A paraître
Catégorie : Villes hors de la vallée de la Haine
Tournai
Le territoire
Superficie: 1564 ha
Altitude: de 20 à 77 m mètres
Situation géographique : dans le bassin de l’Escaut, au sud de la plaine flamande
Cours d’eau : l’Escaut qui traverse la ville actuelle du sud-est vers le nord-ouest. Un petit ruisseau, le Rieu d’Amour, se trouvait sur la rive droite.
Paysage préhistorique (après la dernière période glaciaire) : plaine marécageuse (surtout sur la rive droite), bosquets
Nature du sol : limoneux, alluvionnaire
Nature du sous-sol : grès, schistes (dévonien), pierres calcaires (carbonifère tournaisien)
La rive gauche est plus élevée que la droite, ce qui explique que le premier habitat s’y est développé.
Toponymie (anciennes orthographes) :
- Turris Nerviorum, Ier siècle
- Turnacum, 300
- Turnaco, 365
Etymologie (hypothèses d’origine du nom) :
- Turno- signifie « hauteur » en gaulois, ce qui pourrait faire référence à la rive gauche de l’Escaut où s’implanta la plus grande partie de l’habitat aux temps jadis
- -aco/acum signifie « lieu »
Préhistoire
Concernant la période du néolithique, on a récolté sur le sol de Tournai quelques outils en silex, dont une hache polie, notamment sur le site du Vieux Marché au Beurre et dans la rue de Monnel.
Deuxième âge du fer et antiquité gallo-romaine
La légende
Un chanoine du XIIème siècle attribua la fondation de Tournai au roi romain Tarquin l’Ancien.
Les origines gauloises
Les découvertes archéologiques permettent de dire aujourd’hui que sur le sol de Tournai existait un habitat gaulois au moment de la conquête romaine (-58 à -52). Rappelons que les Gaulois Ménapiens étaient installés à l’ouest de l’Escaut et que les Nerviens se trouvaient à l’ouest du fleuve. On a trouvé des indices d’habitat gaulois de part et d’autre de l’Escaut, plus importants sur la rive gauche que sur l’autre. Il semble qu’on pouvait passer l’Escaut à gué, ce que faisait un chemin ancien. Les fouilles semblent indiquer que sur la rive gauche, on s’adonnait particulièrement à la meunerie (nombreuses meules trouvées), alors qu’à droite, les tanneurs y étaient nombreux.
Les origines romaines
Il ne semble pas exister sur le sol de Tournai de signes de romanisation avant la moitié du premier siècle de notre ère. L’empereur Claude (41-54) décida de conquérir la grande île de Bretagne (l’actuelle Grande Bretagne), restée celtique malgré une petite tentative de débarquement de la part de Jules César un siècle plus tôt. Il prépara minutieusement cette opération militaire. Il comptait partir du port de Boulogne-sur-Mer, point d’embarquement aménagé déjà par César et amélioré par Caligula. Il lui fallut pour cela amener dans cette ville des troupes, qui étaient en grande partie installées sur la frontière rhénane, du côté de Cologne, ainsi que toute la logistique nécessaire pour la réussite de l’entreprise.
Il parait donc logique que la chaussée reliant Bavay à Boulogne fut construite à cette époque. Partant de la capitale des Nerviens, où aboutissaient les chaussées venant de Cologne et de Reims (capitale de la Gaule Belgique), elle franchissait l’Escaut à Ponte Scaldis (Escaupont), près de Valenciennes. Connaissant le goût des Romains pour les trajets rectilignes, surtout en plaine ou sur plateau, cette chaussée n’aurait pas dû passer par Tournai, petit habitat gaulois.
Pourquoi le fait-elle ? On peut songer à la proximité de l’Escaut, ce qui permettait d’aménager un embarcadère pour le transport fluvial. Ceci n’était pas nécessaire vu que la chaussée traversait déjà le fleuve à Escaupont et qu’un vicus/relai y fut aménagé. La raison principale tient surtout au sous-sol des environs de Tournai : la pierre calcaire, propre à fabriquer de la chaux. On a d’ailleurs trouvé des vestiges de fours à chaud (jardin de l’évêché) et des preuves d’exploitation de carrières dès cette époque vers Antoing. On sait que cette pierre n’était pas utilisée que localement, mais qu’elle était aussi exportée, notamment à Thérouanne et au camp d’Oudenburg (près d’Ostende).
Cette chaussée venant de Bavay se prolongeait au-delà de Tournai vers Wervicq (autre vicus), vers Cassel (chef-lieu de la cité des Ménapiens, grand marché pour l’écoulement du sel marin) et de là rejoignait le port militaire de Boulogne.
L’empereur Claude aurait installé à Turnacum un camp militaire de passage (castrum). Une petite agglomération (vicus) s’y serait développée progressivement au Ier et au IIème siècles, habitée par des artisans et des commerçants. Un embarcadère (portus) y aurait été aménagé.
Jusqu’au milieu du premier siècle, les fouilles n’ont pas permis de mettre à jour plus que les indices d’un habitat traditionnel (maisons en torchis). La romanisation par la suite a favorisé l’édification de bâtiments avec des parties dures (hypocaustes, canalisations, toitures en tuiles, murs à enduits peints, …) à côté de l’habitat gaulois.
Le premier document authentique qui révèle l’existence de Tournai est la table de Peutinger : Turnaco. L’itinéraire d’Antonin (IIIème siècle) l’évoque aussi. Tongres et Tournai sont les deux seules villes romaines de l’actuel territoire belge, reprises dans la Notitia Galliarum (IIIème siècle). Une chaussée secondaire relia Arras (chef-lieu des Atrébates) à Tournai et se poursuivait vers le vicus d’Asse, au nord du territoire nervien, où elle rejoignait une chaussée qui allait de Bavay à Utrecht au nord. Les deux chaussées se croisaient près de la Grand-Place actuelle. Elles traversaient la ville en son centre (cardo et decumanus), là où l’on édifia un forum. D’autres sources font plutôt mention d’une nécropole à cet endroit (Grand-Place). Peut-être s’agit-il de périodes différentes: forum jusqu’au milieu du IIIème siècle, nécropole après qu’on ait réduit la surface de la ville par une enceinte à la fin de ce siècle. Des voies secondaires s’en détachaient vers d’autres vicus : Renaix, Blicquy, Werviq et Courtrai.
La chaussée venant de Bavay (passant par Escaupont et Hollain) arrivait par les actuelles rues d’Esponoi et des Filles-Dieu. Elle traversait la Grand-Place actuelle (où se trouvait une borne miliaire) et se dirigeait vers les rues Saint-Jacques et de la Madeleine en direction de Wervicq. Elle croisait au sud de la Place celle qui arrivait d’Arras par l’actuelle rue Saint-Martin.
Avec le temps, Turnacum acquit un caractère urbain. Le site occupait un quadrilatère d’une superficie d’une douzaine d’hectares. Entre la Grand-Place et l’Escaut. C’est dans cet espace qu’ont été découverts la majorité des bâtiments d’époque, construits en pierre importée du bassin Parisien.
Sous le le Haut-Empire (jusqu’au milieu du IIIème siècle)
Tournai obtint le statut de municipe et fut dirigé par une curie. Elle continua à se développer, profitant de la paix (Pax romana) et de sa situation. On pense que la ville s’étendit sur une quarantaine d’hectares, principalement sur la rive gauche (ménapienne). Celle-ci était plus élevée et permettait d’éviter les crues du fleuve. Il existait cependant un petit habitat nervien sur la rive droite (actuel quartier Saint-Brice).
On connait l’existence d’un aqueduc, de canalisations d’eau et d’égouts. Certaines maisons (domus) étaient plus cossues, munies d’hypocaustes et de décorations en marbre. Elles étaient situées aux environs de l’actuelle Place Saint-Pierre. Mais on ne connait pas la parure monumentale de la ville dans ces deux premiers siècles.
C’est dès cette époque que l’on a commencé à exploiter à proximité les carrières de pierres et de chaux. On s’adonnait aussi en ville au commerce du grain et de la laine. Il existait un embarcadère et un quartier commercial sur la rive droite au « Luchet d’Antoing ».
Le Troisième siècle
Dans la seconde partie du IIIème siècle, l’empire romain connut une crise profonde. Le pouvoir central romain était instable. L’économie périclitait. A partir de 253-254, les Francs déferlèrent au nord de la Gaule le long de la chaussée venant de Cologne, s’adonnant aux pillages et aux ravages. De l’autre côté, la mer au nord avait envahi une bonne partie du territoire (transgression marine), réduisant notamment le commerce du sel et ruinant Cassel. Une bonne partie du territoire au nord de l’axe routier Boulogne-Bavay-Cologne fut abandonné, faisant de celui-ci une frontière virtuelle que l’on fortifia face aux Germains toujours menaçant.
Paradoxalement, au contraire de nombreuses autres villes et agglomérations (Bavay, Cassel, Liberchies, …), Tournai, comme Cambrai, résista et en profita pour devenir une ville au sens strict. Cette transition entre le Haut et le Bas-Empire fut importante. Ceci est attesté par un plus grand nombre de sépultures (nécropole de la Rue Perdue) pour cette époque. Ce qui indique aussi une absence de discontinuité dans l’occupation au IIIème et IVème siècles. Quelques trésors monétaires furent retrouvés datant de 269/270, 273 et 281 (période de Tétricus et Postumus), signifiant qu’à certains moments la menace franque fut réelle.
A la fin du IIIème siècle, lors de la réorganisation de l’empire par l’empereur Dioclétien, Tournai devint capitale (caput civitatis) de la Cité des Ménapiens à la place de Cassel (dans la province de Belgique Seconde). Une première enceinte, construite en pierre, fut érigée pour se défendre des envahisseurs germaniques qui exerçaient continuellement une menace. On n’en connait pas la date exacte. Quelques vestiges persistent : un mur de courtine avec deux tours (rue de la Loucherie). Tournai reçut alors un rôle militaire défensif sur ce nœud routier, comme à Bavay et à Famars en Nervie. Il existait dans la ville un Procurator Gynaecii Tornacensis, atelier de tissage de la laine pour la confection de vêtements militaires.
Comme partout ailleurs dans l’empire, s’installa un déclin économique et commercial. Dans ces siècles difficiles, la taille de la cité s’était réduite à l’intérieur de l’enceinte, siège d’un castrum de 15 ha. Des bâtiments anciens furent arasés. Ce camp était de plan quadrangulaire. L’embarcadère fut reconstruit à l’intérieur des fortifications (près de l’actuel quai du Marché-aux-Poissons). En périphérie, on trouvait de nombreuses nécropoles (Grand-Place, rue de Monnel, abords de la Citadelle). Dans les sépultures de la rue Perdue, on a découvert de nombreuses petites bourses. La rive droite ne fut pas complètement abandonnée non plus au IVème siècle.
La christianisation
Il semble que c’est à l’époque du règne de Dioclétien (284-306) que commença la christianisation de la ville de Tournai par Saint Piat, un missionnaire venu de Benevento en Italie. Il aurait été envoyé par l’évêque de Rome (encore clandestin, car l’empereur avait déclenché de grandes persécutions contre les chrétiens) pour évangéliser la cité des Ménapiens. Il aurait œuvré à Tournai, Douai, Orchies et Seclin où il aurait converti des milliers de païens (selon des sources hagiographiques). Il fonda à Tournai une première communauté chrétienne, clandestine, car réprouvée par l’autorité impériale. Saint Piat finit décapité à Tournai en 286, victimes des persécutions. Il fut sanctifié et une église Saint-Piat lui fut dédiée plus tard. Il fut inhumé dans un sarcophage à Seclin.
Le IVème siècle
Dans la première moitié du IVème siècle (période de l’empereur Constantin qui proclama la tolérance vis-à-vis de la religion chrétienne en 313), on constata un renouveau architectural. De nombreuses fouilles dans le Quartier St-Pierre (cœur de la ville) permirent de mettre à jour un vaste édifice avec une porte principale monumentale (rôle public probable) et un vaste local de 32 x 24m. Des hypocaustes y étaient aménagés. On y retrouva un sou d’or de l’empereur Constant (342-343).
Dans le quartier cathédral sous le cloître, on a dégagé un édifice allongé monumental, quadrangulaire, avec une salle principale de 15x20m, chauffée par des canalisations. Sous la cathédrale actuelle, se trouvait un vaste édifice du début du IVème siècle qui comportait une longue galerie et plusieurs locaux, ainsi qu’un bassin faisant évoquer des thermes.
Une grande nécropole se trouvait sous l’actuelle Grand-Place/Rue Perdue (2,2ha). Son utilisation fut accrue jusqu’à la période valentinienne (IVème). Y dominent des tombes à inhumation (plus de 200). Y furent retrouvés un sarcophage en plomb avec des motifs dionysiaques et du mobilier (v.300), des cercueils en bois cloués avec des offrandes alimentaires et du mobilier personnel très limité (céramiques, verrerie – il semble que l’on produisait à Tournai à cette époque de la céramique en terre sigillée).
Dans la seconde partie du IVème siècle, fut élevé un édifice important sous la partie orientale de la cathédrale romane. Ce bâtiment connaîtra avec le temps plusieurs transformations, qui déboucheront sur une basilique paléochrétienne s’appuyant sur l’édifice ancien. Au départ, il s’agissait probablement d’une domus (riche maison particulière).
L’utilisation de la nécropole de la Rue Perdue se termina à la fin de ce siècle. D’autres cimetières furent aménagés ailleurs avec un caractère différent jusqu’au Haut Moyen-Age. Ainsi la nécropole du parc de l’Hôtel de Ville, qui démontre une continuité d’occupation de la fin du IVème siècle jusqu’à la période mérovingienne. Y furent dégagés un mobilier de style germanique et des armes.
L’effondrement de l’empire romain d’occident
Lors des grandes invasions du début du Vème siècle, qui allaient précipiter la disparition de l’autorité impériale romaine en Gaule, ce furent les Vandales qui les premiers passèrent par Tournai dès 407. On dit que des habitants auraient été déportés en Germanie et que la ville fut saccagée. Ces Germains, dits “barbares”, continuèrent leur chemin vers le sud de la Gaule et l’Espagne.
Le royaume franc salien de Tournai (deuxième moitié du Vème siècle)
Les Francs Saliens étaient originaires d’une région au nord du Rhin (dans les Pays-Bas actuels). Une petite partie avaient déjà été installées en Toxandrie (Campine actuelle) par les Romains leur avaient cédé des territoires désertifiés à la fin du IVème siècle.
Après le passage des Vandales, il n’y avait plus aucune structure militaire efficace dans le nord de la Gaule, dévastée et dépeuplée (ce dernier phénomène était déjà visible dès la fin du IIIème siècle). Les Francs en profitèrent pour franchir le Rhin et venir s’installer. Militairement, ils étaient les plus forts. Ils avaient à leur tête des roitelets ou chefs de clan, certains plus puissants que d’autres. Le roi Clodion installa sa ou ses tribus dans la région. Lui-même s’installa à Tournai vers 430.
De l’autorité romaine précédente, il n’existait plus qu’un général, Aetius, qui maintenait autour de Soissons et Paris, un petit état romain, officiellement dépendant de Rome. Mais à Rome, il n’y avait plus d’empereur. Honorius, devant les invasions des Wisigoths, avait déplacé sa capitale à Ravenne et avait perdu toute autorité sur son empire occidental.
Clodion tenta d’agrandir son royaume. Il se heurta à Aetius et négocia avec lui un foedus, traité qui permettait aux Francs de s’installer et de vivre selon leurs coutumes. Il leur était juste demandé de défendre le nord de l’empire contre d’éventuelles nouvelles invasions. A cette époque, la menace des Huns d’Attila gagnait l’Europe occidentale.
En ce qui concerne la ville de Tournai, on constate une rupture nette dans la première moitié du Vème siècle. On abandonna les commodités symboliques de la romanité (bains, chauffage), peu usitées chez les Germains. Les nouvelles constructions se firent en bois et en torchis. Le quartier portuaire, utile pour le commerce fluvial et des déplacements vers le nord et le sud, continua à se développer durant le Vème siècle. L’artisanat reprit de l’ampleur. Au VIème siècle, on pratiquait la métallurgie du bronze dans des ateliers au cœur même de la ville. Puis se développèrent jusqu’au Xème siècle les artisanats de l’os, du bois de cerf, du verre, ainsi que la fabrication de bijoux.
Le grand bâtiment du Quartier St Pierre, évoqué plus haut, fut réaménagé pour des activités artisanales, notamment le travail de la chaux. Dans le quartier de la cathédrale, on construisit un grand édifice en opus africanum et on abandonna certaines zones du côté du cloître. Le bâtiment était assez vaste avec un portique. On y trouvait des entrepôts de grains avec un four à séchage de grains, ainsi que des bureaux administratifs.
A Clodion, succéda Mérovée qui fit bâtir un palais à Tournai, devenue ainsi capitale d’un royaume franc salien. Lui succéda son fils Childéric (451-481), dont on a retrouvé le tombeau et son trésor funéraire à Tournai. Tournai fut donc le berceau de la dynastie mérovingienne.
La première basilique paléochrétienne fut édifiée dans la seconde moitié du Vème siècle sur l’ancienne domus (supra) suite au don du propriétaire (selon la Vie d’Eleuthère, XIIème) qui aurait été un aïeul de celui-ci. La longueur est estimée à 30m. Par la suite, de nombreux réaménagements eurent lieu. La nécropole du quartier Saint-Brice date de cette époque. C’est là qu’on trouva le tombeau de Childéric.
Vint enfin Clovis (481-511), fils de Childéric. Personnage ambitieux, intelligent, charismatique, il n’eut de cesse de rétablir la Gaule dans toutes ses frontières (depuis le Rhin jusqu’aux Pyrénées) et d’unifier tous les royaumes romano-barbares qui avaient succédé au Vème siècle à la domination impériale romaine. Il le fit le plus souvent par la guerre, aux dépens des autres royaumes francs (Ripuaires, Cambrai, …), des Alamans, des Wisigoths et de l’enclave romaine survivante du désastre des invasions. Clovis quitta Tournai, trop excentrée, pour installer sa capitale d’abord à Soissons, puis à Paris. Mais Tournai restera une résidence royale (Chilpéric I et Frédégonde, Clotaire II, rois de Neustrie).
Tournai, ville épiscopale
Pour avoir de l’autorité sur toute la Gaule, Clovis avait conservé une grande partie de l’administration romaine. Il collabora surtout avec les évêques, qui étaient les garants de l’autorité dans les villes, anciennes capitales des cités.
La christianisation au Vème siècle avait gagné la plupart des villes romaines et principalement les chefs-lieux de cités. Les campagnes étaient restées païennes. Clovis, à l’origine païen, s’était fait baptiser dans la religion catholique romaine (et non arienne comme la plupart des autres peuples germains). Pour pouvoir compter sur le clergé, il avait favorisé la conversion de ses élites franques. L’ancienne capitale de la Gaule Belgique, Reims, devint le siège d’un archevêché. C’est là que Clovis se fit baptiser par son évêque Remi. Des évêques s’installèrent à cette époque dans les quelques villes du nord de la Gaule : Arras, Cambrai, Noyon, Thérouanne, Laon, …
C’est sous le règne de Clovis qu’Eleuthère devint le premier évêque de Tournai pour un diocèse qui équivalait à l’ancienne cité des Ménapiens, entre l’Escaut et la Mer du Nord. Eleuthère était né à Tournai dans une famille chrétienne vers 456. C’est Saint Remi de Reims qui le nomma évêque à Tournai en 486. La première cathédrale fut bâtie dans le dernier tiers du Vème siècle.
Les Tournaisiens d’alors étaient encore en majorité païens (l’enseignement de Saint Piat avait été perdu depuis longtemps). Dans un premier temps, ils réservèrent à leur nouveau prélat un accueil hostile. Sa prédication patiente et le baptême du roi favorisèrent les conversions. Tous ne furent pas convaincus et il semble que ce fut un sujet réfractaire qui le roua un jour de coups qui s’avérèrent mortels. C’était en 531.
A la mort de Clovis, en 511, son royaume fut partagé, selon la coutume franque entre ses fils. Clotaire I reçut la partie occidentale où se situait Tournai. Cette ville conserva son importance aux yeux des rois mérovingiens, notamment de Neustrie (royaume franc occidental). Chilpéric, vers 575, vint s’y réfugier, avec sa femme Frédégonde, lors de sa guerre avec son frère Sigebert d’Austrasie. Celui-ci fut tué à Vitry. Chilpéric, seul maître, conféra à l’évêque de Tournai la souveraineté temporelle sur la ville et ses privilèges féodaux (péages sur l’Escaut, impôts divers). L’évêque devenait ainsi comte-évêque de la ville et de sa région (pagus de Tournai ou Tournaisis).
