période néolithique, ils ont acquis très tôt les techniques de cette culture. C’étaient d’habiles cavaliers. Ce qui les caractérisait, c’était la division de leurs sociétés en trois castes: celle des guerriers, d’où sortent leurs rois et leurs aristocrates, qui détiennent le pouvoir, la puissance et la fortune, celle du clergé, qui détient la puissance spirituelle et qui est issue de la première, donc leur alliée, enfin vient celle des paysans, des pasteurs, des ouvriers et des artisans qui oeuvrent pour nourrir et entretenir les deux premières classes. Cela ne vous rappelle rien? C’est exactement le modèle de ce que sera la société féodale chez nous pendant près d’un millénaire et demi. On y reviendra plus tard.
Aux sociétés matriarcales, plus ou moins égalitaires et pacifiques des débuts du néolithique ont succédé progressivement des peuples guerriers, virils, patriarcaux et dominants.

Cette parenthèse est importante, pour faire comprendre comment ces peuples Indo-Européens, dominateurs et puissants, grâce à la maîtrise des technologies métallurgiques et leur esprit guerrier, vont conquérir dans les deux derniers millénaires avant Jésus-Christ quasi toute l’Europe. Venant des steppes au nord des mers Caspienne et Noire, où ils sont installés depuis le Vème millénaire, ils vont envahir en quelques millénaires, en créant de nouvelles civilisations, les Balkans ( les Thraces et les Illyriens), l’ Anatolie (les Hittites), l’ Iran (Mèdes, Perses), la Grèce (les Mycéniens, puis les Doriens et les Grecs classiques et actuels), l’ Europe Centrale puis occidentale (les Celtes), l’ Europe du Nord (les Germains et les Scandinaves), l’ Europe de l’Est (les Slaves et les Baltes), et l’ Italie (les Italiques d’où descendront les Latins et les Romains).

Il est vraisemblable qu’à partir de leur berceau en Europe centrale, les Indo-Européens ont commencé à s’étendre, probablement par la force (ce qui n’aurait rien d’étonnant de la part de guerriers), pour coloniser la plus grande partie de l’Europe Occidentale. Ils y ont mis près de deux mille ans, par vagues successives, apportant chaque fois de nouveaux modes culturels.

Certains historiens pensent que des Celtes ou des Proto-Celtes ont profité de la large diffusion de la Culture Campaniforme pour se répandre vers l’ouest. Mais ils sont d’abord bien présents dans ces sociétés d’Europe Centrale qui s’enrichissent de la valeur du bronze (culture d’Unetice en Bohême). C’est probablement eux qui vont diffuser un nouveau mode d’inhumation, sous tumulus (de terre ou de pierres), qui va concurrencer l’inhumation sous dolmens.

Il est à noter que les îles Britanniques, comme la péninsule ibérique, sont riches en cuivre et en étain. Quelques civilisations importantes vont s’y développer, dont celle de Wessex, particulièrement connue pour ses cromlechs (Stonehenge). Il est important de le souligner, car, à la suite du Campaniforme qui marque la fin du néolithique, d’autres cultures vont s’implanter dans nos régions, en rapport avec celles de Grande-Bretagne, et influencées par elles (Culture Atlantique d’Eramicourt dans le nord de la France et l’ouest de la Belgique) et celles qu’on trouve en Allemagne et dans l’est de la France (Complexe Rhin-Suisse-France Orientale).
Notre vallée de Haine se trouve au milieu des deux. Y passent probablement des routes qui rejoignent les deux. On sait qu’il existait un trafic très important sur la Manche.

L’âge du bronze en Hainaut
On a peu de détail sur ce qu’a été l’âge du bronze chez nous. Mais puisque nous n’avions pas les matières premières, et vraisemblablement pas d’industrie métallurgique concurrentielle, nos habitants continuèrent à pratiquer l’agriculture et de l’élevage, se laissant progressivement dominer militairement et politiquement par de nouveaux arrivants, toujours plus forts grâce aux technologies « dernier cri ».