Au VIème siècle, Tournai, grâce au trafic fluvial, maintint une certaine activité commerciale. La plupart des chaussées étaient alors dégradées. La rénovation par la reine Brunehaut n’est pas formellement attestée en Neustrie et n’est probablement qu’une légende de plus, d’autant qu’elle était reine d’Austrasie. L’extension de la population est attestée par l’extension des nécropoles hors de la ville.
Au VIIème et au VIIIème siècles, la ville connut une période sombre pour laquelle on est peu informé,alors que cette période correspond ailleurs à une reprise des échanges commerciaux, un développement de l’artisanat (surtout la métallurgie à l’est du royaume) et la fondation de nombreuses abbayes. La ville garda son siège épiscopal et son administration comtale, mais l’évêque déménagea à Noyon en 626. Il administrera les deux villes et leurs diocèses jusqu’en 1146 à partir de ce siège.
Période franque carolingienne
A l’époque de Charlemagne, Tournai était toujours la seule ville du Hainaut actuel. Une reprise économique est documentée. Le commerce fluvial a repris de l’importance. Le portus de Tournai (comme celui de Valenciennes) y gagnèrent. La ville était florissante grâce à son port fluvial, sa batellerie, son commerce et ses clercs.
L’évêque vit ses privilèges limités à son enceinte propre. Il n’avait pas autorité sur le port fluvial et la cité, qui relevaient directement de Charlemagne, un monarque centralisateur. Son fils, Louis « le Pieux », y nomma, comme dans tous les pagi, un comte dès 817. Il s’agissait d’un fonctionnaire laïc, nommé, révocable, qui recevait une partie des bénéfices du fisc royal (propriétés) de la ville. Le pouvoir du comte garda de l’importance jusqu’à la fin du siècle, lorsque le pouvoir royal s’affaiblira. L’empereur organisa le clergé (chapitre de chanoines) de la cathédrale.
La taille de la ville s’agrandit avec de nouvelles constructions, de nouveaux quartiers hors des murs de la ville. Les enceintes romaines étaient toujours debout, mais en ruine. Puisque la période était calme, sans menace extérieure ni intérieure, il ne fut pas nécessaire de les restaurer.
La première abbaye, celle de St Martin, fut fondée au IXème siècle (emplacement de l’actuel hôtel de ville) par le moine Odon qui en fut le premier abbé. Sous son impulsion, on y connut rapidement un niveau culturel très élevé, en cette période de renaissance culturelle carolingienne. La production littéraire y fut abondante, tant dans la retranscription de nombreux livres (vies de St Jérôme, St Grégoire le Grand, St Augustin, St Amboise, St Isidore de Séville, Bède, St Anselme), que dans l’écriture d’hagiographies (biographies de saints) et d’historiographies. Le moine Hériman fut le rédacteur des “Miracles de Notre-Dame de Laon”.
Le partage de l’empire
Au traité de Verdun de 843, lors du partage de l’empire entre les trois fils de Louis le Pieux, Tournai (la partie de la rive gauche, la ville réelle de l’époque) se retrouva dans le royaume de Francie Occidentale (à l’ouest de l’Escaut) du roi Charles II « le Chauve ». Les évêques et les comtes devinrent les vassaux de celui-ci. Le roi Charles céda de nouveau à l’évêque ses droits sur la cité. Si son pouvoir temporel ne s’exerçait que sur la ville (rive gauche), par contre son diocèse couvrait toute la Flandre, comté qui deviendra très riche, ce qui aura des répercussions positives sur la cathédrale. En 845, on reconstruit la cathédrale, en style carolingien.
Les invasions vikings
Les premières invasions normandes datèrent de 880. Les Vikings remontaient l’Escaut sur leurs drakkars, se livrant aux pillages, massacres et incendies de tout ce qui pouvait contenir de richesses. Les monastères et les villes souffrirent de ces faits. Les auteurs médiévaux ont, semble-t-il, exagéré la gravité de ces raids. Aujourd’hui, les historiens relativisent un peu les événements, car le déclin socio-économique qui suivit eut aussi d’autres causes, notamment politiques.
Au contraire de ce qui se passa en France, les Normands furent rejetés ici plus rapidement vers 890/892 grâce aux comtes de Flandre (Baudouin Ier “Bras de Fer”) et de Hainaut (Régnier Ier “au Long Col”).
le dixième siècle
Le roi Charles III « le Simple », en 898, autorisa de relever les anciens remparts.
A la même époque, il semble que la charge comtale disparut et que l’évêque obtint certains de ses droits sur le Tournaisis. L’évêque de Tournai était un vassal du roi de France, au même titre que son voisin, le comte de Flandre. Le roi concéda à la cité épiscopale de percevoir l’impôt et de battre monnaie.
A cette époque, le pouvoir royal de France était faible. Il s’agissait des derniers carolingiens et des premiers capétiens. Par contre, le comte de Flandre, leur vassal, était ambitieux. Le premier d’entre eux, Baudouin I dit « Bras de fer », nommé par Charles le Chauve, beau-fils de celui-ci, profitant de sa mission de combattre les Vikings, étendit les limites de son pagus au détriment de ses voisins. A l’origine, situé autour de Bruges, il s’étendit rapidement aux pagi voisins (Gand, Courtrai, …). Son fils, Baudouin II, s’implanta à Tournai en y installant une châtellenie à la porte de la cité, dans le quartier de la Bruille, sur la rive droite de l’Escaut… en territoire impérial (dépendant du roi de Germanie).
Cependant la ville resta une seigneurie aux mains de l’évêque. L’évêque résidait toujours à Noyon. C’était le chapitre cathédral qui exerçait le pouvoir dans la ville. En 910, tout le territoire tournaisien était sous la juridiction de l’échevinage Notre-Dame (banc de justice unique), dépendant de l’évêque. Le pape Jean XV en 998 confirma les avoirs et pouvoirs des évêques.
Le onzIème siècle
Ces évènements n’empêchèrent pas l’essor économique de la ville. La draperie et l’exploitation de la pierre de Tournai étaient les principales activités qui faisaient prospérer la ville. La population augmenta et la ville prit de l’expansion.
En 1064, on constata un regroupement corporatiste des “Hommes de Sainte Marie“, qui se nommèrent, après la béatification du fondateur de l’évêché, “Hommes de Ste Marie et de St Eleuthère”. Ils regroupaient les francs hommes (libres) et les serfs émancipés, qui vivaient du commerce et de l’artisanat. Contre le paiement d’un cens (impôt), ils bénéficiaient de la protection de l’évêque.
Celui-ci était élu par le Chapitre, puis sacré par l’Archevêque de Reims. Il recevait du Roi de France son pouvoir temporel sur la ville. La ville de Tournai était ainsi entièrement soustraite des deux puissants comtés voisins, Hainaut et Flandre. Quant au Quartier Saint Brice (sur la rive droite), qui se développera plus tard, il passera aussi sous l’autorité des évêques.
Cependant le commerçant tournaisien, contrairement à son homologue flamand voisin, se vit refuser les privilèges urbains, l’évêque restant très conservateur dans ses prérogatives. Les Hommes de Sainte Marie n’avaient pas réellement de statut corporatif avec de véritables franchises. Quelques émeutes s’en suivirent, comme en 1010.
Tournai, port fluvial et noeud routier entre Bavai, Arras, Boulogne et Courtrai, avait tout pour se développer économiquement. Elle était le passage obligé entre les villes de Flandre et les foires de Champagne. Les pèlerinages à St Eleuthère activaient le commerce. De nombreux serfs de la campagne affluaient, attirés par le besoin de main d’oeuvre, créé par l’arrivée de nombreux marchands et artisans. Le servage disparut progressivement de la ville. La prospérité permit de nombreuses constructions:
- la Cathédrale Notre-Dame (dès 1105) en style roman
- une dizaine d’églises
- de nombreuses maisons bourgeoises en pierre (plus de 200, en style roman)
- la seconde enceinte.
Le chapitre de la cathédrale fonda une école qui enseignait la théologie et la dialectique.
En 1090, une épidémie de peste survint. Elle s’acheva après que l’évêque Radbod II eut organisé une procession qui depuis lors se perpétue annuellement.
Divers artisanats et industries se développèrent, à côté de la draperie et de l’exploitation des carrières: la sculpture, l’orfèvrerie, les fours à chaux. Dès 1114, une foire d’automne fut organisée pour concurrencer celles de Champagne. Tournai devint un point de rencontres entre Flamands et Champenois.
Le douzième siècle – naissance de la commune de Tournai
Soumis à des dîmes et des taxes, les Tournaisiens entamèrent un long combat pour se libérer du pouvoir seigneurial de l’évêque et s’ériger en commune. La “Charité Saint Christophe“, au départ guilde marchande, acquit des compétences militaires (milices) pour protéger les caravanes marchandes. Elle assurait aussi le guet, l’entretien et la garde des remparts, ainsi que celle du beffroi. L’évêché et le chapitre s’inquiétèrent de cette montée en puissance des bourgeois. La guilde réclamait de plus en plus de pouvoirs politiques et judiciaires. En 1140 (ou 1147), l’évêché dut bien consentir à l’établissement d’un corps de jurés. Ce fut la vraie naissance de la commune de Tournai.
En 1146, Tournai devint un diocèse au sens strict (alors que depuis 626, elle était associée à Noyon). Son évêque y résidait désormais continuellement. Une véritable cour épiscopale s’y installa, très dépensière, mais cela donnait plus d’éclat à la vie urbaine. Le quartier abbatial de Saint Martin se développa. Tournai était devenue une sorte de république autonome. Un peu comme les villes italiennes de l’époque, comme Florence et Sienne.
En 1175, la Charité Saint Christophe (guilde des drapiers) affilia son port fluvial à La Grande Hanse de Londres.
La cathédrale romane fut consacrée en 1176.
Entre-temps, la royauté française avait retrouvé de l’autorité. En 1187, le roi Philippe Auguste, vint visiter Tournai. C’était un centralisateur qui s’était donné pour mission de restaurer le royaume de France, tel que l’avait reçu Charles le Chauve en 843, royaume qui s’était délité dans les premiers temps de la féodalité. Il exigea et obtint que l’évêque Evrard d’Avesnes lui remette les pouvoirs. C’était la fin de la seigneurie ecclésiastique. Il fit alors mettre par écrit les usages et les franchises, jusqu’ici coutumières. Ce fut la première charte. Elle suivait de loin celles de Flandre, mais c’est la seconde ville de l’actuel Hainaut (dont elle ne faisait pas partie alors) à obtenir une charte et à avoir un véritable statut communal, après Valenciennes.
La commune de Tournai devenait vassale directe du roi de France et pouvait s’administrer elle-même selon ses intérêts, sans l’intermédiaire d’un représentant royal. La ville était administrée par quatre consistoires, formant « les Consaux »:
- celui des jurés (trente, dont deux prévôts), exerçant la justice, y compris criminelle
- celui des échevins (quatorze ; sept sur la rive gauche, sept sur la rive droite), nommés à vie par les Hommes de Sainte-Marie (eux-mêmes propriétaires fonciers), administrant la commune, édictant les ordonnances relatives au commerce et à l’industrie, faisant fonction de notaires
- celui des eswardeurs
- celui des mayeurs
Les Consaux siégeaient à la Halle des Consaux (disparue). Tournai créa des compagnies militaires, qui furent obligées de participer aux campagnes royales (300 soldats).
Cette charte en inspira d’autres dans la région. La ville obtint le droit de posséder une cloche. Ce fut l’origine du beffroi, le plus vieux de Belgique.
A côté des « Hommes de Sainte Marie », propriétaires fonciers, on trouvait les marchands aisés, regroupés dans la “Charité St Christophe”. Les deux groupes se partageaient le banc des jurés. Les artisans et les petits commerçants n’avaient que des droits civils d’hommes libres, mais ils étaient privés de droit politique. Quant aux ouvriers (tisserands, foulons, teinturiers,…), ils formaient le prolétariat, mal payé et relégué dans les faubourgs de la cité (hors les murs).
Les convoitises extérieures
En 1197, le comte Baudouin IX de Flandre et VI de Hainaut (celui qui deviendra empereur latin de Constantinople en 1204) mit le siège devant la ville. Il s’était allié au roi d’Angleterre, Jean-sans-Terre, face à celui de France, Philippe-Auguste, qui refusait de rendre des terres à la Flandre. Le siège échoua. Une trêve ramena la paix et quoique Tournai se fut rangée aux côtés du roi Philippe-Auguste, Baudouin IX, devenu empereur à Constantinople, lui fit de grandes largesses. La ville pût obtenir une châsse fabriquée par l’orfèvre mosan Nicolas de Verdun.
Le beau-fils de Baudouin IX, époux de sa fille Jeanne, Ferrand de Portugal, en lutte contre Philippe Auguste, s’empara de Tournai en 1213 avec l’aide de l’empereur, Otton de Brunswick. Les coalisés (Angleterre, Empire, Flandre et Hainaut) furent battus à la bataille de Bouvines en 1214 et Ferrand fut fait prisonnier.
Le treizième siècle
Cette période troublée n’empêcha pas la ville de continuer à prospérer, sa population de croître, ses bourgeois d’acheter des terres, notamment sur la rive droite.
Les draps s’exportaient jusqu’à Gênes et Venise. On construisit une halle aux draps (1228) qui devint vite trop petite. On en construisit une seconde.
Une véritable école de sculpture et d’architecture naquit qui influencera toute la vallée de l’Escaut, et même le monde occidental. C’est à ce moment que fut construit le Pont des Trous. La vie intellectuelle y était riche (école littéraire, école de philosophie). L’orfèvrerie était renommée (Châsse de St Eleuthère). La dinanderie tournaisienne rivalisait avec sa consoeur mosane. De grandes joutes y étaient données.
Mais le fossé s’élargissait entre les classes sociales. Le petit peuple devait se débrouiller comme il le pouvait. Les artisans se répartissaient en trois sortes d’associations:
- l’alliance des métiers (corporations)
- la confrérie (pour la solidarité)
- l'”assaulée de pui” (sorte de chambre de rhétorique et de poésie).
Les patriciens voyaient d’un mauvais œil les associations des artisans. En 1280, ils tentèrent de les faire interdire par les Consuls de la ville. Une insurrection s’ensuivit. Elle fut matée et de nombreux artisans furent déportés vers Paris. Cette première révolte était celle du petit peuple contre la grande bourgeoisie (et non pas contre le clergé ou le seigneur-évêque).
Le quatorzième siècle
En 1302, les compagnons tisserands soutinrent clandestinement ceux de Lille et de Gand. On devenait comme là-bas antifrançais. Une nouvelle émeute fut sévèrement réprimée en 1307.
En 1313, le roi de France Philippe IV le Bel envahit le Tournaisis, s’empara de la châtellenie et des droits de justice des échevins. En 1328, son neveu, Philippe V de Valois, monta sur le trône. Il supportait mal ces effervescences bourgeoises et ouvrières. Il obtint en 1332 du Parlement de Paris un arrêt qui brisa ces mouvements. La couronne récupéra la justice et supprima les droits et privilèges aux dépens des prévôts et des échevins.
La Guerre de Cent Ans commença. Entre Anglais et Français. Tournai était française. Les Anglais du roi Edouard III, aidés par les villes flamandes (les milices de Jacques Van Artevelde) et par le Comte de Hainaut, vinrent assiéger Tournai en juillet 1340. Tournai se défendit bien et les alliés durent lever le siège en septembre. Philippe de Valois récompensa les Tournaisiens pour leur vaillance et rétablit les droits qu’il avait retirés en 1332. Tournai récupéra tous les droits du châtelain, de l’avoué et de l’évêque. Les bourgeois se réapproprièrent l’échevinage. Ils votèrent des maltôtes (impôt sur la bière et le vin) et des gabelles (impôt sur le sel) à prélever sur le petit peuple, ses productions et son commerce.
En 1365, les métiers se rassemblèrent et se révoltèrent à nouveau. Ils furent calmés par l’évêque. Les corporations furent restaurées et les bannières rendues aux divers métiers. Elles réorganisèrent la milice de guet et envoyèrent des membres représentatifs au gouvernement de la cité.
Cela ne dura que 16 mois, le Roi de France supprimant de nouveau les acquis en 1367 et restaurant de nouveaux impôts. D’émeutes en révoltes, les libertés communales furent finalement rétablies. Une nouvelle constitution donna tous les pouvoirs à l’aristocratie urbaine.
Ce XIVème fut donc un siècle de déclin. Luttes sociales, guerre de Cent Ans, pestes et famines en furent les facteurs causaux.
Le quinzième siècle
Le XVème connut une reprise économique et artistique. Des sculpteurs (Jacques de la Croix, Pierre Polait, Maître Gilibert, …), des peintres (Roger Campin, Rogier de la Pasture et Jacquelotte Daret), des tapissiers de haute-lisse (Pasquier Grenier), des fondeurs de laiton firent la gloire de Tournai. Dans le domaine de la tapisserie, Tournai avait supplanté celle d’Arras.
Mais les évêques restaient les maîtres de la ville et se comportaient toujours en grands féodaux. Ils poursuivaient aussi les hérétiques. L’évêque Jean de Thoisy s’opposa aux revendications bourgeoises, telles que celles qui demandaient à commercer avec la Bourgogne, ennemie de la France. L’évêque prit parti pour les Armagnacs contre les Bourguignons, dans la lutte qui opposait ces deux factions autour du trône royal. Il fut ici soutenu par les métiers. C’est ainsi que ceux-ci parvinrent, en 1424, à attirer l’attention du roi et à ré-obtenir privilèges et bannières, au grand dam de l’évêque. Plus forts, ils participèrent au gouvernement de la ville. On créa pour eux un collège des doyens et sous-doyens des métiers.
Tournai resta fidèle au roi de France, alors que celui-ci était bien mal en point dans la première moitié du siècle, face aux Anglais qui occupaient une grande partie de leur pays, y compris Paris, et face à la puissance montante des ducs de Bourgogne (devenus comtes de Flandre et de Hainaut). Deux partis s’opposaient dans la ville. Les patriciens voulaient avant tout préserver leurs intérêts commerciaux et ne pas heurter les ducs de Bourgogne qui étaient maîtres de tous les territoires autour du Tournaisis (Flandre, Hainaut, Artois). Quant aux métiers, ils restaient fidèles au roi Charles VII de France.
A l’époque de Charles le Téméraire, les Tournaisiens prêtèrent serment à leur suzerain français, Louis XI. Ce qui entraîna la colère du premier qui bloqua tout commerce entre ses états et la cité épiscopale. Celle-ci en pâtit durement. Louis XI fut reçu somptueusement à Tournai en 1464 et accorda de nouveaux droits à la commune.
Lorsque le Téméraire mourut en 1477, sa fille Marie de Bourgogne demanda aux Tournaisiens de se montrer neutres dans le conflit franco-bourguignon. Louis XI plaça une garnison française dans la ville, alors qu’il saccageait le Hainaut et l’Artois.
Le commerce s’en ressentit et Tournai fut à nouveau économiquement affaiblie.
Le seizième siècle
Période anglaise (1513-1519)
En 1512, lorsque les Pays Bas de la régente Marguerite d’Autriche optèrent pour la Sainte Ligue (Empire de Maximilien, Aragon de Ferdinand, Angleterre d’Henri VIII et Papauté de Léon X) contre les Français de Louis XII qui s’attaquait à l’Italie, Tournai chercha à rester neutre.
Le roi Henri VIII d’Angleterre cherchait à en découdre avec les Français. Il vint, aidé par Maximilien d’Autriche, prendre Tournai, mal défendue. Il y installa son chapelain Wolsey. Henri VIII fit lui-même son entrée solennelle dans la ville le 25 septembre 1513. Il y laissa une forte garnison. Il y fit édifier une citadelle (détruite en 1669-1688 par Vauban) et des fortifications dont la tour Henri VIII actuelle est un vestige. Cette période anglaise dura de 1513 à 1519.
Période espagnole (1522-1713)
En 1519, le roi de France, François I, racheta Tournai aux Anglais. Mais son ennemi, Charles Quint, devenu empereur de Germanie et roi d’Espagne, vint assiéger et s’emparer de la ville en décembre 1521. Il l’annexa à ses Pays Bas par un décret du 15 février 1522.
Tournai perdit ses privilèges urbains, notamment les collèges des eswardeurs et des doyens des métiers. Le souverain des Pays-Bas (donc déjà comte de Flandre, de Hainaut, d’Artois, duc de Brabant, …) devenait aussi seigneur de Tournai (et comte du Tournaisis). Sur le plan judiciaire, Tournai dépendit du Conseil du comté de Flandre.
Pour le reste, les Tournaisiens pouvaient voter leurs subsides. Ils avaient leurs propres Etats (parlements) qui envoyaient des députés aux Etats Généraux des Pays-Bas (Dix-Sept Provinces, soit une entité séparée de l’empire et de la France et dépendant de la couronne d’Espagne). Tout ceci fut officialisé par la Pragmatique Sanction de 1549.