Maison de l’âge du Bronze (Archéosite d’Aubechies)

A un certain moment, il semble que les villages et hameaux, tels qu’ils existaient au néolithique, ont cessé de fonctionner, laissant la place à des fermes plus ou moins isolées, dont l’existence était brève et ne dépassait pas le siècle. Individualisme? Autarcie? Ce n’est pas certain, car des formes de pouvoir devaient exister et coordonner, plutôt qu’administrer, toute cette population de paysans.

On n’ a pas, à ce sujet, d’informations détaillées sur ce qui se passait chez nous. Existait-il des centres de pouvoir comme dans d’autres pays aux ressources abondantes? Aucune fouille archéologique ne semble l’affirmer. Pas de site fortifié découvert, ni d’habitat, mais quelques sites à caractère religieux, rituel ou funéraire.

Les sites, fouillés et étudiés avec méthodologie dans la région sont:
– celui du “Champ de Bruyère” à Havay: un enclos circulaire de 43m de diamètre, ayant pu cerner un tumulus funéraire, daté de 1700-1600 (identique à ceux de la Culture Atlantique d’Eramecourt)
– celui de la “Bosse del’ Tombe” de Givry: identique (27m) et contemporain
– un enclos funéraire à Chièvres (60m)
– à Blicquy “Ville d’Anderlecht”, sous le site gallo-romain, une nécropole utilisée entre 1512 et 1127 a été fouillée et a livré des éléments proches de la culture rhénane.
– à Harchies, des lingots de bronze enfouis, des outils en bronze (tranchets, rasoirs). On pense qu’il y existait une nécropole au Bronze Ancien ou Moyen.

– à Hautrage, une hache en bronze a été déterrée. 
– à Spiennes, au “Champ-à-Cayaux”, ont été trouvés des dépôts de bronzes usagés (bracelets, anneaux, pendeloques) destinés à la refonte et liés au groupe d’Eramecourt. C’était, pour ce petit centre minier, la fin de la prospérité d’antan. D’autres objets du bronze final ont également été trouvés.
– à Harmignies, au “Champ des Montagnes”, on a fouillé un sol d’habitation de la fin de l’âge du bronze, qui comportait des fosses, des tessons de céramique, des petits éléments en bronze (toujours rattachés à la Culture d’Eramecourt)
– à Saint-Symphorien, une pointe de flèche en bronze
– à Jemappes, on a trouvé des haches en cuivre et en jadéite, datant du bronze ancien
– à Ghlin, des tombelles ont été fouillées et on en a ramené un javelot et une hachette en bronze
– dans les villages français frontaliers (Onnaing, Rombies-Marchipont, Quiévrechain et Hordain), des chantiers d’archéologie préventive ont mis à jour des structures d’habitat : petites fermes, dont les bâtiments destinés au logement et les annexes sont constitués de poteaux de bois, de murs de torchis et de toits en chaume. L’argile est extraite dans des fosses qui servent ensuite de silos ou de poubelles.
– d’autres objets, ramassés ici et là, au XIXème et au XXème siècle, sont à rattacher à l’âge du bronze. Ce sont des fragments de poterie, quelques armes, des haches, des pointes de flèche, des tranchets, en général non datés mais typiques de cette époque. On en a trouvé à Baudour, Thumaide, Aubechies, Hensies, Bernissart, Blaton, Basècles, Ville-Pommeroeul.

Si l’on s’en tient aux connaissances d’aujourd’hui, qui peuvent toujours être remises en question dans le futur, cette carte tend à montrer des concentrations de communautés du Bronze

  • aux sources de la Dendre
  • le long de la Haine, surtout au nord de celle-ci (de Bernissart à Ghlin)
  • le long de l’Aunelle
  • le long de la Trouille

A la fin de la période du Bronze (entre 1200 et 800/700), de nouveaux modes de sépultures sont apparus. On incinérait les morts et on plaçait leurs cendres dans des urnes qui étaient déposées sous terre dans de vastes nécropoles. On parle alors de la Civilisation des Champs d’Urnes. L’âge du bronze va céder le pas à celui du fer entre 800 et 700.
– à Cuesmes, au “Tir-aux-Pigeons”, un vase-urne de ce type a été découvert
– à Stambruges, des sépultures à urnes
– ainsi qu’à Blicquy

On l’aura compris, à moins que de nouvelles découvertes nous fassent changer d’avis, la vallée de Haine (et le Hainaut en général) n’a pas fait la révolution industrielle du métal dans le deuxième millénaire avant notre ère. Ses habitants ont continué à vivre de leurs cultures et leurs élevages, dans des fermes isolées et le plus souvent en autarcie. Les sites cités plus haut démontrent que la région était malgré tout bien occupée pendant cette période. Quelques-uns ont continué à extraire le silex et à le tailler tant qu’il avait de la valeur marchande, mais il est bien vite devenu obsolète, après 1500.