Les troubles religieux
Ce fut une période de déclin économique, aggravée dans la seconde moitié du siècle par les troubles religieux. La Réforme atteignit Tournai comme toutes les autres villes d’Europe du nord. Elle y fut bien accueillie sous sa forme calviniste.
En 1559, la réorganisation des diocèses, par le roi Philippe II et le Pape, enleva à celui de Tournai Bruges et Gand qui devinrent eux-mêmes diocèses. Tous étaient sous l’obédience du nouvel archevêché de Cambrai.
En 1566, les églises furent victimes de la vague iconoclaste répandue par les Calvinistes dans tous les Pays-Bas. Le gouverneur des Pays-Bas envoya à Tournai Philippe de Montmorency, comte de Hornes, pour rétablir l’ordre. Jugé trop peu zélé, il fut remplacé par Philippe de Noircames, grand bailli de Hainaut, beaucoup plus enclin à la répression violente. 152 protestants furent exécutés. Beaucoup d’autres choisirent l’exil.
Ce qui n’empêcha pas les Calvinistes tournaisiens d’y prendre le pouvoir de la ville en 1567. Les troubles se perpétuèrent pendant une dizaine d’années.
Fatigués des exactions des troupes espagnoles, de l’autoritarisme du nouveau gouverneur, le duc d’Albe, et exaspérés de la lourdeur des impôts, les autorités des Pays-Bas signèrent la « Pacification de Gand » en 1576. Tournai y adhéra.
En 1579, les provinces du sud des Pays-Bas, en grande partie catholiques, surtout dans les campagnes, adhérèrent à « l’Union d’Arras » alors que les provinces du nord créèrent l’Union d’Utrecht.
Le nouveau gouverneur, Alexandre Farnèse, en profita en 1581 pour reprendre Tournai. La ville opposa une forte résistance, menée par Christine de Lalaing (photo de sa statue). Puis la situation s’apaisa, grâce à la diplomatie de Farnèse. Ce qui n’empêcha pas un nouvel exil d’une partie, restée protestante, de la population active de la ville. Tournai, comme toutes les autres villes, en sortit ruinée.
Heureusement le gouvernement des archiducs Albert et Isabelle permettra la reprise de l’économie.
Le dix-septième siècle
La première moitié de ce siècle bénéficia de la paix qui profita aux affaires.
Il n’en alla plus de même lorsque Louis XIV, partisan de repousser les frontières de son royaume jusqu’au Rhin (comme dans l’ancienne Gaule), tira profit de toutes les occasions qui se présentèrent pour envahir les Pays-Bas Espagnols, assez mal défendus.
Après un siège de deux jours, l’armée française s’empara de la ville le 21 juin 1667. Louis XIV y fit construire une nouvelle citadelle et la ville fut entourée de bastions. On rectifia les berges de l’Escaut, ce qui entraîna la modification du système des ponts. Nombre de maisons furent reconstruites.
Malgré le Traité de Nimègue de 1678 qui rendait aux Pays-Bas une partie du territoire envahi, Tournai resta française, ainsi que Lille, Valenciennes et Cambrai.
Ce fut malgré tout une période de prospérité, d’autant plus que Louis XIV y fit installer le Parlement des Flandres.
Le dix-huitième siècle
Puis vint la Guerre de Succession d’Espagne, avec une nouvelle intervention de Louis XIV dans les Pays-Bas. Ce qui entraîna une coalition internationale pour le repousser. L’Anglais Marlborough et l’Autrichien Eugène de Savoie vinrent mettre le siège devant la ville en 1709. Les Français capitulèrent au bout de deux mois. Ils perdirent d’autres batailles, dont celle de Malplaquet.
La France était épuisée et ruinée, ce qui amena le Traité d’Utrecht de 1713. Les Pays-Bas devinrent autrichiens. Tournai y fut rattachée. Les Hollandais, suivant le Traité de la Barrière, purent installer des garnisons dans plusieurs villes, dont Tournai et Mons.
Tournai redevint une petite ville provinciale, privée des débouchés français.
Lors de la Guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), les Français de Louis XV, commandés par le maréchal de Saxe, vinrent encercler la ville en 1745, tout en allant combattre à Fontenoy où ils furent victorieux le 11 mai. Quatre jours après, la ville tombait. Le roi de France fit son entrée dans la ville.
En 1748, le Traité d’Aix-la-Chapelle l’obligea à restituer ses conquêtes.
Durant le règne de l’impératrice Marie-Thérèse, Tournai connut une reprise économique, grâce à ses boutonneries, ses filatures et sa porcelaine. Les grands axes routiers furent pavés pour favoriser le commerce d’exportation. Une manufacture de porcelaine venait d’être créée en 1750 qui rivalisa avec celle de Sèvres.
Tout cela s’accompagna d’une poussée démographique.
Lorsque Joseph II succéda à sa mère, il vint visiter Tournai. Il se lança dans des réformes qui lui aliénèrent les populations, encore très conservatrices, des Pays-Bas. Ici, il fit démanteler les fortifications de la citadelle de Louis XIV, il fit fermer deux couvents, et entreprit des réformes administratives et judiciaires qui indisposèrent.
En 1789, Tournai figurait parmi les quelques villes qui, à l’instar de la France, se rebellèrent contre l’ancien régime (autrichien). Sous l’empereur Léopold II, la situation s’apaisa.
Période Française (1792/1794-1814)
Début novembre 1792, après la défaite de Jemappes, les Autrichiens évacuèrent Tournai. Les révolutionnaires français tentèrent de se concilier la population en faisant savoir par une proclamation que l’occupation serait supportée par les ordres privilégiés.
Des Tournaisiens favorables à la Révolution fondèrent un club des «Amis de la Liberté et de l’Égalité». Une «Administration provisoire» se substitua aux Consaux à la tête de la ville. Ses membres se conduisirent avec modération. L’aigle impérial autrichien qui surmontait le beffroi en avait été descendu le 20 novembre et remplacé par le bonnet phrygien, symbole de la révolution.
Après que l’Assemblée Nationale eut rendu le 15 décembre 1792 à Paris un décret supprimant toutes les autorités, institutions, impôts et coutumes de l’Ancien Régime, les administrateurs provisoires de Tournai émirent une protestation.
La nouvelle administration fut nommée par des commissaires nationaux envoyés de Paris. Le 1 mars 1793, l’assemblée se prononça pour la réunion à la France. La Convention, à Paris, décréta le 23 mars que Tournai et le Tournaisis feraient désormais partie intégrante du territoire de la République Française.
Mais suite à la défaite française de Neerwinden, les Français quittèrent la ville où les Autrichiens rentrèrent le 31 mars 1793. Ces derniers rétablirent aussitôt l’ancienne magistrature.
Les Français revinrent quelques mois plus tard et restèrent les maîtres de la ville jusqu’en 1814. Ils supprimèrent le Tournaisis, qui fut alors rattaché au département de Jemmappes (plus tard à la province du Hainaut). Le Concordat napoléonien de 1801 étendit les frontières du diocèse de Tournai à tout le département.
Le XVIIIème siècle vit à nouveau se développer la tapisserie et l’industrie de cuivre et du laiton, ainsi que la fondation de la manufacture royale et impériale de porcelaine et de tapis. Ces industries disparaîtront au cours du XIXème.
Répartition des pouvoirs pendant la période contemporaine (à partir de 1830)
- Etat: Belgique
- Province: Hainaut
- Arrondissement administratif et judiciaire : Tournai (chef-lieu)
- Canton: Tournai
En août 1914, Tournai fut défendue par des soldats français qui eurent à subir de lourdes pertes le 24 août. Puis ce fut quatre ans d’occupation, avec ses déportations, ses réquisitions et ses privations. La ville fut libérée le 8 novembre 1918.
Tournai aura encore à souffrir des bombardements de 1940. On reconstruira ensuite dans le même style, après la guerre. L’Escaut fut réaménagé en 1945.
Patrimoine
La cathédrale Notre-Dame
Le premier édifice de l’évêque fut édifié sous l’épiscopat d’Eleuthère vers 531 sur un site gallo-romain occupé aux IVème et Vème siècles. Il devait avoir la forme des basiliques quadrangulaires romaines. Ce bâtiment fut modifié au IXème siècle dans le style carolingien, accompagné d’un « groupe épiscopal » avec le palais de l’évêque, un baptistère et une seconde basilique consacrée à Saint-Etienne. Ce bâtiment aurait été détruit par les Vikings en 881.
Plus tard, on reconstruisit une cathédrale en style roman scaldien (proche du style anglo-normand) qui fut consacrée en 1171. Si le chœur a disparu aujourd’hui, il en reste la nef principale, le transept et le cloître du chapitre.
Vingt ans plus tard, en 1198, on voûta en style gothique le chœur et le transept. Quelques années plus tard, il fut décidé de tout reconstruire en gothique. Si le chœur fut achevé en 1255, le reste ne suivit pas, hormis quelques chapelles (Saint-Louis et Saint-Sacrement, à la fin du XIIIème) et un remaniement de la façade par un vaste porche (début du XIVème).
Par contre, dans les siècles suivants, la décoration intérieure sera soignée.
La cathédrale aura à subir les dommages des iconoclastes calvinistes en 1556, des révolutionnaires en 1792 et 1794, ainsi que des bombardements allemands en 1940. C’est le poids des ans qui oblige à ce que ce noble bâtiment soit quasi continuellement soumis à des réparations depuis des décennies.
Le siège épiscopal. Du bâtiment roman du XIIème, il ne reste que peu de témoignages. Les réaménagements furent multiples par la suite. La tourelle date de 1643.
Eglise Saint-Quentin, initialement construite au IXème. Il en reste la nef romane du XIIème, ainsi que la tour et le transept. Le chœur est du XIIIème.
Eglise Saint-Jacques. Construite en un style de transition romano-gothique, dont il reste la nef du XIIIème. Le chœur est du XIVème.
Eglise Sainte-Marguerite, construite au XIVème. Un incendie en 1733 détruisit une grande partie. Il reste la tour médiévale. Le reste a été reconstruit.
Eglise Saint-Brice. Conserve sa nef romane du XIIème et son chœur du XIIIème.
Abbaye Saint-Martin. Construite au XIème. Il en reste le porche. Le reste a été détruit à la Révolution.
Le beffroi a été commencé en 1187. Un des plus anciens d’Europe.
La halle au drap encore présente à Tournai date de 1610-1612.
Il existe de rares vestiges de l’enceinte du XIème siècle (le Fort Rouge, tour Saint-Georges).
La Tour Henri VIII est du début du XVIème siècle.
La ville possède encore quelques maisons anciennes, depuis le XIIIème. Elles sont nombreuses pour les XVIIème et XVIIIème siècles.
Bibliographie
Tournai. Ancien et Moderne. Par A.F.I. Bozière, 1864
L’occupation du sol à Tournai et dans le Tournaisis du Ier au Vème siècle de notre ère, Marcel Amand, Revue belge de Philologie et d’Histoire, 1955
Tournai, ville d’art et d’histoire, Fabrique de l’église cathédrale de Tournai, 1995
Cambrai
Géographie
Cambrai est une des plus anciennes villes du Nord. Elle est apparue, située sur l’Escaut, à une altitude qui varie de 41 à 101 m, sur une superficie de 181,2 ha.
Préhistoire
Il existe des témoignages d’une présence humaine à proximité.
Période néolithique: On a trouvé un dolmen sur la colline du Mont-des-Bœufs qui domine la ville. Deux autres pierres levées se trouvaient à la sortie de la ville en direction de Bavay. Il est probable qu’une ancienne route y passait.
On a retrouvé des indices de vie humaine de l’âge du bronze ancien: céramiques, pierres taillées.
Il en est de même pour le deuxième âge du fer en pays Nervien : traces de nécropole du Ier siècle avant J.C. et du Ier siècle après, avec des tombes à crémation (Nécropole du « Nouveau Monde », découverte en 2006 en périphérie de la ville actuelle). Dans ces tombes, on trouva des dépôts funéraires : offrandes animales, fibules, couteaux, céramiques, chenets, chaudron, seaux (éléments du banquet funéraire et du culte celtique du foyer).
Antiquité romaine
Après la conquête romaine en -57, les envahisseurs y auraient érigé un castrum (Camaraco) pour les vétérans de l’armée, sur la rive droite de l’Escaut, à partir duquel il est navigable (pour de petites embarcations).
Quatre sections de voies romaines y passaient, en direction de Bavay, Arras et de Boulogne. Cette situation favorisa le développement d’un vicus en bord de fleuve: portus.
Sous le Haut Empire romain, Camaracum n’était qu’un bourg rural de la cité des Nerviens dont la capitale était Bavay/Bagacum. Il s’urbanisa peu à peu. Des fouilles ont permis de retrouver des vestiges de cette époque (habitat, monnaie, poteries, hypocaustes, fours de potiers, dépotoirs) datant des deux premiers siècles.
A la limite orientale, on a retrouvé une nécropole du Bas-Empire (III-IVème siècles). Sous l’actuel lycée Fénelon, on a retrouvé des vestiges du IVème siècle.
Au milieu du III siècle l’avance des Francs vers le sud détruisit en grande partie Bavay. Elle fut remplacée au IVème siècle par Cambrai comme capitale de la Cité des Nerviens, sous le nom de « Civitas Camaracum ».
Au IVème siècle, Cambrai souffrit aussi de la grande crise et se vit réduite à une petite agglomération fortifiée (quelques vestiges près de l’ancienne cathédrale). Mais la qualité du « castrum », situé sur un petit plateau, proche de l’Escaut, et des voies romaines importantes (accès à Boulogne et Cologne notamment) faisait de Cambrai une cité moins exposée que Bavay, d’ailleurs complètement ruinée.
Période franque mérovingienne et carolingienne
Lors de l’installation des Francs Saliens dans la province de Belgique Seconde entre 430 et 450, Cambrai fut choisie comme capitale d’un petit royaume sous la direction d’un roitelet, Ragnacaire. A la fin du siècle, il fut délogé par Clovis, qui dirigeait le royaume franc salien de Tournai et qui s’empara de presque toute l’ancienne Gaule romaine. On trouve des nécropoles mérovingiennes extra-muros, contenant du matériel riche.
Seule véritable ville de l’ancienne cité nervienne, Cambrai fut choisie pour devenir siège d’un évêché. En fait Saint-Vaast (Vedastus), un disciple de Remy de Reims, évangélisa la région et installa son siège d’évêché à Arras. Un de ses successeurs préféra Cambrai, plus sécurisée et plus développée.
Le diocèse s’étendait sur tout l’ancien territoire des Nerviens, du Cambrésis au sud jusqu’à l’estuaire de l’Escaut au nord, entre l’Escaut et la Forêt Charbonnière.
Cambrai était aussi à la tête d’un pagus, division administrative franque, dirigée par des comtes nommés par le roi. De bonnes relations s’installèrent entre le comte et l’évêque. Ce fut notamment le cas entre Waddon et Saint-Géry (584-622). On connait le grand rôle administratif des évêques dans cette période charnière entre la période romaine et la période franque. Eux et leur entourage étaient lettrés, ce qui n’était pas le cas des rois et aristocrates francs qui détenaient le pouvoir politique et militaire.
Jusqu’en 1094, Arras et Cambrai ne formèrent qu’un seul diocèse pour les deux anciennes cités des Nerviens et des Atrébates. Ils furent séparés lors de la Querelle des Investitures à la fin du XIème siècle.
Cette période mérovingienne est marquée par une longue période de paix pour les habitants de la ville et la région, loin des conflits qu’entretenaient les membres des familles royales. Cambrai devint véritablement une ville, située dans le royaume de Neustrie. Ses murailles étaient sans doute toujours les mêmes que du temps des Romains. Le développement urbain, avec ses églises, doit beaucoup à l’évêque Saint-Géry (v550-v622/625) qui transféra le siège du diocèse d’Arras à Cambrai.
Petit à petit le pouvoir de l’évêque augmenta, d’autant plus que certains rois au VIIème siècle lui firent des donations de territoires dont ils engrangeaient les bénéfices.
Au IXème siècle, sous l’empereur Louis le Pieux, les évêques, au lieu d’être élus par leur clergé, furent nommés par les rois. C’est le point de départ des futurs conflits entre Eglise et Empire.
La liste détaillée des évêques de Cambrai figure en fin de ce chapitre.
Le comté de Cambrai
On a vu que sous les rois mérovingiens, il existait pour le pagus de Cambrai (Cambrésis) des comtes, dont on ne connait rien. L’empereur continua, jusqu’au IXème siècle, de nommer des comtes révocables, à charge non héréditaire, sous son contrôle et celui des missi dominici.
À la suite du traité de Verdun en 843, Cambrai se retrouva ville frontière entre le royaume de Francie Médiane de Lothaire Ier et celui de Francie Occidentale de son frère Charles le Chauve. Les premières décennies de ce royaume sont complexes et explicitées dans un chapitre spécifique.
Le comté de Cambrésis fut placé dans le la Francia Media de Lothaire, puis dans la Francia occidentale, puis dans l’empire germanique, puis encore dans la Francia avant d’être rattaché à l’empire en 925 pour quelques siècles. En conséquence l’Escaut devint pour huit siècles la frontière du royaume de France et de l’Empire Germanique.
Le premier comte connu du comté carolingien de Cambrai fut Eurianus, cité en 875, donc nommé par le roi Charles le Chauve, qui était également à ce moment roi de Lotharingie.
Boson de Provence, beau-fils de l’empereur Louis II le Jeune et de Charles le Chauve, lui succéda jusqu’en 879.
Raoul I de Gouy « Taillefer » (?-896). Petit-fils de Gérard de Roussillon (qui fut entre autres comte du vieux pagus de Brabant et comte d’Ostrevent), il devint lui-même comte de Senlis, de Cambrai (entre 879 et 896) et d’Ostrevent, probablement nommé par l’empereur. Il fut tué par Herbert I de Vermandois vers 903. Il épousa Algidis/Alaidis d’Amiens, dont il eut une fille, Berthe “de Cambrai”.
A son époque et à celle de l’évêque Rothade (879-886/887), Cambrai fut mise à sac en 881 par les Vikings qui s’étaient installés à Condé et organisaient leurs raids dévastateurs à partir de ce site. Ce fut l’occasion pour l’évêque Dodilon (888-apr902) d’améliorer les anciennes fortifications d’origine gallo-romaine.
En 896, l’empereur Arnould de Carinthie confirma que le comté de Cambrai dépendait au temporel de lui et au spirituel de l’archevêque de Reims.
Isaac I “de Valenciennes” ou “de Cambrai” (?-avt948). D’ascendance inconnue, il devint le beau-fils du précédent après avoir épousé entre 916 et 923 Berthe de Cambrai, la fille du comte Raoul. Il était aussi châtelain de Valenciennes et avoué de l’abbaye de Maroilles.
Par un diplôme publié le 30 avril 948 à Aix, Otton Ier accorda à l’évêque Fulbert les pouvoirs temporels sur la ville. Le comte continuera à exercer le pouvoir temporel sur le Cambrésis, hors de la ville.
Succédèrent à Isaac:
- Arnould I de Cambrai (?- 967), fils du précédent, aussi châtelain de Valenciennes et comte du Cambrésis de 948 à 967.
- Arnould II de Cambrai (?-1012), fils du précédent. Comte du Cambrésis en 967, puis comte de la marche de Valenciennes, crée par l’empereur Othon Ier en 973.
En 1007, Arnould céda le comté à Erluin, évêque de Cambrai, dont les pouvoirs temporels furent étendus en 1007 à tout le Cambrésis par l’empereur Henri II. Il n’y aura plus de comte laïc à Cambrai, mais des comtes-évêques.
Le comté épiscopal de Cambrai
Le Cambrésis fut dès lors une principauté ecclésiastique, comme celle de Liège, autonome au temporel, mais vassale du Saint-Empire Romain Germanique. Les évêques prirent le titre de comte-évêque du Cambrésis, petit territoire si on le compare à celui de l’évêché complet qui s’étendait au nord jusqu’au Brabant néerlandais.
Le pouvoir spirituel de l’évêque en effet s’exerça sur un immense diocèse qui s’étendait sur toute la rive droite de l’Escaut jusqu’à son embouchure dans la Mer du Nord. Il était bordé :
- à l’est par le diocèse de Maastricht/Liège, qui comprenait Louvain, Nivelles, Thuin, Chimay
- au sud par les diocèses de Laon et de Noyon
- à l’ouest (au-delà de l’Escaut) par les diocèses d’Arras, réuni à Cambrai jusqu’en 1094, et de Tournai.
- Au nord, bordé par le diocèse d’Utrecht (le diocèse de Cambrai s’étendait donc jusqu’à Anvers).
Il était un des trois diocèses de Basse-Lotharingie, avec Liège et Utrecht. Il recouvrait en fait l’ancienne cité romaine des Nerviens.
A la fin du document, des détails précisent le rôle de divers évêques dans les contextes politiques de leurs époques.
Au IXème siècle intervint une nouvelle organisation du diocèse, regroupant les 500 paroisses en 5 archidiaconés, chaque archidiaconé étant lui-même divisé en 3 ou 4 décanats ou doyennés :
- archidiaconé de Cambrésis , correspondant au Pagus Cameracensis, mais agrandi.
- archidiaconé de Hainaut , correspondant au Pagus Hainoensis.
- archidiaconé de Valenciennes , concordant avec les Pagi Fanomartensis et Templutensis.
- archidiaconé de Brabant, correspondant au Pagus Brachbatensis
- archidiaconé d’Anvers, correspondant au Pagus Antwertensis.
Dans le diocèse, de nombreuses abbayes furent érigées, afin de christianiser les vastes campagnes demeurées païennes.
La ville de Cambrai
Pendant ce temps, la structure de la ville évoluait. Le cœur de celle-ci regroupait tous les bâtiments ecclésiastiques, notamment la cathédrale qui fut agrandie à plusieurs reprises, ainsi que le palais épiscopal.
Les activités économiques furent rejetées dans les faubourgs, notamment sur le Mont-des-Bœufs et le Mont Saint-Géry. Une nouvelle église dédiée à ce saint fut commencée sous l’épiscopat de Thierry en 863. On en a dégagé quelques structures lors de fouilles.
La ville prospérait, grâce surtout à la production de draps et de toiles de lin.
Dans la seconde moitié du XIème siècle, les bourgeois de la ville, qui s’organisaient en corporations, commencèrent à revendiquer des privilèges communaux. Des insurrections eurent lieu à Cambrai en 1077. Pendant un siècle et demi, ces bourgeois obtinrent de l’évêque des chartes de franchises, à certaines périodes, mais qui leur étaient retirées à d’autres. Les émeutes furent nombreuses.
A la même période, les évêques eurent aussi à prendre position pour le pape ou l’empereur, pendant la Querelle des Investitures.
L’évêque Nicolas de Chièvres (1137-1167) fit rebâtir la cathédrale sur un plan nouveau. Commencée, dans le style roman en 1148, elle sera achevée en 1472, dans le style gothique.
Cambrai était à cette époque un centre culturel important, notamment sur le plan musical.
Le comte-évêque se devait de défendre la ville. Il disposait de soldats, d’archers, d’arbalétriers, d’artilleurs ayant à leur tête un connétable. Une forteresse, le château de Selles, avait été édifiée pour défendre la ville. Le Cambrésis comportait d’autres châteaux : Oisy le Verger, le Cateau et Hordain.
L’évêque possédait tous les pouvoirs, notamment de justice. Il nommait les prévôts et les échevins. Il dictait les lois avec l’assentiment du chapitre et battait monnaie. Il était véritablement le souverain.
Comme seigneur temporel, il était entouré d’une véritable cour, formée par toute une hiérarchie de fonctions diverses:
- Le châtelain, qui protégeait les moissons, et veillait à l’entretien et à la sécurité des routes
- le vidame, qui protégeait le prélat et son église,
- le bailli, qui était le fondé de pouvoir de l’évêque auprès des diverses juridictions.
Au plan fiscal, il percevait aussi les droits de relief sur la mutation des fiefs, les impôts sur les grains, les moulins, les boulangeries, les brasseries, les marchés, le commerce de la toile, du vin, de la bière, etc…
Cambrai connut durant le XVème siècle un déclin économique. A cette époque, la Guerre de Cent Ans et l’opposition entre les rois de France et les ducs de Bourgogne eurent des conséquences dommageables pour le Cambrésis, qui se trouvait entre les deux puissances, tout en dépendant théoriquement de l’empire germanique et en ayant une autorité spirituelle sur un diocèse qui faisait partie des Etats Bourguignons depuis 1431.
Le duché épiscopal de Cambrai
En 1510, l’empereur Maximilien érigea le Cambrésis en duché. L’évêque devenait duc-évêque.
En pleine guerre entre Charles Quint et François I, le premier fit construire une citadelle à Cambrai en 1543.
Le duché archiépiscopal de Cambrai
1559 vit une nouvelle réforme des divisions administratives de l’Eglise.
Le siège épiscopal fut érigé en archevêché lors de la grande réorganisation ecclésiastique des Pays-Bas méridionaux par la bulle « Super Universas » du pape Paul IV en 1559. Ceci afin de mieux combattre la Réforme dans des diocèses moins étendus et mieux structurés.
Du diocèse de Cambrai furent soustraits de nouveaux diocèses : Malines et Anvers, ainsi qu’une partie du territoire qui revint à celui de Tournai. Il conserva le Hainaut.
L’archevêque de Cambrai eut donc sous son obédience : Arras, Tournai, Namur, Saint-Omer.
La nouvelle organisation diocésaine de Cambrai fut très vite mise en place, regroupant ses 500 paroisses et ses 32 abbayes en 4 archidiaconés :
- du Cambrésis
- de Valenciennes
- du Brabant
- du Hainaut.
Chaque archidiaconé fut lui-même divisé en 3 ou 4 doyennés :
- du Cambrésis avec les doyennés du Cateau, de Cambrai et de Beaumetz.
- de Valenciennes, avec les doyennés de Valenciennes, Haspres et Avesnes sur Helpe.
- du Brabant, avec les doyennés de Chièvres, Tournai St Brice, Lessines, et Hal
- du Hainaut, avec les doyennés de Maubeuge, Binche, Mons et Bavay.
Il faut souligner qu’un diocèse réduit apporta moins de bénéfices, ce qui mécontenta les premiers titulaires.
Mazarin essaya vainement, en 1649, de s’emparer de la ville en la faisant assiéger par Henri de Lorraine-Harcourt et par Turenne. Un régiment espagnol venu de Bouchain réussit à pénétrer dans la ville, dont le siège fut levé.
En 1657 le vicomte de Turenne s’empara de Cambrai. À nouveau 4 000 cavaliers sous le commandement de Condé, passé au service de l’Espagne, réussissent à y pénétrer, et Turenne abandonna la ville.
En 1666, dans le plus grand secret, Louis XIV prépara de nouvelles conquêtes en faisant relever les plans des fortifications espagnoles, puis entama la Guerre de Dévolution. Si le Traité d’Aix-la-Chapelle de 1668 permit à la France d’obtenir un grand nombre de places fortes, Cambrai n’en fit pas partie, non plus que Bouchain, Valenciennes et Condé-sur-l’Escaut.
En 1672, les hostilités reprirent contre les Pays-Bas et se poursuivirent dans les années suivantes. Louis XIV s’empara de Cambrai le 17 avril 1677, après avoir pris Condé, Bouchain et Valenciennes.
En 1678, par le Traité de Nimègue, Cambrai devint française.
En 1682, le chapitre de la métropole céda au roi son droit de choisir l’archevêque de Cambrai. Le roi l’appela à siéger à ses conseils.
Cette modification territoriale eut d’importantes conséquences pour l’archevêque de Cambrai, au plan spirituel, mais aussi au plan temporel. En effet, depuis plus de 700 ans, le Cambrésis faisait partie intégrante du Saint Empire Romain Germanique, et l’empereur était depuis le concordat de Worms, associé au souverain pontife pour la nomination des prélats. D’autre part, les évêques, depuis le Xème siècle avaient exercé des fonctions comtales, avec une certaine souveraineté.
Avec la conquête de Louis XIV, cette situation s’achevait, et Mgr Théodore de Bryas (1675-1694) fut le dernier des prélats ayant été nommés à Cambrai par les rois d’Espagne. En effet, le Chapitre renonça à élire son successeur, en raison des dispositions du Concordat entre le Pape Léon X et François 1er, selon lesquelles il appartenait désormais au roi de France de le nommer. En 1686, Louis XIV s’arrogea le droit de nommer les archevêques. Fénelon fut le premier de ceux-ci.
Le diocèse recouvrait maintenant deux pays différents: le Cambrésis et le Hainaut français en royaume de France, ainsi que le Hainaut “belge” appartenant aux Pays-Bas Espagnols (puis Autrichiens).
L’influence française va transformer l’architecture et l’urbanisme de la ville. Les pignons des maisons sur rue sont proscrits et la cité s’embellit d’hôtels particuliers. Les fortifications furent renforcées d’ouvrages avancés.
La période contemporaine
Sous la Révolution, Cambrai eut à souffrir des révolutionnaires. Lors de la promulgation de la constitution civile du clergé le 12 juillet 1790, Cambrai redevint évêché.
Cambrai eut à souffrir de la « Terreur ». Justice expéditive de Joseph Lebon, missionné par le Comité de Salut Public. La plupart des bâtiments religieux de la ville furent démolis ou saccagés. En 1796, la cathédrale fut vendue à un marchand qui n’en laissera que la tour. Privée d’appui, elle s’effondra en 1809.
Le 15 juillet 1801, avec le Concordat, le diocèse de Cambrai perdit sa partie belge au profit de Tournai. Il correspondit désormais au département du Nord, défini en 1790.
La guerre franco-prussienne de 1870 épargna largement Cambrai. Elle montra aussi l’inutilité des fortifications, que la ville obtint l’autorisation de raser, à ses frais, en 1892.
Des boulevards extérieurs furent construits et lotis à l’emplacement des remparts entre 1894 et le début du XXème siècle. L’aspect de la ville s’en trouva radicalement transformé et les travaux stimulèrent l’économie de la ville.
En 1913, un nouveau diocèse de Lille fut créé aux dépens de celui de Cambrai qui conserva Cambrai, Valenciennes, Douai et Avesnes.
En 1914, l’armée allemande occupa la ville : cette occupation qui dura quatre ans fut marquée par des scènes de pillages, de réquisitions et d’arrestations d’otages.
Du 20 novembre au 17 décembre 1917, les environs de la ville de Cambrai furent le théâtre de la bataille de Cambrai, qui vit pour la première fois l’utilisation massive des tanks.
En 1918, les Allemands incendièrent le centre de la ville avant de la quitter, détruisant l’hôtel de ville ainsi que les archives municipales. Au total, plus de 1 500 immeubles sur les 3 500 que comptait Cambrai furent totalement détruits.
Tout le centre était à reconstruire, tâche qui fut confiée à l’architecte Pierre Leprince-Ringuet.
La Seconde Guerre mondiale frappa à nouveau Cambrai. La ville fut bombardée le 17 mai 1940 pendant la bataille de France avant de tomber le lendemain en même temps que Saint-Quentin. Les restes de la 9ème armée et le général Giraud furent faits prisonniers par les Allemands.
À partir du 27 avril et jusqu’au 18 août 1944, 18 raids aériens alliés, dirigés contre les voies ferrées, tuèrent 250 personnes et détruisirent 1 700 immeubles.
Les premiers chars américains entrèrent dans la ville le 2 septembre.
Après la guerre, la priorité alla à la reconstruction.
Histoire de l’évêché de Cambrai – liste détaillée des évêques
Saint-Vaast (Vedastus, v500-v540). Source : Vita Brevior (VIème), La Légende dorée (1261-1266, par Jacques de Voragine). Originaire de “Leucus” (Châlus ? entre Périgord et Limousin), il se retira en Lorraine à Toul où il fut ordonné prêtre. La légende veut qu’il ait instruit le roi Clovis au christianisme après la victoire de Tolbiac en 496 sur les Alamans.
Il fut recommandé par Clovis à Remi de Reims, puis nommé évêque à Arras vers 499, puis à Cambrai en 510, tout en résidant à Arras. Remi détacha pour cela ce territoire (Nerviens, Atrébates) de son diocèse de Reims.
Vaast lutta contre le paganisme encore dominant, non seulement chez les Francs nouvellement arrivés, mais encore dans le petit peuple gallo-romain. Ragnacaire, le roi précédent de Cambrai, était païen. L’élimination de celui-ci facilita donc l’entrée de l’église dans la cité.
Mort vers 540, Vaast fut inhumé à Arras dans la cathédrale. Il se développa autour de sa tombe un culte renommé en Flandre et en Picardie. Sa mort fut suivie de la construction d’une abbaye Saint-Vaast à Arras où son corps fut transféré (il fut finalement ré-enterré dans la cathédrale en 1227). A Cambrai, une église avait été édifiée au lieu-dit « le mont des Boeufs », en l’honneur d’abord de St Médard, évêque de Noyon et Tournai, mort vers 557.
Saint Dominique v.540
Saint Védulphe v. 545 – v. 580
Saint Géry (v550-v622/626) était originaire du diocèse de Trèves, à Yvois (Carignan), de parents gallo-romains. Il fut ordonné diacre par l’évêque de Trèves.
Il fut évêque d’Arras-Cambrai vers 585, nommé par Childebert II (575-595) et à la demande de celui-ci, consacré par Aegidius, alors archevêque de Reims.
Il eut aussi à lutter contre le paganisme. On le vit détruire des idoles et fonder des oratoires et des églises, dédiées à Saint Médard (évêque de Noyon), à Saint-Loup, à Saint-Martin, … Il fut un grand propagateur du culte de St Martin, ce qui peut expliquer le grand nombre d’églises dédiées à ce saint dans le diocèse de Cambrai.
C’est lui qui transféra entre 584 et 590 le siège épiscopal d’Arras à Cambrai, où il fit bâtir un palais épiscopal. Selon d’autres sources, ceci a pu se faire sous son prédécesseur Wédulphe.
Cambrai était le siège d’une administration mérovingienne. Il entretint des rapports étroits avec le roi Clotaire II, successeur de Childebert II, ainsi qu’avec le comte mérovingien, un certain Waddon. Il participa au concile de Paris en 614.
À partir de saint Géry, l’évêque de Cambrai administra à la fois les deux diocèses de Cambrai et d’Arras.
Il fut crédité de plusieurs miracles. Géry fut inhumé à Cambrai, dans une église qui lui fut dédiée et qui fut détruite en 1543 par Charles Quint pour y bâtir une citadelle. A son décès, un lieu de pèlerinage naquit autour de son tombeau. Après sa mort des églises lui furent dédiées là où il était passé, notamment à Valenciennes, Boussu, Blaregnies, Rebecq et à Bruxelles.
Des fouilles ont permis de retrouver des vestiges d’habitats de cette époque. Et notamment des premières constructions à caractère religieux mises en place par St-Géry.
Cette époque vit la montée en puissance du christianisme à Cambrai et dans les rares villes du Nord de la Gaule. Pas moins de cinq églises en bois ont été édifiées à Cambrai, dont la cathédrale primitive, d’autres dédiées à Saint Pierre et Paul, à Saint Médard et à Saint Loup, à Saint Martin et à la Sainte-Croix.
Cambrai prit l’aspect et les fonctions d’une véritable ville. Ce fut l’occasion d’y installer une foire.
Lorsque Cambrai devint le siège de l’évêché, cela se produisit au détriment de Tournai, siège d’un évêché créé depuis près d’un siècle par St Eleuthère, et qui se trouva rattaché dès le début du VIème siècle au diocèse de Noyon, situation qui perdurera d’ailleurs jusqu’en 1146.
Berthoald (cité en 627), de famille royale franque.
Adalbert (627-633)
Aubert de Cambrai (633-v669). Il naquit à Haucourt dans une famille liée au roi Dagobert I. D’abord moine à l’abbaye de Luxeuil (fondée en 590 par Saint Colomban)., puis évêque d’Arras et Cambrai en 633. Il fut le fondateur de plusieurs monastères en Flandre et en Hainaut. Il eut pour disciples : Saint Landelin (fondateur de Lobbes et Crespin), Saint Vindicien, Saint Ghislain.
Vindicien (620-712). Né à Bullecourt, élevé par Saint Eloi, évêque de Noyon et ministre de Dagobert I, dont il fut aussi disciple. Il vécut en Artois dans l’ermitage de Saint-Aubin, où il fut remarqué par Saint Aubert.
Il devint évêque d’Arras et de Cambrai. Fondateur de l’abbaye du Mont Saint-Eloi, près d’Arras. Il consacra l’abbaye Saint-Pierre de Hasnon (fondée en 695 par les enfants du comte d’Ostrevant).
Il mourut à Bruxelles. Le rôle de ce dernier fut important au plan temporel surtout, dans la mesure où c’est le premier évêque qui obtint du Roi (Thierry III en l’occurrence) des donations territoriales, dont les bénéfices étaient destinés à dégager les religieux des soucis matériels.
Hildebert ( ?-712/715)
Hunald ( ?-717)
Saint Hadulf (717 – 728 / 729), abbé de Saint-Vaast
Treuvard (728 / 730 – v. 752)
Gaufrid (750 / 752 – v. 763)
Albéric (763 / 764 – v. 790), qui fit rédiger un Recueil de canons
Hildeguard (v. 790 – 816), qui fit rédiger un Sacramentaire pour son clergé.
Halitgaire (817 – 830/831). Il fut envoyé par l’empereur Louis le Pieux et le pape Pascal évangéliser les Danois. Il échoua dans sa mission. Il consacra l’église de St-Ursmer à Lobbes. Il fut envoyé par l’empereur au synode de Paris de 825 (sur l’iconoclasme), à Constantinople en ambassade en 828, au synode de Paris de 829. Il rédigea, à la demande de l’archevêque Ebon de Reims, un pénitentiel, fondé sur sa connaissance des Pères de l’Eglise pour mettre un terme aux hérésies.
Thierry ou Théodoric (831 – 862/863)
Le poste de Thierry, mort en 862, fut vacant 4 ans, et en 866, ce fut l’archevêque qui eut finalement raison, en nommant Jean Ier (866-879), successeur de Thierry.
Un changement était intervenu peu avant le traité de Verdun (843), concernant l’élection de l’évêque (en l’occurrence Thierry), qui ne procédait plus du peuple et du clergé, mais de l’empereur. Louis le Pieux lui conféra d’ailleurs lui- même la dignité épiscopale. Cette modification souleva la colère de l’archevêque de Reims, qui menaça d’anathème tous ceux qui auraient un rapport avec les évêques successivement nommés de cette manière.
Gontbert, Tetbold, Hilduin (863 – 866), imposés par Lothaire II, mais refusés par Hincmar, archevêque de Reims.
Saint Jean Ier (866 – 877/879)
Saint Rothade (879 – 886/887)
Il est nécessaire également d’évoquer, ne serait-ce que pour mémoire, les invasions normandes successives, qui se développèrent à partir de 860, pour atteindre leur paroxysme sous le règne de l’évêque Rothade, qui verra le 28 décembre 881 le sac de Cambrai, alors que le monastère de St Vaast d’Arras avait été brûlé l’année précédente.
Dodilon (888 – apr. 902) lui succéda, restaura et même accrut le système de fortifications de la cité épiscopale. Il obtint en 894 d’Arnould, roi de Germanie, la confirmation des immunités de l’église de Cambrai et de toutes ses terres et autres biens. Cette décision sera suivie en 926 par la restitution à ladite église des monastères, notamment de l’abbaye de Maroilles.
Arnulf deviendra empereur en 896 et le Cambrésis sera confirmé comme terre d’empire, dépendant de l’empereur pour le temporel et de l’archevêque de Reims pour le spirituel.
Cette situation perdurera jusqu’à la conquête française au XVIème siècle.
Étienne (909 -934)
Fulbert (934 -956)
En 948 l’empereur Otton I accorde à l’évêque Fulbert les droits comtaux sur la ville de Cambrai.
En 953, les Hongrois poussèrent un de leurs raids ravageurs jusqu’à Cambrai.
Bérenger (956 – 958)
En 958, Cambrai vit naître l’un des premiers soulèvements communaux en Europe : ses habitants se révoltèrent contre l’évêque Bérenger, d’origine germanique et impopulaire. Cette rébellion fut sévèrement réprimée.
Engran ou Ingelram ou Enguerrand (958 – 960)
Ansbert ou Autbert (960 – 965)
Wilbold (965 – 966)
Tetdon ou Theodotus (v. 972 – 976)
Rothard (v. 976 – v. 995)
Les comtes-évêques du Cambrésis.
Erluin (996 – 1012)
En 1007 l’empereur Henri II étendit les droits comtaux de l’évêque à tout le Cambrésis. La fonction de comte laïc disparut.
Gérard I de Florennes (1012-1051). Né vers 975, il était le fils d’Arnold de Rumigny, seigneur de Florennes, petit-fils de Godefroid I de Verdun « le Captif », comte de Bidgau, de Methingau, puis de Verdun, puis de Hainaut, frère d’Adalbéron, archevêque de Reims qui plaça Hugues Capet sur le trône de France. Il fut l’élève de Gerbert d’Aurillac, théologien qui deviendra pape sous le nom de Sylvestre II. Il fut aussi aumônier de l’empereur Henri II. Puis il fut nommé évêque de Cambrai de 1012 à sa mort en 1051.