Des vagues de guerriers et de colons d’origine celtique ont commencé à submerger ces paysans, à leur imposer leur mode de vie, leur langue, bref à les acculturer à leur tour. Des formes de pouvoir, assises sur la richesse et la force, ont existé, mais nous ne connaissons pas celles qui ont dominé la région. On n’a trouvé ni forteresse, ni résidence princière, ni même de belles sépultures au riche mobilier funéraire.

Selon Jean Dufrasne, un archéologue hennuyer, la basse vallée de la Haine a constitué au néolithique et aux âges des métaux une voie de communication importante, au bord de laquelle étaient réparties de petites fermes. La région était donc loin d’être déserte, mais n’était pas fréquentée apparemment par des formes opulentes de pouvoir.
On peut parler de zone d’ombre pour cette période. La lumière commencera à venir au cours du dernier millénaire avant Jésus-Christ…

6. Le néolithique

Le néolithique ou la première révolution économique

Cette période, qui s’étale chez nous de 5200 à 2200, est surtout connue dans notre région pour les mines de silex de Spiennes.
Il est important de bien décrire ce que le néolithique a apporté comme changements économiques, sociaux et sans doute politiques pour les populations. Car il s’agit d’une véritable révolution du mode de vie qui va marquer la société rurale jusqu’à l’aube de la révolution industrielle des XVIIIème et XIXème siècles.

Description
Le climat est alors celui que nous connaissons aujourd’hui et le paysage qu’il a façonné le serait aussi s’il n’avait tant été modifié par la suite.

Dans un tel environnement, l’homme, avec ses acquisitions techniques des millénaires précédents, peut décider de se sédentariser et de se bâtir un habitat durable. Il le fait en petites communautés (clans familiaux) dans des hameaux de quelques dizaines d’habitants, qui peuvent devenir des villages, établis sur des terres fertiles (limoneuses ou alluvionnaires), à proximité de sources d’eau et de bois.

Ces premières maisons sont de formes différentes selon les moments et les lieux (chez nous elles seront rectangulaires). Des poutres de bois servent de squelette sur lequel des murs en torchis sont montés et un toit en chaume posé. L’intérieur (souvent une seule pièce) est compartimenté pour les différents besoins. A l’extérieur, l’homme crée des abris (silos, greniers, étables) pour ses animaux et ses récoltes.


Une communauté, cela permet d’organiser et de répartir les activités. Quelles sont-elles?

L’homme du néolithique invente l’agriculture après avoir bien observé la nature, avoir cultivé des espèces sauvages (céréales, légumineuses), en avoir sélectionné celles qui conviennent le mieux aux cultures. Pour ce faire, il commence à défricher les bois qui entourent son hameau et à les transformer en champs. Il détourne parfois l’eau d’un ruisseau proche pour arroser ses champs ou se créer un vivier (irrigation). Les arbres sont utilisés pour la construction, le chauffage, la cuisson des aliments et bientôt les fours.
L’homme du néolithique invente l’élevage de la même façon. Il rassemble des troupeaux d’animaux encore sauvages (moutons, chèvres, porcs, bovins). Il en sélectionne les meilleures espèces, les fait pâturer (pastoralisme) et leur construit des enclos et des étables.
Le secteur économique primaire est né. Il va être complété par l’extraction de matières du sol (argile pour le torchis) et du sous-sol (d’abord le silex, ensuite, là où ils sont présents, les minerais, à commencer par le cuivre).

Hache polie type Spiennes

L’homme du néolithique diversifie son artisanat et son industrie. Des vestiges d’ateliers le prouvent : pour la taille standardisée du silex et son polissage (notamment les haches et les herminettes pour abattre les arbres et scier le bois) et des autres matières premières (os, bois de cervidé, bois des arbres), pour la boucherie (découpe de la viande, travail des peaux), pour le tissage de la laine et du lin, pour moudre les grains et cuire les pains, et un peu plus tard les forges (cela concerne très peu le néolithique chez nous).

L’autre grande invention est celle de la céramique. Les pots (de toutes tailles et formes) sont importants pour la cuisson des aliments, pour leur conservation et pour les repas. L’homme du néolithique, s’il est moins connu pour son art (plus discret que celui du paléolithique supérieur), n’en décore pas moins tous ses récipients. Chaque groupe régional va ainsi créer un « marqueur artistique », qui se révélera important pour définir les très nombreuses cultures qui vont émailler la période néolithique.

Ce marqueur culturel va accompagner la naissance d’un fort sentiment religieux, déjà présent au paléolithique. Des divinités apparaissent. Ce sont surtout des divinités féminines (invoquées pour la fertilité du groupe humain et de la terre cultivée) et des divinités masculines, souvent représentées par des têtes de taureaux (qui devaient représenter la force à la fois protectrice et créatrice).

Origines et expansion

Toutes ces innovations ne sont pas apparues en un jour. Les conditions climatiques (douceur, pluies régulières) et les ressources naturelles ont fait que c’est au Proche-Orient qu’on voit naître ce nouveau modèle socio-économique, dans ce qu’on appelle le “Croissant Fertile“, qui s’étire depuis les rives de la Méditerranée orientale (Israël, Palestine, Syrie) jusqu’au delta du Tigre et de l’Euphrate (Irak ou ancienne Mésopotamie). Le néolithique s’invente en différentes étapes entre 9500 et 6500.
De telles innovations ne peuvent qu’améliorer le confort quotidien, donc la longévité de la vie et la fertilité des populations. La démographie augmente. Le territoire initial devient trop exigu et des groupes émigrent, par clans familiaux, pour coloniser de nouveaux territoires et y acculturer les populations de la fin du paléolithique et du mésolithique. Le néolithique se répand à l’est (Iran), au nord (Caucase), au sud (Egypte) et à l’est (Chypres, Turquie). Vers 6500, toutes ces régions fonctionnent de la même façon. Les premières villes y apparaissent (Jéricho, Catal Höyük, …).

Un nouveau type de société est né et s’exporte. Ce qui a deux conséquences. D’abord, il y a création de richesses, sous forme de propriétés, de troupeaux, de surplus alimentaires et, plus tard, des excédents de minerais. Le profit s’accompagnera d’envies et de jalousies, donc de conflits et de guerres où la loi du plus fort s’impose toujours.
Une telle organisation de la société nécessite une autorité, donc un pouvoir, mais aussi une hiérarchisation des classes sociales. Il semble cependant qu’à l’origine, les premières sociétés néolithiques étaient matriarcales, égalitaires et pacifiques.

C’est cette première vague migratoire qui va atteindre l’Europe: la Grèce (dès 6500) et les Balkans (entre 6400 et 5500). Elle arrive avec le “pack” néolithique complet (les semences et les espèces domestiquées, la poterie, le type d’habitat, les croyances, …). Ici aussi elle acculture les sociétés mésolithiques européennes. Cette migration va suivre alors deux voies.

Expansion du néolithique en Europe

La première suit la voie maritime: de Grèce et de Dalmatie, elle s’introduit en Italie (vers 6000), puis dans les îles méditerranéennes occidentales (Sicile, Sardaigne, Corse, Baléares); enfin elle atteint les côtes françaises (5400) et ibériques (5200). De là, elle remonte vers le nord. Ces migrants emportent avec eux la Culture Cardiale, reconnaissable à ses poteries décorées, par gravure, d’ un coquillage appelé “cardia”.

Poterie cardiale

La deuxième vague choisit la voie fluviale danubienne: du nord des Balkans, à partir de 5500, elle oblique vers l’ouest le long du fleuve et se répand au nord de celui-ci (Hongrie, Pologne, Slovaquie, Autriche, Tchéquie, Allemagne, Suisse). Elle porte le nom de Culture Rubanée, parce que sa poterie présente des décors sous forme de bandes.