Il fonda l’abbaye Saint-Jean Baptiste de Florennes en 1012. Il en fit don en 1015 à l’évêque de Liège. Il fonda aussi en 1020 l’abbaye Saint-André du Cateau.
Il dut combattre une hérésie dans son propre diocèse. En fait il s’agissait d’une réaction de l’Eglise devant des clercs trop zélés dans leur volonté de réforme, aux yeux du clergé local insuffisamment formé. Il tenta de réformer les institutions religieuses en les efforçant de quitter le régime canonial pour revenir au régime monastique de la Règle. Il y réussit à St-Ghislain, Lobbes et Haumont.
Il apparut, avec Adalbéron, évêque de Laon, comme l’un des premiers promoteurs de l’idée d’une structure ternaire pour la société médiévale (clergé, guerriers/nobles, travailleurs) se référant à la Cité de Dieu de Saint Augustin.
Liébert (1051-1076). Originaire de Lessines ou de Brakel, où il naquit vers 1010 dans une famille noble. D’abord archidiacre et prévôt de la cathédrale de Cambrai. Evêque de Cambrai dès 1051. Il fonda l’abbaye bénédictine du Saint-Sépulcre à Cambrai en 1064.
Gérard II (1076-1092). Il évolua dans un contexte de tensions et d’insurrections en 1077 avec les bourgeois de Cambrai revendicateurs de privilèges communaux.
Entre 1077 et 1215 les bourgeois obtinrent à quatre reprises au moins une charte de franchise, qui à chaque fois finit par leur être retirée par les efforts conjugués des évêques et des empereurs.
Epoque de la Querelle des Investitures entre le pape Grégoire VII et l’empereur Henri IV à propos des responsabilités de l’un et de l’autre dans les affaires de l’Eglise, notamment en ce qui concerne la nomination des évêques et des abbés de monastères. Il se rendit auprès d’Henri IV qui venait d’être excommunié par le pape. Gérard considérait toujours comme normale la subordination de l’Eglise à l’autorité impériale (comme du temps de Charlemagne et d’Otton I). Il était ainsi opposé à son archevêque de Reims, un réformiste partisan du pape, qui refusait de le consacrer.
Finalement le pape intercéda en sa faveur, mais en lui rappelant les positions nouvelles de l’Eglise de Rome. Dans son diocèse, Gérard II se consacra à réformer son propre clergé. Il imposa le célibat aux chanoines et tenta de rendre plus moral le comportement des ecclésiastiques.
Aussi lorsque l’évêque Gérard II (1076-1092) mourut, les idées grégoriennes allaient provoquer un schisme épiscopal. En effet, à l’évêque grégorien (nommé par le pape) Manassés (1093-1103), élu d’abord, s’opposa l’évêque impérial Gaucher (1093-1106). Ce drame s’accompagna d’une démarche du clergé d’Arras, appuyée par le Comte de Flandre auprès de l’archevêque de Reims Raynald, en vue d’obtenir la restauration du siège épiscopal de cette ville, supprimé on l’a vu depuis le VIème siècle. Un concile s’ouvrit, et en l’absence d’accord (le concordat précité n’étant intervenu, on l’a vu plus haut qu’en 1122), c’est le pape Urbain II qui trancha en 1094, en donnant un évêque à Arras, de sorte que l’évêque Gaucher fut le dernier prélat à administrer les deux diocèses.
Manassès (1093 – 1103) fut transféré par le pape Pascal II à Soissons.
L’évêque élu pour Arras, Lambert de Guines, fut choisi dans le diocèse de Tournai pour ne pas heurter la susceptibilité des Cambrésiens. Les Tournaisiens d’ailleurs s’engagèrent dans la même voie, et en 1146, le premier évêque Anselme, abbé de St Vincent de Laon, fut nommé, concrétisant ainsi la scission d’avec Noyon.
Walcher/Gautier/Gaucher (1093 – 1106) qui avait accepté son investiture de l’empereur Henri IV, se maintint deux ans à Cambrai, où il y avait donc deux évêques. Il fut accusé de simonie et fut déposé par le concile de Clermont et excommunié.
Par la suite, Manassés occupa seul le poste jusqu’en 1103, et fut remplacé par un autre évêque Grégorien (papal) Odon alors que Gaucher se retirait dans un monastère.
Odon de Tournai (1105-1116). Né à Orléans en 1060, c’était un intellectuel brillant, féru d’astronomie. Professeur de philosophie et de rhétorique à Toul, il devint écolâtre à la cathédrale de Tournai. Il était très influencé par la théorie du « libre arbitre » de Saint Augustin. Il choisit dès 1092 de vivre, avec quelques disciples, la vie canoniale suivant la Règle de Saint-Augustin dans l’abbaye Saint Martin de Tournai qu’il fonda.
En 1095, ils choisirent la Règle de Saint Benoît. Odon devint le premier abbé. La même année, il fut consacré évêque de Tournai. L’abbaye connut vite un grand essor grâce à son atelier de scribes et de copistes.
En 1105, on lui confia l’évêché de Cambrai, qui connaissait une situation critique (supra). Face à Gaucher et à l’empereur, Odon ne put prendre son siège épiscopal. Il résida à l’abbaye d’Anchin, où il écrivit des traités de théologie et y mourut en 1113.
Le comte Robert II de Flandre, à l’occasion de la Querelle des Investitures, parvint à obtenir de l’empereur le fief de la châtellenie de Cambrai, ce qui octroyait à son comté une base légale pour agir désormais à l’intérieur du Cambrésis. Ce qui ne fut pas sans provoquer des problèmes aux évêques de Cambrai et d’instiguer les bourgeois à revendiquer plus de droits.
Avec les évêques suivants, l’influence de l’empereur resta prépondérante.
Burchard (1115-1131)
Liétard (1131-1134). Déposé en 1134 lors du concile de Reims.
Nicolas de Chièvres (1137-1167) entreprit de rebâtir de nouveau la cathédrale, déjà plusieurs fois refaite, et qui avait été victime d’un incendie en 1148, mais cette fois sur un plan nouveau. Commencée, dans le style roman en 1148, elle sera achevée en 1472, dans le style gothique.
Cambrai est à cette époque un centre culturel important, notamment sur le plan musical.
Cependant, à partir du remplacement de l’évêque Nicolas de Chièvres en 1167, ce furent le Comte de Flandre et celui de Hainaut qui décidèrent des promotions épiscopales, conformément aux dispositions du concordat de Worms qui clôturait la Querelle des Investitures. Furent successivement nommés deux évêques n’ayant pas été ordonnés :
Pierre I de Flandre ou d’Alsace (1167-1173). Elu, non consacré par l’archevêque, il renonça en 1173.
Robert d’Aire (1173-1174). Elu, non consacré. Il mourut assassiné.
Alard (1175-1178). Elu, non consacré.
Roger de Wavrin (1179-1191) était le fils du sénéchal de Flandre. Archidiacre de Cambrai, puis élu évêque en 1179. En 1180, il leva le corps de Saint-Ghislain.
Il a fondé deux abbayes près de Cambrai : Cantimpré (pour des chanoines réguliers selon l’Ordre de saint-Augustin) et Prémy (pour des religieuses).
Son épiscopat fut agité par des troubles insurrectionnels des bourgeois de Cambrai. Ces derniers réclamaient le droit de constituer l’échevinage, de rendre la justice, et de posséder un beffroi, c’est-à-dire, en fait, l’autonomie communale, qu’ils obtinrent. Mais ne s’estimant pas satisfaits, ils voulurent aller plus loin encore, et toucher aux droits du clergé. Il eut à défendre ses droits sur sa résidence épiscopale du Cateau contre le comte de Flandre. Un diplôme impérial de l’empereur Frédéric I Barberousse de 1184 a diminué les prérogatives épiscopales en concédant au peuple d’assez grands privilèges.
Il entreprit en 1189 un voyage en Terre Sainte. Il y mourut malade en 1191 pendant le siège de Saint-Jean d’Acre.
Jean II d’Antoing (1192-1196) était le fils d’Hugues, seigneur d’Antoing et d’Espinoy, neveu de Roger de Wavrin. Il fut archidiacre de Cambrai, puis prévôt de l’église d’Arras, puis évêque de Cambrai.
Nicolas II du Roeulx (1197) était le fils d’Eustache I « le Vieux » du Roeulx. D’abord prévôt de Nivelles, puis évêque à Cambrai en 1197.
Hugues d’Oisy (1197-1198) fut prévôt de Douai, puis évêque de Cambrai. Elu, mais non consacré, car, marié, il n’avait reçu que les ordres mineurs et ne pouvait être promu évêque.
Pierre II de Corbeil (1199-1200) était professeur de théologie, aumônier du roi Philippe-Auguste et chanoine à Paris. Il devint évêque de Cambrai en 1199, puis archevêque de Sens en 1200. Il participa en 1209 à la croisade contre les Albigeois.
Jean III de Béthune (1200-1219), fils du seigneur Robert V de Béthune.Prévôt à Douai et Seclin, puis évêque de Cambrai. Il participa aussi à la croisade contre les Albigeois.
Godefroid de Fontaines ou de Condé (1220-1237/1238) était le fils de Roger de Condé et d’Alix de Mons Elu évêque de Cambrai en 1219, il reçut l’investiture de l’empereur Frédéric II en 1220. Il eut à faire face à de nombreuses émeutes communales. Il ordonna la destruction du beffroi, établit une police et abolit les chartes communales. Cependant la « Loi Godefroid » promulguée par l’évêque leur laissait, en fait sinon en droit, un certain nombre des libertés conquises dans la gestion des affaires communales.
Il acheta en 1238 la seigneurie de Dunkerque et entreprit de grands travaux pour en aménager le port.
Guy de Laon (1238-1247)
Nicolas de Fontaines (1248/1249-1272, bataille d’Andernach) était le fils de Gautier de Fontaines, neveu de Godefroid de Fontaines. Il fut seigneur de Fontaine-l’Evêque. Le chapitre fut divisé quant à son élection, mais le pape Innocent IV ratifia son élection. Il modifia les structures de son diocèse en créant un sixième archidiaconé, celui de Bruxelles.
A l’intérieur de ces archidiaconés, furent créées des divisions administratives appelées décanats ou encore doyennés, dits aussi « de chrétienté ». Il y en avait désormais 18 :
- archidiaconé du Cambrésis avec les décanats de Cambrai, Le Cateau et Beaumetz
- archidiaconé de Hainaut, avec les décanats de Bavai, Maubeuge, Binche et Mons
- archidiaconé de Valenciennes avec les décanats de Valenciennes, Haspres, et Avesnes sur Helpe
- archidiaconé de Brabant, avec les décanats de Chièvres, Saint Brice, Hall et Grammont
- archidiaconé d’Anvers, avec le décanat d’Anvers
- archidiaconé de Bruxelles avec les décanats de Bruxelles, Alost et Pamèle
Enguerrand de Créqui (1274-1286) fit face aussi à des conflits avec les bourgeois de Cambrai. Car la ville était prospère et s’agrandissait grâce à la production de draps et de toiles de lin.
Guillaume d’Avesnes (1286-1296) était le fils de Jean I d’Avesnes et frère du comte Jean I de Hainaut, de Hollande et de Zélande Il fut prévôt, puis évêque de Cambrai. Il entra en conflit avec ses chanoines qui eux-mêmes étaient en conflit avec le comte de Hainaut.
Gui de Colle Medio (1296-1306). À la mort de Guillaume d’Avesnes en 1295, le chapitre de Cambrai a élu Gérard de Relenghes, alors prévôt de la cathédrale, mais le pape Boniface VIII prétendit que, l’évêque étant mort à plus de deux journées de distance de Cambrai (il était en route vers Jérusalem), son successeur devait être nommé par le Saint-Siège. Gui de Colmier fut, en conséquence, placé par lui à la tête du diocèse de Cambrai. En 1306 Gui fut transféré à l’archidiocèse de Salerne, mais il ne survit pas longtemps à ce transfert et mourut la même année à Avignon.
De nombreux conflits entre l’évêque et les bourgeois de la ville émaillèrent cette période. Il y eut même des émeutes et des pillages en 1298, 1305 et 1313. La Guerre de Cent Ans n’apaisera pas ces tensions.
Philippe de Marigny (1306-1309). D’abord secrétaire du roi et membre du conseil privé du roi Philippe IV le Bel. Evêque de Cambrai en 1306, puis archevêque de Sens en 1309, nommé par le roi lui-même. Le pape Clément V le reconnut l’année suivante. Il fut chargé du procès des Templiers qu’il envoya au bûcher en 1310 et 1314.
Pierre III de Lévis-Mirepoix (1309-1324). D’abord évêque de Maguelone, nommé par le pape Clément V en 1306. A la demande de Philippe le Bel, il eut à mettre en prison tous les Juifs de son diocèse. Leurs biens furent confisqués au profit du roi. Puis Clément V le déplaça à Cambrai. Il reçut ensuite l’investiture de l’empereur (comme comte). En 1313, il fit la translation des reliques de Sainte Waudru. Les émeutes populaires dans sa ville le poussèrent à demander une mutation. Il fut transféré par le pape Jean XXII à Bayeux en 1324.
Gui III de Boulogne (1324-1336) était le fils du comte Robert VII de Boulogne. Petit neveu de Louis IX et apparenté à la famille royale. Chanoine à Amiens, archidiacre de Thérouanne, évêque de Cambrai, puis archevêque de Lyon en 1340 et nommé cardinal par le pape Clément VI. Diplomate pour le Saint-Siège.
Guillaume d’Auxonne (1336-1342). Originaire d’Avesnes. Son épiscopat correspond au début de la Guerre de Cent Ans. Les deux ennemis, Edouard III d’Angleterre et Philippe V de France, tentèrent d’obtenir de l’évêque sa collaboration, car Cambrai était une cité stratégique. L’évêque choisit le Français. L’Anglais, soutenu par le comte de Hainaut, vint mettre le siège devant la ville, mais sans succès. Il ravagea cependant une partie du Cambrésis et de la Picardie. En 1342, il fut transféré à Autun.
Guy de Ventadour (1342-1349)
Pierre IV de Clermont (1349-1368). D’abord garde des sceaux du roi de France, puis évêque de Noyon, puis de Clermont, avant d’être nommé à Cambrai.
Robert de Genève (1368-1371). D’abord évêque de Thérouanne, puis de Cambrai. Cardinal en 1371 et élu pape à Avignon sous le nom de Clément VII. Son couronnement marqua le début du Grand Schisme en 1379, car il fut élu en opposition à Urbain VI.
Gérard III de Dainville (1371-1378). Evêque d’Arras, puis de Thérouanne, avant d’être nommé à Cambrai. Il donna l’investiture au nouveau comte de Hainaut, Aubert I de Bavière. En 1384, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, devint, par mariage, comte de Flandre. Lui et ses successeurs s’érigèrent en protecteurs du comté de Cambrésis. Ils contribuèrent au règlement des problèmes liés à la bourgeoisie cambrésienne.
Jean IV t’Serclaes (1378-1389). Bruxellois d’origine, frère d’Everard t’Serclaes.
André de Luxembourg (1389-1396)
Pierre d’Ailly (1396-1411). Aumônier du roi Charles VI. D’abord évêque du Puy, puis à Noyon, puis à Cambrai. Il prit le parti des Armagnacs contre les Bourguignons. Il se retrouva souvent en conflit avec les ducs de Bourgogne, également comtes de Flandre. II entendait surtout, au plan temporel exercer avec plénitude le pouvoir comtal sur Cambrai et le Cambrésis. Cardinal en 1411. Théologien et professeur à l’Université de Paris, ayant laissé de nombreux écrits dans le cadre du Grand Schisme. Il combattit la simonie et l’incontinence des prêtres. Il tenta de remettre de l’ordre dans l’église de son diocèse. Il était partisan de l’antipape d’Avignon. Mais au concile de Constance (1414-1418), il était de ceux qui ont favorisé la nomination de Martin V pour réunir l’Eglise. Mourut à Avignon, où il était légat pontifical. Il fut le champion des cumuls des charges ecclésiastiques (et des bénéfices qui les accompagnaient) dans des villes différentes (Soissons, Noyon, Paris, Compiègne, Rouen, Bayeux, Le Puy, Limoges, Orange, Cambrai, …).
Jean V de Gavere (1412-1436/38)
Entre 1428 et 1433, le duc Philippe le Bon, déjà comte de Flandre, devint aussi comte de Hainaut. Il accentua la pression sur le Cambrésis.
Jean VI de Bourgogne (1439-1479) était un fils bâtard de Jean sans Peur et d’Agnès de Croÿ, donc demi-frère de Philippe le Bon. D’abord prévôt à Saint-Donat à Bruges en 1412. Puis évêque de Cambrai, puis archevêque de Trèves. Il eut lui-même de nombreux bâtards.
Cambrai fut impliquée dans la guerre que se livrèrent Louis XI et Charles le Téméraire. De 1476 à 1479, la cité épiscopale fut occupée par le roi de France.
Henri de Bergues (1480-1502). Chancelier de l’Ordre de la Toison d’Or. Avec le démantèlement du Duché de Bourgogne, Louis XI desserra son étreinte. Le Traité d’Arras ramena la paix. L’évêque, qui avait retrouvé toutes ses prérogatives temporelles, tenta d’obtenir le rétablissement de la neutralité de Cambrai et le départ de la garnison bourguignonne. C’est lui qui en 1492 vérifia les reliques de St-Ghislain qu’il déclara authentiques. Il célébra en 1496 le mariage de Philippe le Beau et de Jeanne de Castille.
Jacques de Croÿ (1503-1516) était le fils de Jean, comte de Chimay, et de Marie de Lalaing, dame de Quiévrain. Sa nomination, pourtant confirmée par le pape Alexandre VI, fut contestée. Il n’y entra qu’en 1507. En 1508, le Traité de Cambrai créa la Ligue entre Louis XII et Maximilien contre les Vénitiens. En 1510, Maximilien érigea Cambrai en duché. Jacques de Croÿ obtint le titre de duc.
Guillaume de Croÿ (1516-1519). Fils d’Henri de Croÿ, comte de Porcien et neveu de l’évêque précédent. Théologien, élève de Jean-Louis Vivès à Louvain. Evêque de Cambrai pendant trois ans, puis abbé d’Affligem. Cardinal en 1517, puis évêque de Coria et administrateur de Tolède.
Robert de Croÿ (1519-1556). Fils cadet d’Henri et frère du précédent.
Les de Croÿ furent des fidèles des Habsbourg. Il était important que Cambrai resta dans la sphère d’influence de ceux-ci, alors que Charles Quint et François I se faisaient la guerre. Charles Quint y fit construire une citadelle en 1543. Lors de la « Paix des Dames », il fut l’hôte des négociatrices.
C’est durant son ministère que les Calvinistes prirent de l’influence dans tout le diocèse. L’évêque participa au concile de Trente (1545-1563) qui mit sur pied la Contre-Réforme qui allait trouver dans le nouveau roi, Philippe II d’Espagne, un ardent défenseur.
Le siège épiscopal fut érigé en archevêché lors de la grande réorganisation ecclésiastique des Pays-Bas méridionaux par la bulle « Super Universas » du pape Paul IV en 1559. Ceci afin de mieux combattre la Réforme dans des diocèses moins étendus et mieux structurés.
Du diocèse de Cambrai furent soustraits de nouveaux diocèses : Malines et Anvers, ainsi qu’une partie du territoire qui revient à celui de Tournai. Il conserva le Hainaut. Cambrai eut donc sous son obédience : Arras, Tournai, Namur, Saint-Omer.
La nouvelle organisation diocésaine de Cambrai fut très vite mise en place, regroupant ses 500 paroisses et ses 32 abbayes en 4 archidiaconés :
- du Cambrésis
- de Valenciennes
- du Brabant
- du Hainaut.
Chaque archidiaconé fut lui-même divisé en 3 ou 4 doyennés :
- du Cambrésis avec les doyennés du Cateau, de Cambrai et de Beaumetz.
- de Valenciennes, avec les doyennés de Valenciennes, Haspres et Avesnes sur Helpe.
- du Brabant, avec les doyennés de Chièvres, Tournai St Brice, Lessines, et Hal
- du Hainaut, avec les doyennés de Maubeuge, Binche, Mons et Bavay.
Il faut souligner que le diocèse réduit apporta moins de bénéfices, ce qui mécontenta les premiers titulaires.
Maximilien de Berghes (1556-1570) fut donc le premier archevêque de Cambrai. Il était aussi duc de Cambrai et du Cambrésis et prince du Saint-Empire. Il convoqua un concile provincial en 1565 pour y promulguer les décisions du concile de Trente.