Poterie rubanée

Le néolithique en Hainaut
Conséquence: le territoire belge est atteint par la révolution néolithique entre 5200 et 4900 par des groupes de migrants venant du sud (les Cardiaux) et de l’est (les Rubanés). La première phase du néolithique chez nous (Néolithique Ancien) s’installe à la fois en Hesbaye (entre la Meuse et la rivière Geer, son affluent) selon la tradition rubanée, et en Hainaut selon la tradition cardiale. Les deux vont se rencontrer, s’entremêler et donner des formes mixtes.

En Hainaut, les premiers migrants vont choisir (au su des connaissances actuelles!) le plateau situé entre la Haine et l’Escaut, aux sources de la Dendre. Ils arrivaient du Bassin Parisien vers 4900. Par la suite, ils évolueront au contact des Rubanés à l’est de la Moyenne Belgique. En réalité, ceux-ci avaient aussi atteint notre région avant les Cardiaux. Leurs vestiges ont été particulièrement bien étudiés à Aubechies, Blicquy et Irchonwelz, au point que leurs caractéristiques (habitat, sépultures, céramique, meules en pierre, outils en silex) ont permis de parler d’ une Culture néolithique de Blicquy (4900-4700 avt.JC.).

A cette époque, le silex extrait à Ghlin était fort prisé, notamment par ces communautés de la région de Blicquy. On en a trouvé , pour cette époque, à Ghlin, Baudour (plus particulièrement à Douvrain) et Villerot. Il devait aussi exister une petite communauté à Saint-Symphorien (Champ Mellet).

La période suivante, dite Néolithique Moyen (4800-3600) voit une expansion, due à la poussée démographique, vers l’ouest de la Belgique, le nord-ouest de la France et les îles Britanniques. L’habitat se modifie un peu. On voit des villages s’entourer de palissades qui marquent le territoire et le défendent. La hiérarchisation de la société se généralise. Pour le reste, le mode de vie reste le même, ainsi que l’outillage. Les décors des poteries changent. On ne peut pas ici entrer dans les détails, mais cela a permis de déterminer deux cultures qui vont dominer cette période.

D’abord la Culture de Rössen, basée essentiellement en Allemagne et dans le nord-ouest de la France, mais dont les influences vont marquer certaines franges de notre région, à en croire les découvertes effectuées à Givry (site de la “Bosse del’Tombe”) qui évoquent un habitat de cette période (selon les outils et les céramiques retrouvés).

Mais c’est la Culture de Michelsberg (4300-3600) qui est la mieux représentée chez nous. Sans doute mieux implantée, elle a marqué toute la région au sud et à l’est de Mons. C’est aussi une culture dérivée du rubané allemand, mais qui a été fortement influencée par les cultures “françaises” dérivées du Cardial (Culture chasséenne). Les sites seraient très nombreux en Wallonie, mais souvent très dégradés et peu “lisibles”. Les mieux étudiés en Hainaut sont ceux de Spiennes et de Blicquy.

Spiennes et sa région (Obourg, Harmignies, Saint-Symphorien, Hyon “trou du Sable”, Mesvin “Sans Pareil”, Ciply, Flénu, Strépy) sont surtout connues pour leurs installations minières. Dans le sol crayeux crétacé, des blocs de silex se sont formés au tertiaire en très grandes quantités. Pour la taille et le polissage des outils (tranchets, haches, herminettes, houes), cette roche était d’une qualité inestimable et fort appréciée, non seulement dans la région, mais aussi en France et en Allemagne, où elle était exportée. Le commerce était né! A Spiennes et dans d’autres régions qui exerçaient la même activité, comme au Grand-Pressigny en France.
A la même époque, dans d’autres régions européennes (Balkans, Péninsule Ibérique), on commençait à extraire le minerai de cuivre, à le fusionner et à le transformer en outils et en armes.