En 1566, Valenciennes, Cambrai et Mons connurent les mouvements iconoclastes et les tentatives des calvinistes de prendre le pouvoir. L’évêque convoqua alors un synode diocésain en 1567.
Louis de Berlaymont (1570-1596). Archevêque-duc de Cambrai.
En octobre 1579, un seigneur, apparenté d’ailleurs à l’archevêque, Baudouin de Gavere, s’empara par ruse du gouverneur espagnol de la citadelle, édifiée depuis 1543 par Charles Quint, et s’installa dans la place. Après sa mort accidentelle, le duc d’Anjou qui assurait la protection de la ville y installa Jean de Montluc, Sieur de Balagny en 1581, qui se signala par sa cruauté et ses exactions. L’évêque fut chassé en 1595 par les troupes espagnoles. Il se réfugia dans son château du Cateau. Un gouverneur espagnol fut placé à la tête de la ville auquel prêtèrent serment les autorités communales.
Jean Sarazin (1596-1598)
Sous le régime des archiducs Albert et Isabelle, les archevêques de Cambrai retrouvèrent leurs prérogatives, et purent contribuer à la reprise en mains de l’église catholique romaine dans leur diocèse.
Guillaume de Berghes (1601-1609). Anversois, il fit des études à Louvain, Dole, Padoue et Bologne. D’abord chanoine à St-Lambert à Liège. Evêque d’Anvers, nommé par l’archiduc Albert, gouverneur des Pays-Bas Espagnols. Puis archevêque de Cambrai
Jean Richardot (1609-1614). Conseiller privé de Philippe II, pour qui il remplit une mission à Rome. Evêque d’Arras en 1602, puis de Cambrai.
François Buisseret (1615-1615) fit des études de droit, théologie et philosophie à Louvain, puis à Rome et Bologne. D’abord évêque de Namur. Il mourut quelques mois après sa nomination à Cambrai.
François van der Burch (1615-1644) fit ses études de droit et de philosophie à Douai, puis à Louvain. Evêque à Gand, à la demande de l’archiduc Albert. Puis archevêque de Cambrai. Fondation de l’institution Notre-Dame-de-Grâce à Cambrai pour jeunes filles pauvres.
Il établit un impressionnant quadrillage du territoire diocésain par le clergé, les religieux, les religieuses, les Jésuites, lui permettant de veiller notamment aux pratiques religieuses. C’est lui encore qui consacra de nombreuses églises dans la région, dans la mesure où il considérait qu’elles avaient été victimes de profanations par les troupes protestantes du Prince d’Orange.
En 1630, Richelieu, souhaitant contrer la puissance de l’empereur et de l’Espagne, renouvela l’alliance de la France avec les Provinces-Unies. L’effort principal de la France devait se porter sur les Pays-Bas Espagnols. Un plan de partage fut établi avec les Hollandais, la France devant recevoir Le Hainaut, le Cambrésis, l’Artois, une grande partie des Flandres ainsi que le Luxembourg et le comté de Namur. La guerre fut déclarée à l’Espagne en 1635.
Il s’ensuivit une longue série de guerres qui, aggravée par des crises de subsistance et des épidémies, va meurtrir le Cambrésis.
Joseph de Bergaigne (1645-1647). Franciscain en 1612. Professeur de théologie à Mayence et à Cologne. Provincial de son Ordre en 1616. Missions diplomatiques pour l’empereur Ferdinand III et le roi Philippe IV d’Espagne. D’abord évêque de Bois-le-Duc, où les protestants sont maîtres. Puis archevêque de Cambrai. Il participa aux négociations de Munster qui mettront fin à la Guerre de Trente Ans.
Gaspard Van den Bosch dit « Gaspard Nemius » (1649-1667) fit des études à Douai. Curé de Wervicq, puis professeur de théologie à Douai. Evêque d’Anvers, à la demande de Philippe IV, confirmé par Urbain VIII. Puis archevêque de Cambrai.
Ladislas Jonnart (1671-1674). D’abord évêque d’Arras en 1651, puis de St-Omer en 1656, puis archevêque de Cambrai.
Jacques-Théodore de Bryas (1675-1694). Chanoine à Tournai. Puis évêque de St-Omer, puis archevêque de Cambrai.
En 1678, le Traité de Nimègue fit passer le Cambrésis des Pays-Bas Espagnols au royaume de France.
François de Salignac de la Mothe-Fénelon (1695-1715). Né dans le Quercy, il fit des études à l’université de Cahors (rhétorique, philosophie), puis au Collège de Plessis (théologie) où il se fit remarquer par son art de la prêche. Il devint curé à Sarlat en 1677, puis professeur dans un internat parisien pour jeunes filles dont les parents, protestants, s’étaient convertis au catholicisme. Il écrivit à cette occasion un Traité de l’éducation des filles en 1687.
Le roi Louis XIV l’envoya en missions en Saintonge pour convertir les protestants après la révocation de l’Edit de Nantes. Il fréquentait la cour royale, Bossuet (avec qui il se brouilla plus tard) et Madame de Maintenon. Il fut le précepteur du petit-fils de Louis XIV, alors dauphin.
Il fut nommé par le roi comme archevêque de Cambrai en 1695. Il fit de nombreuses visites pastorales à Mons et en Hainaut, mais il était contraint à chaque fois de solliciter une autorisation du roi pour sortir du territoire français.
Il écrivit des romans, dont Télémaque où l’on vit une critique de l’autoritarisme royal. Il fut banni de la cour. Il habita vers 1700 à Pâturages, puis s’en revint à Cambrai.
Il s’occupa attentivement de son diocèse. Il intervint à de nombreuses reprises auprès de l’intendant, sur des sujets divers, notamment économiques et fiscaux. Il veilla aux bonnes moeurs, à la bonne tenue et à la discipline des maisons monastiques et collégiales. Il réclama de la rigueur contre les prêtres ignorants. Il s’occupa des pauvres, visita les hôpitaux, et, après le rigoureux hiver de 1709, et la sanglante bataille de Malplaquet, il offrit même sa propre vaisselle d’argent pour soulager la misère et les malheurs du Royaume. Fénelon mourut à Cambrai en 1715.
Après ce personnage historique éminent, le siège de Cambrai fut avant la Révolution de 1789, notamment et successivement occupé par trois archevêques, certes chargés d’honneurs, de titres et de bénéfices, mais sans qu’aucun d’eux ne passe effectivement le moindre temps dans sa ville épiscopale.
Jean d’Estrées (1716-1718). Parisien d’origine, il fut évêque de Laon en 1681 et remplit des missions diplomatiques. Il devint conseiller d’Etat et archevêque de Cambrai en 1716.
Emmanuel de la Trémoille (1718-1720) était abbé commanditaire de plusieurs abbayes. Il fut évêque de Bayeux en 1716. Il était cardinal depuis 1706. et fut ambassadeur à Rome pour Louis XIV. Archevêque de Cambrai.
Guillaume Dubois (1720-1723). Originaire de Brive-la-Gaillarde, c’était un personnage aux mœurs douteuses. Il avait épousé à la cour du roi une fille naturelle de Madame de Montespan en 1692, sur l’insistance du roi, pour lequel il était diplomate. Il fut conseiller du Régent en 1715 et toujours diplomate de Louis XV. Son mariage annulé, il obtient l’archevêché de Cambrai en 1720, où il ne mettra jamais les pieds. Il fut cardinal en 1721 et ministre de Mazarin.
Charles de Saint-Albin (1723-1764). Parisien, il étiat un fils illégitime du Régent de France. Poussé vers une carrière ecclésiastique, il devint docteur en théologie, puis évêque de Rouen, puis de Laon, puis archevêque de Cambrai.
Léopold-Charles de Choiseul-Stainville (1764-1774). Evêque d’Evreux, puis archevêque d’Albi, puis archevêque de Cambrai. Il ne fit que de brefs séjours à Cambrai.
Henri-Marie-Bernardin de Rosset de Fleury (1774-1781). Docteur en théologie, il reçut de nombreuses charges commanditées. Archevêque de Tours en 1751, puis en 1774 à Cambrai.
Ferdinand-Maximilien Mériadec de Rohan (1781-1801). Parisien et aristocrate,il devint archevêque de Bordeaux en 1769, puis prince-archevêque de Cambrai en 1781.
Il refusa de prêter serment à la constitution civile du clergé (12 juillet 1790), fut destitué et quitta Cambrai pour se réfugier à l’abbaye de Saint-Ghislain. Il démissionna en 1802 et fut nommé comte d’empire en 1808.
Lors de la promulgation de la constitution civile du clergé le 12 juillet 1790, Cambrai redevint évêché, son diocèse correspondant au département du Nord nouvellement créé, auquel était encore attaché (au spirituel) le Hainaut “belge”.
En 1791, Claude Primat, un oratorien, fut élu évêque constitutionnel. Il se déclara un « vrai sans-culotte ». Primat quitta Cambrai en 1798 et le siège ne fut plus occupé jusqu’en 1800.
Le Concordat du 15 juillet 1801 rétablit le siège épiscopal de Cambrai. Ce fut Jacques Joseph Schelle, un réfractaire, qu’on installa en 1801.
Louis Belmas, évêque constitutionnel, fut en 1802 le premier prélat concordataire, à la tête du diocèse de Cambrai, soumis cette fois, non plus à Reims, mais à la métropole de Paris.
Nous arrêtons ici la liste, car l’évêque depuis 1790 “n’est plus” qu’un prélat spirituel, déchu de tout droit féodal.
Chièvres
Le territoire
Superficie: 2160 ha
Altitude: Le terrain est presque uni à une hauteur d’environ 50m (de 60 à 80m)
Situation géographique : Le plateau d’Ath – vallée de la Dendre Orientale
Cours d’eau :
- La Petite Hunelle (ou la Blanche) prend sa source à Herchies, traverse Chièvres du sud-est vers ne nord. Elle se jette dans la Hunelle près de la ferme de la Ladrerie.
- La Hunelle, prend sa source à Beloeil, arrose Huissignies, Ladeuze, les deux Tongre et traverse une partie du territoire de Chièvre, d’ouest vers le nord. Elle se jette dans la Dendre orientale à la limite avec Arbre.
- Le canal Blaton-Ath traverse aussi la commune
Paysage préhistorique (après la dernière période glaciaire) : zones sablonneuses au nord de la Haine, couvertes de forêts (limite occidentale de la Forêt Charbonnière)
Nature du sol : argileux, sablonneux
Nature du sous-sol : grès, schistes (déposés à l’ére primaire)
Préhistoire
Néolithique (Homo Sapiens) :
Au lieu-dit « Bois de la Folie », on a découvert une hache polie taillée dans du schiste dur, dont on pense qu’elle date de la fin du néolithique ou de la phase initiale de l’âge de Bronze (donc entre 2500 et 2000 avant Jésus-Christ). Une hache polie a aussi été découverte à Huissignies en 1996.
Age du bronze (entre 2200 et 800/750 avant Jésus-Christ)
De cette époque, on a mis en évidence une structure circulaire d’une soixantaine de mètres (un sanctuaire ?).
Ages du fer (entre 750 et 50 avant Jésus-Christ)
Plusieurs sites de l’âge du fer ont été révélés à Chièvres, lors de la construction de la ligne de TGV et d’un gazoduc :
- Site « Champ des Enfers » (sous un bâtiment gallo-romain, infra)
- Site de la « Hunnelle » (zone vallonnée, à proximité du moulin, le long du canal d’Ath, 1995-1996, lors de la construction du TGV) : traces d’occupation hallstatienne, donc du premier âge du fer (trous de poteaux correspondant à un petit grenier, fosses d’extraction d’argile attestant l’existence d’une activité artisanale, fosses-dépotoirs, céramique
- Près du Bois de Beaumont (1995, tracé TGV) : un peu de matériel céramique du début de l’âge du fer.
- Le long du viaduc du TGV, entre la chaussée Ath-Mons et le croisement du viaduc avec la Hunelle) : des fossés de forme et orientation variables, dont la moitié étaient préromains (Ier siècle avant J.C.). Deux fosses contenaient de la céramique de cette époque, ainsi que des scorites qui attestent du travail du fer.
- A l’ouest du « Bois de la Folie » sur un flanc de colline, on a individualisé deux fosses et un fossé avec des fragments de vase, de la céramique La Tène I ou II (deuxième âge du fer), un fragment de meule, des rejets de foyer
- A la « ferme Taon », des études de terrain ont permis de déceler des traces de labour de l’époque du fer, donc pré-romaines (SPW 1996-1997, sur le tracé du TGV)
- Site de la Hunnelle – à proximité de la ferme Taon
- Phase de l’âge du bronze (supra)
- Phase de La Tène I (début du deuxième âge du fer, entre 400 et 300) : des vestiges de structure d’habitat (parois, greniers, fosses-dépotoirs, palissade, fossés), un fossé circulaire de 60m de diamètre et de 2m de profondeur, interrompu sur deux mètres, évoquant un enclos funéraire. Une grande zone de labours par une araire.
- Près de la Ferme de Beaumont (1998, gazoduc) : 26 structures archéologiques : fosses, fossés et trous de poteaux, céramique de La Tène (et gallo-romaine)
La région est particulièrement riche en vestiges datant des deux âges du fer, donc de la présence celtique et notamment gauloise. On a également trouvé des indices de la Tène à Ladeuze, à Huissignies et à Tongre-Notre-Dame.
Antiquité gallo-romaine
Selon d’anciens auteurs qui ont tenté d’interpréter les Commentaires de la Guerre des Gaules, le territoire de Chièvres aurait été choisi par Jules César pour placer une partie de ses cohortes avant d’attaquer les Nerviens qui s’étaient révoltés. Aucune preuve n’est apportée à cette affirmation.
Toute la région connut cependant, comme à la période gauloise précédente, une présence gallo-romaine soutenue. Il n’existe pas de chaussée romaine sur le territoire. Celle qui va de Bavay à la Mer du Nord passe non loin d’ici entre Blicquy et Mainvault. Un diverticulum aurait relié Mons (où passait la chaussée Bavay-Batavie) à Mainvault par Chièvres (Bauwens).
Des découvertes anciennes (XIXème siècle) avaient mis au jour un four de potier, des pièces de monnaie, des puits. On aurait trouvé des vestiges gallo-romains au hameau de la Neufville. Plus près de nous, des fouilles préventives ont permis de mettre au jour des indices importants de présence humaine pendant cette période :
- Site de la Hunnelle : indices d’une occupation gallo-romaine (débris de céramiques du Ier siècle, nombreux fossés de drainage, vestiges d’un petit bâtiment à abside, palissade).
- Lieu-dit « Champ des Enfers », dans la vallée de la Hunnelle (travaux de pose d’un gazoduc en 2000), à 200m de la rive droite de la rivière, non loin de son confluent avec la Dendre orientale. On y a mis en évidence trois phases d’occupation
- Protohistorique : des fossés avec des débris de céramique de l’âge du fer
- Ier siècle apr.J.C.: une grande fosse, avec de la céramique fine et commune, des fragments de meule, quelques morceaux de tuiles
- des fondations de deux bâtiments (ou de deux excroissances d’un même bâtiment avec des murs en moellons de pierre calcaire bleue), des fossés avec de la céramique du IIème siècle, dont de la sigillée de Lezoux, de Dressel, de Bétique, fine sombre, des cruches, des dolia, …), des débris de meule et une pierre à aiguiser (activité artisanale). On pense à la probabilité d’une villa gallo-romaine assez riche au vu des objets d’importation lointaine.
- Au sud de l’école Moyenne (1985) : d’autres traces d’occupation gallo-romaine : fragments de tuiles, quelques tessons de céramique (sigillée du Centre de la Gaule, cruche en pâte de la région Bavay-Famars, plat en vernis rouge pompéien originaire de la Rue-des-Vignes à Cambrai, céramique commune sombre, cruches-amphores, dolium, fragments de verre). On pense aussi à un habitat plus petit des IIème et IIIème siècles.
- A 500m de là, dans la rue de la Hoche, au centre de la ville, une fosse-dépotoir a été découverte en 2006 avec un peu de matériel du IIème siècle : des fragments de céramique grise, un morceau de verre.
- A proximité (350m) du ruisseau de Beaumont, au Nord-ouest de Chièvres (2000), d’autres traces d’occupation gallo-romaine pouvant plutôt faire penser à une structure artisanale: des tessons de céramique commune, des scories de fer, des éclats de silex, des fragments de tegulae peu nombreux
- A Vaudignies, un petit site gallo-romain (2001) a révélé des tessons de céramique commune et des fragments de tegulae.
- En 1925, à 1km de là, au « Fayt », des tuiles romaines et une pièce d’or de Néron avaient été découverts.
- Une autre occupation gallo-romaine à 800m de là (ou ? 1998) : encore des fragments de tuiles, des tessons céramiques et un fragment de fibule
D’autres indices d’occupation gallo-romaine ont été également retrouvés à Grosage, Huissignies, Ladeuze et Tongre-Notre-Dame.
Pour rappel, certains auteurs du Moyen-Age ont tenté de donner à Chièvres une fondation légendaire par un des « sept rois » de Rome, Servius Tullius. En réalité, à son époque (VIIème siècle avant Jésus-Christ), on en était ici encore à des activités rurales typiques du premier âge du fer : agriculture, élevage et très peu de métallurgie. Pas de ville en tout cas.
Y-a-t-il eu une continuation dans l’habitat entre la période gallo-romaine (qui s’est terminée au Vème siècle) et la période franque mérovingienne (du Vème au VIIIème siècle) ? Nous n’en savons apparemment rien. Beaucoup de villas et de fermes gallo-romaines ont disparu dès le IIIème siècle. Nous n’avons pas connaissance des monnaies trouvées sur le territoire, qui sont souvent de bons indices de datation. Mais plus la romanité s’enfonçait dans la crise et moins on utilisait la monnaie au profit du troc. Il est possible que les habitants de la fin de la période romaine et ceux du début de la période franque n’ont pas laissé de traces.
Premier Moyen-Age (période franque mérovingienne et carolingienne)
Un habitat franc est probable sur le territoire de Chièvres, car certains éléments ont été mis à jour autrefois, sans qu’on n’ait d’informations précises malheureusement. On aurait trouvé des objets datant du VIème au VIIIème siècle: des grains de collier, une hache de fer, une sépulture sur le site « Hove ».
On sait qu’à la fin de l’empire romain, les provinces et les cités étaient divisées en comtés (pagus) dirigées par des comtes (comes) aux compétences uniquement militaires. Il semble que les Francs mérovingiens ont abandonné très tôt les divisions en provinces et en cités au profit de ces pagus. Ceux-ci étaient alors administrés par des comtes, nommés par le roi et exerçant au nom de celui-ci des pouvoirs politiques, militaires et judiciaires.
Le territoire de Chièvres se trouvait dans le Pagus Bracbatensis (aussi appelé Burbant), lui-même divisé en quatre petits comtés. Il est possible, mais non prouvé, que le comte résidait à Chièvres. Cependant on n’est pas documenté suffisamment sur cette période pour l’affirmer.
Deuxième Moyen-Age – la seigneurie et la ville
Première mention:
On trouve une première mention écrite en 828 dans la Translatio et Miracula SS. Marcellini et Petri, d’Éginhard, le biographe de Charlemagne et de Louis le Pieux. On y trouve la mention « de villa Cervo » dans un document traitant du transfert des reliques de St Marcellin et de St Pierre de l’abbaye gantoise de St-Bavon vers le monastère germanique de Seelingenstadt fondé par Eginhard lui-même. Lors du passage sur les terres de Chièvres, un miracle aurait eu lieu : la guérison d’un jeune homme de la villa (donc du domaine franc d’un notable du lieu, peut-être du “comte” de Chièvres).
Il semble d’ailleurs qu’à l’époque carolingienne, Chièvres jouissait d’un certain statut, puisque sous Charles le Chauve (869-875), la cité jouissait du droit de battre monnaie au nom du roi. On connaît au moins une pièce d’un denier, datée de 877, où l’on peut lire l’inscription « Cervia Moneta » (moneta était le terme utilisé pour désigner une ville frappant monnaie).
L’hypothèse énoncée un peu plus haut pourrait trouver confirmation dans ce fait. Chièvres aurait acquis pendant la période franque (nous ne savons pas à quel moment) un statut politique d’une certaine importance, peut-être égale à Famars (près de Valenciennes) et à Estinnes.
Lors du Traité de Meersen en 870, il existait dans le Pagus Bracbatensis (pagus de Brabant ou Burbant) quatre comtés, non nommés dans le document. Des historiens du XIXème font de Chièvres un des chefs-lieux d’un de ces comtés. Ce qui est certain, c’est que Chièvres devint le siège d’un des six doyennés (circonscription religieuse, mais non politique) qui s’étendait de Flobecq à Casteau et de Blaton à Soignies.