Il semble que c’est à Obourg qu’on ait trouvé les mines et les ateliers de taille les plus anciens (4690-4450).
A Spiennes (“Camp à Cayaux”, “Pa d’la Liau”, “Petit-Spiennes”), où le travail de fouilles a été, et est encore fait avec une méthodologie très minutieuse, on a extrait le silex dans de véritables mines (avec puits et galeries), jusqu’à 15m de profondeur, entre 4450 et 3500. On l’a ensuite taillé dans des ateliers répartis sur une superficie d’une centaine d’hectares pour enfin être “vendu” aux populations voisines et aussi plus lointaines. Habitats, enclos fermés et camps fortifiés jouxtaient ce territoire. Ce qui dénote une société déjà fort hiérarchisée, où le travail était spécialisé et les tâches réparties entre mineurs, tailleurs de pierre, paysans, pasteurs, potiers et, sans doute, “gens d’armes”. Cette société commençait à avoir déjà ses riches et ses moins riches, ses dominants et ses dominés.

Des sites d’habitat du néolithique moyen (Culture du Michelsberg) ont été trouvés dans les villages “miniers” cités plus haut, mais aussi à Casteau-Thieusies, Givry (Bosse del’Tombe), Bray, Saint-Vaast, Haine-Saint-Pierre, Morlanwelz, La Hestre. A Valenciennes, en bordure de l’Escaut aussi.

On pense que les hameaux néolithiques furent très nombreux dans la région, comme ailleurs, dès cette époque du Michelsberg. Puisque leurs paysans pouvaient y trouver de bonnes terres limoneuses, des prairies fraîches pour les pâturages, de nombreux ruisseaux et les bois de la Forêt Charbonnière qu’ils furent les premiers à en commencer le défrichage.
Ce qui laisse à penser cela, c’est le fait que de nombreux outils en silex taillés, typiques de cette époque (notamment des haches polies d’origine spiennoise) ont été ramassés sur les champs et dans des propriétés privées par des archéologues, amateurs ou professionnels, par des paysans et des jardiniers. Et cela dans quasi tous les villages de la région.
Les habitats découverts sont moins nombreux, soit qu’ils ont été effacés par le temps, soit qu’ils n’ont pas encore fait l’objet de fouilles systématiques,toujours enfouis sous nos briques et nos bétons.
J’ai trouvé mention de silex taillés (beaucoup de haches polies) ramassés dans les villages suivants: Basècles, Blaton, Bernissart, Hensies, Harchies, Ville-Pommeroeul, Stambruges, Quevaucamps, Ellignies-Sainte-Anne, Wadelincourt, Thumaide, Sirault, Hautrage, Villerot, Baudour, Ghlin, Maisières, Cuesmes, Eugies, Flénu, Vellereille-le-Sec, Havré, Ville-sur-Haine, Le Roeulx, Strépy-Bracquegnies, Saint-Vaast, Haine-Saint-Pierre, Carnières, Morlanwelz, Ressaix, Quiévrain, Thulin, Montroeul-sur-Haine, Angre, Onnezies.

Au néolithique récent, la Culture de Seine-Oise-Marne (S.O.M., 3600-2000) s’est imposée depuis le Bassin Parisien jusqu’en Wallonie. Elle ne se caractérise, par rapport à la précédente, que par des détails peu importants, non par de véritables innovations.
Ce qui est particulier, c’est l’arrivée chez nous d’une mode monumentale qui existait depuis plusieurs siècles sur les côtes occidentales d’Europe: le mégalithisme. Mais il n’a pas marqué de son empreinte nos régions, comme il l’a fait en Bretagne ou en Grande-Bretagne. On trouve bien quelques allées couvertes et des menhirs au sud de la Meuse (Wéris, Rochefort, …), mais en Hainaut, ces monuments semblent avoir été peu nombreux. Certes, beaucoup ont été renversés, fracturés et enterrés par les Romains (qui cherchaient à supprimer la religion druidique des Gaulois) et plus tard par les rois Francs et les évêques (qui voulaient supprimer toute présence de paganisme dans nos religions). Car s’il est vrai que ces monuments préhistoriques n’avaient rien à voir avec les Gaulois, ce qu’ on nous a parfois fait croire, ils ont parfois servi de lieux magiques pour les pratiques religieuses de certaines populations antiques et médiévales.
En vallée de Haine, je ne pense pas qu’il reste encore un menhir debout, mais les historiens et certaines traditions en ont mentionné à Ville-sur-Haine, à Bray, à Haulchin, …

Poterie campaniforme

Le néolithique final est marqué par l’implantation d’une civilisation qui s’est étendue de la Péninsule Ibérique jusqu’en Europe Centrale: la Culture Campaniforme, ainsi appelée parce que ses céramistes fabriquaient des récipients en forme de cloche renversée (“campana”). L’innovation qui la caractérise, c’est l’expansion de la métallurgie du cuivre dans toute l’Europe, via des groupes humains qui transportaient cette nouvelle technologie de proche en proche dans tout l’espace concerné. Elle correspond donc à l‘âge du cuivre (ou chalcolithique) chez nous.

La métallurgie du cuivre était née d’abord au Proche-Orient. Elle a rapidement gagné les régions où ce minerai était abondant (Balkans, Péninsule Ibérique). Son extraction et son utilisation pour en faire des objets (outils, armes, parures) y a pris énormément d’ampleur dès le Vème millénaire. De véritables villes-citadelles à proximité des sites sont nées en Serbie (Varna), Bulgarie et Espagne.

Certains historiens pensent, arguments à l’appui, que c’est à cette époque que la culture celtique (une langue celtique ancestrale, de nouvelles croyances et un nouveau mode de vie) s’est répandue dans toute l’Europe occidentale , au départ d’une zone située en Europe Centrale où, depuis le début du IIIème millénaire,s’étaient installées des populations indo-européennes venues de l’est.

Comme il n’y avait pas de minerai chez nous, la technique de la métallurgie ne s’est pas développée dans nos régions à cette époque où elle fleurissait au Proche-Orient, puis dans les Balkans et dans la Péninsule Ibérique, et nos “ancêtres” ont continué à chercher du silex dans leur sous-sol, à le tailler, à cultiver leurs champs et à élever leur bétail. Il a fallu attendre 2200 et l’arrivée de la Culture Campaniforme pour voir apparaître (découverts dans les sépultures) des objets en cuivre, importés: couteaux, dagues, haches plates, brassards d’archers. Ces outils étaient en fait peu performants par rapport à ceux en silex. Ils révélaient plutôt le niveau social élevé du personnage qui les détenait, marqueur social qui s’accentua d’autant plus que la métallurgie du cuivre était accompagnée de celle de l’or et de l’argent, dont les objets étaient encore plus révélateurs du rang de celle ou de celui qui les portait.

Il existe, en vallée de Haine, peu de témoignages de cette époque, car ces marqueurs campaniformes sont trouvés dans les sépultures des guerriers et des chefs enrichis par le commerce (du cuivre et des métaux précieux) ou la guerre. Et il est probable que cela ne concernait pas nos paysans.
On a pourtant trouvé à Spiennes, à Saint-Symphorien et à Villers-Saint-Ghislain, quelques témoignages du néolithique final, dont un poignard en silex taillé finement et imitant les haches en cuivre.

A la fin de cette période néolithique, on peut dire que le nouveau modèle socio-économique est arrivé au bout de sa logique. Il a d’abord servi les groupes humains en leur apportant plus de confort et de confiance en l’avenir (par rapport à la recherche quotidienne de nourriture du nomade paléolithique), grâce à l’agriculture et l’élevage contrôlés, grâce aux nouveaux artisanats et aux premières industries. Il a ensuite servi à déterminer des groupes sociaux, des hiérarchies entre ceux-ci et des formes de pouvoir pouvant s’avérer violentes. Les âges du bronze et du fer ne feront qu’accentuer le phénomène.

Mais dans la petite vallée de la Haine, loin de ces centres enrichis et dominants, les paysans, partie majoritaire de la population, vont continuer à vivre selon les saisons, les bonnes et les mauvaises, au gré des multiples conquérants. En fait, ce sera ainsi pendant très longtemps encore…

Sites muséaux

http://www.minesdespiennes.org/
http://www.archeosite.be/fr/home/

 Site web consacré aux mégalithes et au néolithique

http://hannoniensis.unblog.fr/menhirs-dolmens-cromlechs-en-hainaut-2/