Tous ces comtés passèrent sous la souveraineté du roi de Germanie, comme tous les territoires à l’est de l’Escaut. Chièvres occupait en réalité une position stratégique, pas très loin de l’Escaut qui servait de frontière entre le royaume de Francie Occidentale (avec son puissant vassal de Flandre) et celui de Francie Orientale (devenu Empire romain germanique).
Toponymie (anciennes orthographes) :
- Villa Cervo (828, 869-75)
- Scrivia (1093, 1110)
- Cirvia (1127)
- Chilvia (1200)
- Chirvia (1210)
- Chièvres, dernier quart du XVIème
Etymologie (hypothèses d’origine du nom) : La localité de Cervia dériverait de « Capsus Cervius », signifiant « parc aux cerfs ou aux biches » (Cervia, cerva : biche). L’appellation est d’origine latine. Le nom du site pourrait provenir de celui d’un domaine de villa, encore que dans les siècles suivants on utilisait toujours le latin dans les documents administratifs. On sait que pendant le premier millénaire la région entre Mons et Chièvres était fortement boisée.
Epoque de l’apparition d’une agglomération : Parce qu’on ne connait pas la description exacte de ce qu’était Chièvres à la période franque, il est difficile de préciser quand est apparu un noyau habité, sans doute autour d’une résidence fortifiée seigneuriale (ou « comtale »).
Facteurs ayant favorisé son émergence :
– voies de communication: Chièvres était éloigné de la chaussée Bavay-Blicquy-Mer du Nord. Pourtant la région était déjà bien habitée aux âges du fer et ensuite à la période gallo-romaine. On évoque un chemin (diverticulum) qui reliait cette chaussée romaine à celle qui allait de Bavay vers le pays des Bataves (Utrecht ?). ce chemin allait de Mons à Mainvault en passant par Chièvres.
La situation politique de Chièvres (évoquée plus haut) explique que le site était relié dès le premier moyen-âge avec les autres centres importants du moment (la ville de Tournai, les abbayes de Mons, Saint-Ghislain, Condé et Leuze). Dans la période suivante, Ath s’est développée et fut reliée à Chièvres.
– sources d’eau ou cours d’eau: la Hunelle et son affluent
– source de bois: région boisée
– proximité d’un lieu de pouvoir: une résidence fortifiée
Paroisse dédiée à Saint-Martin. Celle de Grosage en fut dépendante jusqu’en 1234.
Evêché: de Cambrai
Décanat/doyenné: Chièvres fut placé à la tête d’un doyenné qui fut fort étendu et comprenait les paroisses d’Ath, de Beloeil, de Condé, de Lessines, de Flobecq et de Sirault. Plusieurs de ces communes lui furent enlevées en 1559 lorsque naquit le décanat de Lessines.
Autel (dîmes, entretien de l’église, nomination des officiants) donné à l’abbaye d’Enaeme en 1108 par Odon, évêque de Cambrai. Ce qui fut confirmé en 1181 par le pape Lucius III, qui y ajouta une chapelle fondée par Eve de Chièvres (celle de l’Hôpital St-Nicolas).
Répartition des pouvoirs pendant la période féodale (jusqu’en 1792/1794)
Autorité supérieure: comté de Hainaut (à partir de 1049)
Autorité sous-jacente (administrative et judiciaire): châtellenie d’Ath (ce qui démontre que cette ville acquit dès le XIIème siècle plus d’importance que Chièvres).
Nous allons développer successivement l’histoire de la seigneurie, puis celle de la ville.
La seigneurie de Chièvres
Vers 950, le « comté » de Burbant fut incorporé dans la marche militaire d’Eename, créée par l’empereur Othon I, face aux menaces constantes du comte de Flandre. La marche d’Eename était un territoire constitué sur la rive droite de l’Escaut incluant Renaix, Lessines, Chièvres et le Burbant. Eename était situé de l’autre côté de l’Escaut par rapport à Audenarde.
Jusqu’en 1195, Chièvres fut un vaste alleu, propriété d’un important lignage connu depuis au moins 936, exempt de toute redevance et de tout hommage au comte. Ce statut favorisera sa prospérité et un début d’urbanisation.
En 1049, pour mettre fin à un conflit qui les opposait, Herman, comte de Hainaut, et Baudouin V, comte de Flandre, traitèrent à propos des territoires du pagus de Brabant qu’ils revendiquaient tous les deux. La marche d’Enaeme fut divisée en deux : le comté d’Alost passa à la Flandre et le reste (Chièvres, Hal) revint au Hainaut.
La comtesse Richilde, veuve d’Herman, et son second époux, Baudouin Ier, constituèrent les pairies. En 1076, Chièvres faisait partie des douze pairies du Hainaut. A ce titre, le seigneur de Chièvres devenait un proche conseiller du pouvoir comtal auquel il participait.
La seigneurie de Chièvres comprenait les domaines de Chièvres, Grosage, Arbre-sur-Chièvres, Maffle-sur-Chièvres, Ponchau (hameau d’Arbre), le Long Aulnois (hameau de Herchies), Tongres-sur-Chièvres (Tongre-Saint-Martin). Les seigneurs de Chièvres furent également à la tête de nombreux fiefs dispersés en Hainaut. Plusieurs familles (maisons) se sont succédé à sa tête :
Le premier seigneur de Chièvres connu était le « comte » Legbert (ou Egbert), né en 930, donc un siècle après les traités de Verdun (843) et de Meersen (870) évoqués plus haut et un demi-siècle après les invasions vikings (880-890) dont on ne sait pas si elles créèrent des dommages à Chièvres. Selon certains généalogises, Egbert serait le fils d’Arnould de Chièvres (900- ?) dont on ne connait pas l’épouse.
Il était le riche propriétaire de ce grand alleu de Chièvres. Certains pensent que sa famille était issue de la famille comtale. Mais les liens généalogiques ne sont pas connus. Chièvres était probablement déjà un grand domaine dans l’ancien pagus de Brabant, puis dans la marche d’Eename. C’était un alleu et ses seigneurs ne devaient rien à personne. Lui succédèrent :
- Rasse I de Chièvres (v960- ?), fils du précédent
- Rasse II de Chièvres (992- ?), fils du précédent. Ce personnage eut une fille, Jeanne, qui épousa Wédric « le Sor » ou plus probablement son fils Wédric « le Barbu », premiers seigneurs d’Avesnes, qui avaient tenté de s’emparer de tout le Burbant à l’époque de Richilde, de Baudouin I et Baudouin II.
- Thierry I de Chièvres (1023- ?), fils du précédent.
En 1047, Chièvres et la marche d’Ename sont absorbés par Herman, comte de Hainaut, mais le fait d’être un alleu fit que les seigneurs se considérèrent longtemps comme indépendants par rapport aux comtes, même s’ils devinrent rapidement pairs de Hainaut, soit des conseillers entourant le souverain pour la prise de décisions importantes.
- Wauthier/Gauthier de Chièvres (1050-1093), fils du précédent. C’est lui qui, premier de la lignée, aurait obtenu vers 1076 le titre et la fonction de pair de Hainaut, de la part de Richilde et de Baudouin II.
- Guy (Widon) de Chièvres(1090-1127), fils du précédent. Il épousa Ide d’Ath, fille de Walter, seigneur d’Ath. A leur décès, ils laissaient une fille qui fut peut-être le personnage le plus important de toute l’histoire de Chièvres.
- Eve dite « Damison » ou « Ydon » de Chièvres (1115/1124-1180). Elle épousa successivement trois grands seigneurs de l’époque :
- Gilles de Chin ( ?-1137), seigneur de Berlaymont, chambellan du comte de Hainaut. Ce preux chevalier qui partit à la croisade, terrassa (selon la légende) un monstre dans son domaine de Wasmes et donna ce même domaine à sa mort aux moines de Saint-Ghislain. Il aurait été enterré dans cette abbaye.
- Rasse III de Gavere (1118-1148/1150), chevalier et grand échanson du comte de Flandre (Gavere était une seigneurie flamande importante sur la rive droite de l’Escaut).
- Nicolas III de Rumigny et de Florennes ( ?-v.1170/1175). On dit que ce mariage fut réalisé à la demande du comte Baudouin IV pour ramener Chièvres sous influence hennuyère.
Eve de Chièvres survécut à ses trois maris. Elle fit beaucoup pour sa ville naissante, puisqu’elle y fit bâtir une léproserie, une chapelle Notre-Dame-de-la-Fontaine et un hôpital Saint-Nicolas. Elle favorisa aussi l’implantation d’une commanderie des Chevaliers Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem (ordre similaire à celui des Templiers). Pour sa ville, elle accorda des privilèges, dont des exemptions de taxes sur les ventes au marché, à ses commerçants et artisans.
A la fin de sa vie, Eve Damison se retira dans l’abbaye proche de Ghislenghien, institution qu’elle avait aussi favorisée de son vivant par de nombreux dons. Elle y mourut en 1180 et y fut inhumée. A la mort d’Eve de Chièvres, les familles de Gavere et de Rumigny s’entendirent pour présider aux destinées de la ville de Chièvres en fondant une « co-seigneurie », les bénéfices étant partagés strictement entre elles deux.
A cette époque, Chièvres était en train de devenir un centre commercial d’importance dans la région, où l’on écoulait les produits agricoles et les draperies (surtout des toiles de lin).
Considérons les deux lignées seigneuriales.
Les seigneurs de la famille de Rumigny
- Nicolas IV de Rumigny-Florennes (v1140/1160, Florennes – 1205), fils de Nicolas III de Rumigny et d’Eve de Chièvres. Il signa la loi-charte de Chièvres en 1194 avec Rasse de Gavre et Baudouin VI (infra).
- Nicolas V de Rumigny (1195-1255), fils du précédent. Son fils unique, Nicolas VI de Rumigny (1215-1249) mourut avant lui.
- La seigneurie passa alors à son frère cadet Hugues I de Rumigny (1198-1250 ?), souche de la branche de Rumigny-Fagnolles. Il mourut à Chièvres, preuve qu’il y séjourna.
- Nicolas I de Rumigny-Fagnolles, fils du précédent. Au service du comte Jean d’Avesnes. Mort sans postérité.
- La co-seigneurie de Chièvres passa alors à son neveu Nicolas II « le Bègue » de Rumigny-Fagnolles. En 1289, il se déshérita du fief qu’il tenait à Chièvres en faveur du comte de Hainaut, Jean d’Avesnes.
Cette partie restera dans les propriétés comtales jusqu’en 1428 et sera réunie à l’autre en 1440.
Dans l’autre partie, àprès les Gavere (voir plus loin), la seigneurie passa à la famille bretonne de Laval qui s’en désintéressa, laissant aux comtes le soin d’administrer toute la population de Chièvres, tout en empochant les revenus des terres qui leur appartenaient.
Les comtes, seigneurs de Chièvres, furent :
- Jean d’Avesnes (1280-1304), petit-fils de la comtesse Marguerite de Hainaut et de Bouchard d’Avesnes
- Guillaume Ier « le Bon » d’Avesnes (1304-1337), fils du précédent
- Guillaume II « le Hardi » d’Avesnes (1337-1345), fils du précédent, mort sans enfant
- Marguerite d’Avesnes (1345-1356), sœur du précédent, qui épousa Louis de Bavière, qui devint empereur de Germanie
- Guillaume III « l’Insensé » de Bavière (1356-1389), fils des précédents
- Aubert ou Albert de Bavière (1389-1404), frère du précédent dont il assura la régence pendant sa maladie (folie)
- Guillaume IV de Bavière (1404-1417), fils du précédent
- Jacqueline de Bavière (1417-1433), fille du précédent, aux nombreuses frasques conjugales, qui n’eut pas d’enfant et dut finalement céder son comté à son cousin Philippe « le Bon », duc de Bourgogne.
Peu de temps après, le duc récompensa son chambellan Antoine de Croÿ en lui donnant cette partie de Chièvres. En 1440, ce seigneur acheta l’autre moitié de Chièvres pour réunifier à nouveau le grand domaine.
Les seigneurs de la famille de Gavere
Il semble que c’est eux qui possédaient le titre de pair du comté de Hainaut et la jouissance du château.
- Rasse IV de Gavre (1139-1190) était le fils de Rasse III et d’Eve de Chièvres, demi-frère de Nicolas IV de Rumigny.
Ces seigneurs de Gavere, en leur (demi-)alleu de Chièvres, ne se considéraient pas comme des sujets à part entière du comte de Hainaut. C’est pourquoi, appuyé par le comte de Flandre Thierry d’Alsace, Rasse tenta vainement de s’opposer au comte Baudouin IV de Hainaut lorsque celui-ci voulut fortifier la ville voisine d’Ath en y construisant un donjon (la tour Burbant). On se toisa, mais il n’y eut pas de conflit armé et le comte sut faire valoir son autorité en venant placer une armée à Blicquy, non loin de Chièvres.
- Rasse V de Gavre (1170-1217/1218), fils du précédent
- Rasse VI « le Jeune » (v1190-1214, Bouvines), fils du précédent
- Rasse VII de Gavre-Chièvres ( ?-1253), fils du précédent
- Rasse VIII de Gavre ( ?-1300), fils du précédent
- Il n’eut qu’une fille, Béatrix de Gavere ( ?-1316)
Famille de Montmorency-Laval
- Guy IX de Montmorency-Laval (1262-1332) devint co-seigneur de Chièvres en épousant en 1286 Béatrice de Gavere. Il était seigneur de Laval, vicomte de Rennes et baron de Vitré. Il devenait par mariage propriétaire des grands domaines des Gavere en Flandre. Quant à la moitié de Chièvres, ce n’était pour la famille Laval qu’une petite possession lointaine qui ne nécessitait pas qu’on y entretint une résidence. Les revenus suffisaient. Le reste, ils s’en désintéressèrent.
- Guy X de Laval (1295-1347), fils du précédent. Français, il fut du côté de son roi Philippe V dans les premières batailles de la Guerre de Cent Ans … contre les Flamands et les Anglais.
- Guy XI de Laval (v.1316-1348), mort peu après son père, sans enfant.
- Jean de Laval, frère de Guy XI, devenu Guy XII de Laval selon une coutume familiale qui voulait que les seigneurs portent le prénom de Guy (apr.1327-1412). Il se signala aussi lors de la Guerre de Cent Ans aux côtés de du Guesclin.
- Il fit deux mariages. Il n‘eut qu’un seul fils, mort avant lui, et une fille Anne de Laval qui hérita de tous ses biens. En 1405, elle épousa Jean de Montfort qui, pour conserver les traditions familiales, prit le nom de Guy XIII de Laval ( ?-1412). Après avoir servi dans l’armée, il partit en pèlerinage en Terre Sainte et mourut de la peste à Rhodes. Leurs enfants étaient encore mineurs. Leur mère Anne voulut exercer la tutelle et donc diriger tous les grands domaines. Cela ne se passa pas sans conflit dans la famille ni dans le voisinage de Laval où la guerre sévissait.
On ne sait pas très bien comment et pourquoi, mais le domaine de Chièvres (toujours la moitié) fut vendu à Charles Ier d’Orléans (1394-1465), petit-fils du roi Charles V de France, duc d’Orléans, de Blois et de Valois, et surtout connu comme poète en son château de Blois. Il engendra le futur roi Louis XII. Mais il revendit en 1440 la moitié de la petite ville de Chièvres qu’il possédait au propriétaire de l’autre moitié, Antoine de Croÿ.
Antoine Ier de Croÿ dit le Grand (v.1385/1390-1475) s’est donc vu donner la moitié « comtale » de Chièvres par le duc Philippe le Bon en 1433. Il acheta l’autre moitié en 1440, réunifiant ainsi la seigneurie qui avait été divisée dans l’héritage d’Eve de Chièvres.
Il était le fils de Jean I de Croÿ, considéré comme le fondateur de la Maison. Tous ses descendants exerceront des charges importantes au service des ducs de Bourgogne et des souverains des Pays-Bas Espagnols et Autrichiens. Ils cumuleront les titres et les honneurs et possèderont de grands domaines. Antoine était déjà seigneur de Croÿ, du Roeulx et de Condé. Il se mit au service des ducs Jean sans Peur, Philippe le Bon et Charles le Téméraire qui lui conféreront des charges importantes. Il devint un des premiers Chevaliers de la Toison d’Or. Lui succédèrent comme seigneur de Chièvres :
- PhilippeIer de Croÿ (1435 – 1511), fils du précédent, au service de Charles le Téméraire, de Marie de Bourgogne et de Maximilien d’Autriche.
- Guillaume I de Croÿ (1458-1521), fils cadet du précédent, mais qui aurait racheté la seigneurie de Chièvres à son père en 1485. Au service de Philippe le Beau, puis du jeune Charles-Quint, dont il fut le précepteur, puis un conseiller influent. Il n’eut pas d’enfant. Il était connu sous le nom de « Guillaume de Chièvres » ou “Chièvres” tout court.
- Philippe II de Croÿ (1496-1549, Bruxelles), son cousin, lui succéda. Il était également entre autres prince de Chimay et comte de Beaumont.
- Guillaume II de Croÿ (1527, Binche-1565, Renty)
- Il n’eut qu’une fille, Anne de Croÿ ( ?-1608)
- Elle épousa en secondes noces son cousin Philippe II de Croÿ (1562-1612) en lui apportant ses domaines, dont celui de Chièvres.
- Charles Philippe Alexandre de Croÿ ( ?-1640), leur fils, leur succéda. Par mariage avec une cousine, il devint duc d’Havré. De ses deux enfants, le premier, un fils, devint évêque de Gand.
- Sa fille, Marie-Ferdinande de Croÿ (1636/37-1683), hérita des domaines.
Famille d’Egmont et de Pignatelli-Egmont
Elle épousa le comte Philippe Louis d’Egmont (1623-1682), également prince de Gavere (réunification des deux domaines comme jadis), officier au service du roi d’Espagne, pour qui il fut aussi ambassadeur à Londres. C’est sa fille Marie-Claire Angélique d’Egmont (1661-1714) qui hérita de Chièvres et le transmit à son époux Nicola Pignatelli Bisaccia (1658-1719), un noble italien. Leur succédèrent :
- Leur fils Procopio Pignatelli « d’Egmont » (1703, Bruxelles – 1743)
- Guido Felix Pignatelli (1720-1753), leur fils aîné qui eut un fils mort avant lui
- Casimir Pignatelli (1727-1801), frère du précédent. Il fut un officier au service du roi de France. Il devint député aux Etats Généraux de 1789, puis il émigra en 1792 aux Pays-Bas où il commanda un corps d’émigrés français et se battit contre son pays en 1792. Par la suite, il alla résider à Brunswick, où, malade, il mourut en 1801.
Entretemps en 1794, les droits féodaux avaient été abolis. Chièvres devint une commune du département de Jemappes et chef-lieu de canton.
Répartition des pouvoirs pendant la période contemporaine (à partir de 1830)
- Etat: Belgique
- Province: Hainaut
- Arrondissement administratif : Ath
- Arrondissement judiciaire : Mons
- Canton: Chièvres (chef-lieu)
Histoire de la ville de Chièvres
XIIème siècle
Chièvres a commencé à s’urbaniser dès le XIIème siècle. Au milieu de ce siècle, « régnait » sur Chièvres Eve « Damison » de Chièvres. Elle accorda des privilèges aux artisans et commerçants de sa ville et y fonda plusieurs institutions de type urbain (voir patrimoine), ce qui prouve l’importance de la ville naissante à cette époque.
Une première enceinte réduite fut édifiée en 1181, sans doute autour de la résidence fortifiée des seigneurs, encore que certains documents semblent dire qu’elle pouvait déjà entourer une partie civile du bourg.
Chièvres fut dotée d’une charte-loi (charte instituant la commune) dès 1194 par Rasse de Gavre et Nicolas de Rumigny, coseigneurs, à l’initiative du comte Baudouin VI de Hainaut. Jusque-là, il n’existait aucune loi écrite réglant les rapports des seigneurs avec leurs sujets. On appliquait les coutumes, ce qui laissait libre-cours à des abus et à des absences de garanties juridiques pour les manants. Cette charte déterminait les lois et devoirs de chacun : seigneurs, hommes libres (commerçants, bourgeois, etc..), étrangers et serfs. Elle veillait à protéger contre les abus du pouvoir seigneurial et permettait d’obtenir des garanties de sécurité pour l’avenir. Elle fixait précisément le montant des redevances et des amendes.
C’est le seigneur qui était en charge de la police et de la justice. Il était aidé par un maïeur, des échevins et des sergents. Cette charte loi apporta de la prospérité et le titre de ” franche ville ” du comté de Hainaut, soit un statut juridique privilégié. C’est le plus ancien acte connu en langue d’oïl.
Chièvres va alors évoluer vers le stade urbain, étant devenu un centre important d’échanges agricoles. Un tonlieu sur le commerce des marchandises, et notamment des draps, existait depuis au moins 1179. Il s’agissait d’une taxe qui était perçue par le seigneur des lieux. On y vendait donc des draps, de laine et surtout de lin, tissés en partie dans les campagnes environnantes. En 1195, il y avait deux moulins seigneuriaux.
Chièvres, possession seigneuriale, était alors plus importante qu’Ath, possession comtale, fondée vers 1150. Mais cette dernière la dépassera un siècle plus tard, favorisée par les comtes.
XIIIème – XIVème siècle
Pendant ces deux siècle, Chièvres atteignit son apogée sur le plan économique, grâce à son commerce et à la draperie (comme de nombreuses villes flamandes et hennuyères de l’époque).
Un marché du mardi est attesté depuis 1336.
En 1363, Robert de Namur, beau-frère de la comtesse de Hainaut, auquel la seigneurie comtale de Chièvres avait été attribuée à titre viager, instaura une foire annuelle aux chevaux. Elle survécut jusqu’au XIXème siècle malgré les nombreuses crises que connut la ville.
La ville comptait, en 1365, 470 foyers. Mais le développement plus rapide de la ville d’Ath lui faisait de la concurrence.
Le comte Aubert se préoccupa néanmoins du développement économique de la cité et lui conféra de nouveaux privilèges. En 1366, il autorisa les bourgeois de Chièvres à lever des maltôtes (taxes communales sur l’achat et la vente de biens de consommation courante : bière, vin, …) et à louer à leur profit les fossés et les terrées de l’enceinte. On constatait l’existence de nombreux métiers et la présence de Lombards (banquiers) à la halle aux grains.
Entre 1366 et 1388, la ville reçut une seconde enceinte urbaine, toujours à l’initiative d’Aubert de Bavière. Elle était défendue par des archers et des arbalétriers (attestés en 1382). Ceci a été décidé dans un contexte d’opposition politique avec la Flandre et avec certains vassaux turbulents, tels les Enghien.
Une nouvelle draperie, sur le modèle du règlement de Mons, fut instaurée en 1389 et apporta de la prospérité. Une corporation fut fondée à l’occasion. D’autres corporations professionnelles naquirent. On est peu documenté à leur sujet.
XVème siècle
Entre 1406 et 1413, Chièvres devint une des « bonnes villes » du Hainaut. Une « bonne ville » était une localité qui, en raison de son importance administrative, militaire ou économique, était admise à traiter directement avec le souverain des questions d’ordre financier et politique. La ville fut admise aux États du Hainaut en 1413. Ses représentants bourgeois pouvaient y siéger à côté de la noblesse et du clergé et intervenir dans la politique intérieure du comté (décision et fixation des taux d’impôts).
Pendant la première moitié du siècle, la ville continua de prospérer. A côté des drapiers, on trouvait des orfèvres, des brasseurs, des bouchers, des tanneurs, des maçons, … On instaura une halle aux viandes, une halle aux grains et une halle aux draps.
La ville appartenait encore au début du siècle en partie aux comtes qui y plaçaient des fonctionnaires et un receveur des revenus domaniaux. Le châtelain d’Ath venait y exercer la haute justice (criminelle). Les échevins rendaient la basse justice. Le maire et les échevins administraient la ville en accord avec les seigneurs.
L’autre seigneur (celui de la famille de Laval) avait aussi son receveur. Son châtelain résidait au château. En réalité, à part les revenus, cette famille se désintéressait complètement de Chièvres.
La seigneurie fut réunifiée en 1440 sous Antoine de Croÿ.
C’est à ce moment que les calamités commencèrent à s’abattre sur la ville. Il y avait déjà eu une épidémie de peste en 1414. Trois incendies (1439, 1459 et 1476) détruisirent les deux tiers des maisons. L’artisanat déclina. La draperie disparut. La pauvreté fit son apparition. Chièvres retourna petit à petit au stade rural, d’autant plus qu’Ath polarisait toute l’activité économique de l’époque.
Les seigneurs n’habitaient plus le château et délaissaient celui-ci. Ils venaient rarement dans leur bonne ville de Chièvres. Un bailli ou gouverneur, qui habitait une maison particulière, les représentait pour administrer la ville. Ses fonctions étaient politiques, administratives et judiciaires. Il nommait les échevins et le bourgmestre (Magistrat de la ville) dans la couche sociale la plus aisée. Il faisait appliquer les ordonnances de police. Il était aidé par des sergents et des huissiers. Le Magistrat nommait les fonctionnaires communaux : un greffier chargé des écritures, un massart qui percevait les impôts et réglait les dépenses, des sergents de police, un huissier communal.
En 1459, Philippe le Bon institua une seconde foire à la Saint-Michel pour réactiver la vie de la cité. Auparavant en 1437, il avait conféré des privilèges aux archers de Chièvres…, que son fils Charles le Téméraire supprima.
XVIème siècle
La ville resta dans une situation pitoyable, endettée. La population avait diminué de moitié. Une grande partie des habitations était laissée à l’abandon. La moitié des habitants étaient indigents. Seuls quelques privilégiés dans le centre urbain pouvaient valoir quelque richesse. Le marché était maigrelet. Les auberges avaient disparu. Les fortifications et la voirie étaient délabrées.
La réforme de l’Eglise de 1559 réduisit l’importance du doyenné de Chièvres qui perdit 25 paroisses au profit d’un nouveau doyenné de Lessines.
Les guerres religieuses de la seconde moitié du siècle n’arrangèrent pas les choses. Le magistrat fut obligé de renforcer les défenses (remparts, corps de garde assuré par la population). Ce qui coûtait à celle-ci. Il fallait se défendre contre les bandes de huguenots qui s’attaquaient aux églises et aux institutions religieuses et tentaient même de s’emparer du pouvoir dans certaines villes. La démographie continua à s’effondrer malgré la trêve sous les archiducs Albert et Isabelle.
XVIIème siècle
A partir de 1630, une suite quasi ininterrompue de guerres jusqu’en 1715 donna le coup de grâce. Le pouvoir espagnol des Pays-Bas imposa des garnisons de soldats étrangers (espagnols, italiens, mercenaires) dans les bourgs fortifiés. Leur comportement irrita souvent les habitants, d’autant plus qu’il fallait les loger, les nourrir, les entretenir. Le Magistrat n’avait pas le choix et chaque fois était obligé d’augmenter les « aides », c’est-à-dire les impôts, d’autant plus que l’Etat central augmentait les siennes. La ville était ruinée. Elle ne pouvait même plus entretenir et restaurer les remparts.
La population passa de 1304 habitants en 1636 à 858 dès 1660.
Les armées françaises du roi Louis XIV pénétrèrent à plusieurs reprises en Hainaut, s’emparant des villes, réquisitionnant les campagnes et s’adonnant souvent au pillage, mode de rémunération habituel des soldats d’antan. Chièvres fut pillé à plusieurs reprises, en 1654 et en 1655. Beaucoup d’habitants durent fuir leur ville.
Un premier traité de paix fut signé en 1659 (Traité des Pyrénées). Les Français se retirèrent. La ville était exsangue et ses monuments délabrés. Pourtant les Français revinrent encore, intéressés particulièrement par la place-forte d’Ath qui fut assiégée à plusieurs reprises : 1667, 1697, 1701. Il n’y avait plus grand-chose à prendre à Chièvres et ce qui reste de la ville ne souffrira pas trop de ces nouveaux assauts.
Entre 1668 et 1678, toute la châtellenie d’Ath fut annexée au royaume de France, selon les clauses du Traité d’Aix-la-Chapelle. Chièvres était française ! On continua cependant à se battre. Les armées, de quelque camp qu’elles étaient (françaises, espagnoles ou hollandaises), passaient … et se servaient chez l’habitant. En 1674, Chièvres fut occupée par l’armée française et en partie détruite. Les environs furent aussi incendiés.
Vauban envisagea de la fortifier mais le projet ne fut jamais réalisé. Les passages et campements ne s’arrêtèrent pas jusqu’en 1678. Vint cette année-là la Paix de Nimègue. Si la châtellenie d’Ath revint au Hainaut, celui-ci fut dépecé des prévôtés de Valenciennes, de Maubeuge et de Bavay. Celles du Quesnoy et d’Avesnes avaient déjà été annexées auparavant au royaume de Louis XIV.
Cependant, toujours avides de nouveaux territoires, celui-ci revint s’emparer « de ce qu’il venait de perdre ». Chièvres fut de nouveau occupée par les Français, dépendant du Parlement de Tournai. Les exactions militaires continuèrent à appauvrir la population des villes et des campagnes.
A partir de 1709 (bataille de Malplaquet), les armées françaises furent repoussées. Le Traité d’Utrecht mit fin à la guerre, tout en faisant passer les Pays-Bas de l’Espagne à l’Autriche. Pendant quelques années, une garnison anglo-hollandaise fut installée à Chièvres … aux frais des habitants qu’ils défendaient.
Pendant ce siècle, on instaura un deuxième marché hebdomadaire le vendredi. Il disparut en 1933.
XVIIIème siècle
La paix revenue, une certaine stabilité économique s’installa jusqu’à la fin du siècle. Le Magistrat put épurer les dettes. La démographie se releva lentement. Malheureusement, en 1733, un incendie se propagea dans une grande partie de la ville et des faubourgs, détruisant de nombreuses habitations et l’hôtel de ville. Des aides pour la reconstruction viendront des doyennés voisins et du pouvoir civil central.
En 1740, on se remit à restaurer les portes et à remettre de l’eau dans les fossés, car la crainte d’une nouvelle guerre (Succession d’Autriche) se profilait. En effet, les Français de Louis XV vinrent occuper la ville de 1744 à 1749. Malgré les habituelles réquisitions, ce fait d’arme n’eut pas trop de conséquence pour la population. Ce qui ne fut pas le cas pour les finances publiques.
On s’en releva cependant et on put reconstruire l’hôtel de ville en 1782-1783. En 1787, on pava un chemin qui reliait la ville à la nouvelle chaussée Mons-Ath. L’empereur Joseph II fit démanteler la place forte à la fin du siècle.
Période française (1792-1814)
En novembre 1792, les armées révolutionnaires françaises s’installèrent dans le pays. Elles en furent chassées par les Autrichiens quelques mois plus tard, mais revinrent en juin1794. La République Française annexa les Pays-Bas, abolit le régime féodal et mit en place de nouvelles administrations. Chièvres fut versé dans le département de Jemappes. Les humiliations subies n’empêchèrent pas l’économie de se maintenir et la démographie de continuer à augmenter. Il en fut de même pendant la période napoléonienne. Chièvres devint le chef-lieu d’un canton.
En 1798, la population était de 2 115 habitants pour une superficie de 2 160 ha.
C’est pendant la période française que Grosage s’est constituée en commune autonome.
Le Concordat de 1802 a maintenu à Chièvres un siège de doyenné, faisant désormais partie de l’évêché de Tournai et non plus de Cambrai.
XIXème et XXème siècle
Depuis la disparition de l’économie urbaine médiévale, Chièvres et ses environs étaient voués à l’agriculture et l’élevage, ce qui occupait deux-tiers des habitants. Le reste se consacrait à des activités artisanales : construction, habillement (4%, résidu de l’ancienne draperie). Le commerce et les professions libérales n’occupaient que quelques % de la population.
Chièvres ne portait plus de ville que le nom, en « considération de sa fortune passée » (arrêté royal de 1825).
Le hameau de Vaudignies vit s’élever une église dédiée à Saint-Philippe en 1871, dépendante de celle de Chièvres.
Aujourd’hui, Chièvres est un petit centre commercial, malgré la présence de la base militaire de l’OTAN. L’activité économique est réduite (agriculture, élevage) et ne rappelle que faiblement la gloire passée de la cité.
Tongres-Saint-Martin a été annexé à Chièvres en 1971. En 1977, d’autres communes lui ont été fusionnées.
Voies nouvelles de communication au XIXème siècle
- le canal Blaton-Ath
- la ligne ferroviaire Ath-Saint-Ghislain, aujourd’hui désaffectée. Elle avait des stations à Vaudignies-Neufmaison et à Chièvres au sud-ouest
- la ligne Ath-Jurbise-Mons qui passait au nord
Patrimoine
Patrimoine ancien
Le centre ancien médiéval couvre une dizaine d’hectares.
Les incendies du XVème et début du XVIème siècle en ont détruit la quasi-totalité des bâtiments anciens et ont freiné l’expansion de la ville (en plus des épidémies). Au XVIIème et XVIIIème, les guerres ont aggravé la situation, Chièvres ayant servi de lieu de gîte pour les troupes qui opéraient dans la région.
Le château seigneurial. Il jouxtait l’église qui devait sans doute être domaniale. Il était bâti sur un petit éperon. Entre le château, l’église et la Grand-Place, on situe l’ancien noyau castral et celui du bourg castral.
On n’en connait pas l’origine, mais il a sans doute été édifié en plusieurs épisodes depuis les premiers seigneurs connus de Chièvres au IXème ou Xème siècle. Il s’agissait d’une tour-donjon entouré d’un castrum, résidence fortifiée. On n’en a retrouvé aucune trace aujourd’hui, alors qu’il figure encore sur un plan de Deventer au XVIème. Une maison de retraite figure aujourd’hui sur son emplacement.
Les remparts de 1366. La surface enclose était d’une dizaine d’hectares. Il s’agissait d’une levée de terres et d’une palissade à son sommet, entourée d’un fossé alimenté par les eaux de la Hunelle. Un chemin de ronde se trouvait sur les terrées. Ce type de fortification était très bien adapté face à l’artillerie de l’époque, car il était difficile pour les assaillants de la franchir sous le tir des défenseurs. L’essentiel de la défense reposait sur les fossés, dont on pouvait réguler les flux d’eau par des dispositifs appelés dodanes (écluses-barrages dotées d’un système de vannes et de vantaux). La plupart des enceintes des villes du Hainaut sont sur ce modèle, même à Mons.
Au XVème, lorsque les armées de Louis XI envahirent le Hainaut, nombre de châteaux bâtis en dur furent investis, mais la plupart des villes résistèrent.
Au XVème, certaines parties furent renforcées par un mur. On entrait dans la ville par trois portes construites en dur, précédées d’un pont-levis :
- Porte du Marché-aux-bêtes ou St-Martin, à l’est
- Porte de St-Jean, au sud
- Porte Notre-Dame, au nord
Une petite tour en bois (tour al owe) fut aménagée en 1388-1389 pour le guet. La Tour de Gavre fut construite sous le duc Philippe le Bon en 1436 (ou 1462). Elle est toujours debout (infra). Les remparts furent démolis sous l’empereur Joseph II.
http://chievres-medieval.wikeo.be/ (Histoire de l’enceinte urbaine de Chièvres)
Le moulin de la Hunelle (10-12, rue du Moulin). A proximité de la Porte Notre-Dame.
Patrimoine actuel
Eglise Saint-Martin. Elle est mentionnée depuis 1108, mais la Villa Cervia, attestée dès le IXème siècle dut déjà avoir une église. Elle fut construite à l’extrémité nord de l’agglomération et à proximité d’éléments fortifiés, donc assez décentrée par rapport à l’habitat. Un nouvel édifice fut construit au XIVème siècle sur l’éperon rocheux près de l’église actuelle.
Le bâtiment actuel est de 1543, bâti en style gothique hennuyer, construit à l’initiative du bailli de Chièvres, Jean Delmont, aussi seigneur de Ghislenghien. On y trouve quelques éléments anciens du XIVème, mais on n’a retrouvé aucune trace des édifices plus anciens. Le clocher, qui domine la tour occidentale, fut détruit en 1684 et reconstruit en 1705. Les tourelles d’angle sont inspirées de l’église St Julien d’Ath. L’église ne comporte qu’une nef de trois travées, un choeur avec une chapelle et une sacristie. La couverture est un berceau en bois lambrissé. La construction fut faite en moellons locaux, en briques et en pierre de Tournai. Elle comporte de beaux monuments funéraires et un lutrin du XVème. Elle fut restaurée en 1872, mais connut encore des bombardements au cours de la Seconde Guerre Mondiale.
Hôtel de ville. Il fut bâti à l’initiative des comtes d’Egmont en 1782. Il était voisin à l’origine de la ligne de fortification. Style classique Louis XVI.
Le château des comtes d’Egmont. Il s’agissait en fait d’un hôtel-résidence établi à Chièvres. Il fut en réalité bâti par Charles de Croÿ vers 1560 à la limite de la surface enclose par la fortification du XIIème.
On trouve au sud de la place deux maisons du XVIIIème et cinq immeubles du XVIème siècle : n°6, n°7 (datant de 1507), n° 8 (refuge de l’abbaye de Vicoigne, de 1507).
La chapelle Saint-Jean-Baptiste. Elle est située au sud de Chièvres en dehors du noyau urbain. Elle fut fondée par Eve de Chièvres au XIIème siècle. Elle faisait partie de la Commanderie des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Il s’agissait d’une institution qui avait un caractère caritatif à son origine. Elle dépendait de la Commanderie de Piéton et possédait des terres dont elle tirait des revenus. La chapelle actuelle a été reconstruite en partie au XVIIIème et restaurée peu avant 1940. Elle a un plan en salle, avec des fenêtres hautes et un petit clocheton en bois au sommet de la toiture. Cette salle abritait des hôtes et des malades et servait aussi au culte liturgique.
La chapelle Notre-Dame de la Fontaine. Elle fut fondée au XIIème siècle par Eve de Chièvres, pas loin de l’église et du château. Elle abritait une image miraculeuse de la Vierge. On y organisa un pèlerinage avec procession pendant tout l’Ancien Régime. Plusieurs fois reconstruite, elle fut finalement démolie en 1798.
Le couvent des Sœurs Grises (franciscaines). Il fut fondé en 1435 par Quintine de Jauche, dame de Mastaing. Il abrita dans un premier temps des religieuses venues de Thérouanne qui logaient en fait dans le manoir de la fondatrice. Cette institution s’enrichit par achats et donations. Les sœurs soignaient les malades et enseignaient aux filles. Le couvent fut supprimé par les révolutionnaires en 1792. Il fut vendu comme bien national, puis démoli. Une autre communauté (les Sœurs de la Providence) fit ériger un nouveau monastère au XIXème siècle qui fut occupé jusqu’en 1933.
L’Oratoire de l’Ordre de Saint-Philippe de Neri (nord de la Place). Il fut fondé en 1626 par Jean de la Motte, curé de Chièvres, non loin du château (actuel Cercle Notre-Dame). Les religieux desservirent la paroisse et les deux chapelles. Ils firent de l’enseignement aux enfants. L’institution fut aussi abolie lors de la Révolution. Le bâtiment actuel est du XVIIIème.
La ladrerie. Elle fut dondée entre 1167 et 1181 par Eve de Chièvres. Ce genre d’institution permettait d’isoler les malades contagieux, notamment ceux qui avaient la peste. Elles étaient construites à l’écart des agglomérations. A Chièvres, ce fut à la « Neuville ». Du bâtiment, seule subsiste la chapelle (rue d’Ath). La chapelle est composée d’une nef (romane du XIIème) et d’un chœur (gothique du XIIIème), sans voûte couvrante. La ladrerie disparut probablement après 1588.
Les refuges d’abbaye
- Abbaye de Vicoigne (sur la Grand-Place)
- Ordre des Prémontrés (actuelle gendarmerie)
- Abbaye cistercienne de Cambron
L’Hôpital de St Nicolas. Il fut fondé à la fin du XIIème par Ide de Chièvres pour accueillir des veuves, des orphelins, des voyageurs et des pèlerins. Il fut construit au faubourg Saint-Martin et semble avoir fonctionné jusqu’en 1729. Il fut remplacé en 1813 par l’hôpital civil, aujourd’hui disparu.
La base aérienne. Pendant la guerre 1914-1918, les Allemands installèrent ici un aérodrome. Abandonné à la fin du conflit, il fut remis en état par l’armée Belge à la veille de la seconde guerre mondiale. Les Allemands se l’approprièrent le 20 mai 1940 pour lui donner une plus grande extension et bâtir des hangars et des casernes. Il servit de base de départ pour des bombardements en Angleterre. Il fut abandonné dès septembre 1944 lors du recul de l’armée allemande. Les armées alliées vont l’occuper jusqu’en 1947. Lorsqu’ils la quittèrent, l’armée belge en reprit l’usage. Sa patrouille acrobatique « les Diables Rouges » s’y fixa. La base fut finalement cédée à l’OTAN en janvier 1968 lorsqu’on installa le SHAPE à Casteau.
Bibliographie
Du carolingien à la base aérienne, heurs et malheurs de Chièvres – Michel Waha, Carnet du Patrimoine – 2010, Edition IPW
Chièvres, « Bonne Ville » du Hainaut, Pierre Bauwens, 1972, Wallonie, Art et Histoire, Ed. Duculot, Gembloux